Выбрать главу

— D’accord, dit Marie-Belle en se tournant franchement vers lui, c’est bien pour Eva, parce qu’elle ne pouvait plus voir les hommes en peinture après ça. Ça la réveille. Avec Damas, elle apprend qu’il existe des hommes meilleurs que le fumier qui lui cognait dessus. Et c’est bien parce qu’une vie de femme sans homme, je dis qu’automatiquement, ça ne rime à rien. Lizbeth n’y croit pas, elle dit que l’amour, c’est de la blague pour faire tourner le manège. Elle dit même que c’est de la foutaise, alors voyez.

— Elle était prostituée ? demanda Adamsberg.

— Mais non, dit Marie-Belle, choquée, pourquoi vous dites des trucs pareils ?

Adamsberg regretta sa question. La candeur de Marie-Belle dépassait ses prévisions et c’était d’autant plus délassant.

— C’est votre métier, constata Marie-Belle d’un air peiné. Ça vous déforme tout.

— J’en ai peur.

— Et vous, vous y croyez, à l’amour ? Je me permets de demander des avis de droite et de gauche parce que ici, l’opinion de Lizbeth, c’est intouchable.

Comme Adamsberg gardait le silence, Marie-Belle hocha la tête.

— Automatiquement, conclut-elle, avec tout ce que vous voyez. Mais le conseiller est pour l’amour, foutaise ou pas foutaise. Il dit qu’il vaut mieux une bonne foutaise que de s’emmerder sur sa chaise. C’est vrai pour Éva. Elle est plus allante depuis qu’elle fait la caisse le soir avec Damas. Seulement, Damas aime Lizbeth.

— Oui, dit Adamsberg, voyant sans déplaisir qu’on tournait en rond. Plus on tournerait, moins il en aurait à dire, plus il oublierait le semeur et les centaines de portes qui, en cet instant même, devaient se couvrir de 4.

— Et Lizbeth n’aime pas Damas. Donc Éva va se faire de la peine, automatiquement, Damas va se faire de la peine aussi et Lizbeth je ne sais pas.

Marie-Belle réfléchit à une autre combinaison, qui pourrait arranger tout le monde.

— Et vous, demanda Adamsberg, vous aimez quelqu’un ?

— Moi, dit Marie-Belle en rougissant et en tapotant du doigt sur sa lettre, avec mes deux frères, j’ai déjà assez d’hommes à m’occuper.

— Vous écriviez à votre frère ?

— Le plus jeune. Il vit à Romorantin et il aime avoir des nouvelles. Je lui écris toutes les semaines et je lui téléphone. Je voudrais qu’il vienne à Paris mais Paris, ça lui fait peur. Damas et lui, ils ne sont pas très débrouillards. Le petit encore moins. Il faut que je lui dise tout ce qu’il doit faire, même avec les femmes. C’est un joli garçon pourtant, très blond. Mais non, il attend que je le pousse sinon il ne bouge pas. Alors il faut que je m’en occupe jusqu’à leur mariage, automatiquement. J’ai de quoi faire, surtout si Damas attend des années après Lizbeth pour zéro. Après, qui c’est qui va sécher ses larmes ? Le conseiller dit que je ne suis pas forcée de m’en occuper.

— C’est vrai.

— Il s’en occupe bien, lui, des gens. Ça défile dans son bureau toute la journée et il ne vole pas son argent. Ce ne sont pas des conseils à la noix. Mais mes frères, je ne peux pas les laisser tomber, tout de même.

— Ça n’empêche pas d’aimer quelqu’un.

— Si, ça empêche, dit fermement Marie-Belle. Et avec le travail, la boutique, je ne rencontre pas beaucoup de monde, automatiquement. Il n’y a personne qui me plaise, sur la place. Le conseiller me dit d’aller voir un peu plus loin.

La pendule du café, sonna sept heures et demie et Marie-Belle sursauta. Elle plia sa lettre en vitesse, colla un timbre sur l’enveloppe et l’enfouit dans son sac.

— Pardonnez-moi, commissaire, mais je dois me sauver. Damas m’attend.

Elle fila en courant et Bertin vint enlever les verres.

— Bavarde, expliqua le Normand, comme pour excuser Marie-Belle. Faut pas croire tout ce qu’elle dit sur Lizbeth non plus. Marie-Belle est jalouse, elle a peur qu’elle ne lui fauche son frère. C’est humain. Lizbeth, c’est une femme au-dessus de la mêlée, tout le monde ne peut pas comprendre. Vous restez dîner ?

— Non, dit Adamsberg en se levant. J’ai à faire.

— Dites commissaire, demanda Bertin en le suivant jusqu’à la porte, faut le peindre ou faut pas le peindre, ce 4 ?

— Il parait que vous êtes fils du tonnerre ? dit Adamsberg en se retournant. Ou ce sont des racontars que j’ai entendus sur la place ?

— Je le suis, dit Bertin en relevant le menton. Par les Toutin, par ma mère.

— Eh bien ne peignez pas ce 4, Bertin, si vous ne voulez pas être renié à coups de pied au cul par votre glorieuse ascendance.

Bertin referma la porte, le menton toujours levé, saisi d’une soudaine détermination. Lui vivant, pas un 4 ne paraîtrait à la porte du Viking.

Une demi-heure plus tard, Lizbeth avait rassemblé les locataires pour le dîner. Decambrais demanda le silence en faisant tinter son verre avec son couteau, geste qu’il jugeait un peu vulgaire mais parfois nécessaire. Castillon comprenait très bien ce rappel à l’ordre et réagissait au quart de tour.

— Je n’ai pas pour habitude de dicter la conduite de mes hôtes — Decambrais préférait ce terme à celui, trop concret, de locataire —, qui sont rois dans leurs chambres, commença-t-il. Néanmoins, eu égard aux circonstances très particulières du moment, je demande instamment à chacun de ne pas céder à l’intoxication collective et de s’abstenir de peindre un quelconque talisman sur sa porte. Une telle figure déshonorerait cette maison. Cependant, respectueux des libertés individuelles, si quelqu’un d’entre vous souhaite se placer sous la protection de ce 4, je ne m’y opposerai pas. Mais je lui saurai gré d’aller emménager ailleurs, le temps que durera la folie dans laquelle cherche à nous entraîner ce semeur de peste. Je veux espérer qu’aucun de vous ne souscrit à un tel projet.

Son regard passa de l’un à l’autre sur la tablée silencieuse. Decambrais nota qu’Éva vacillait, hésitante, que Castillon souriait d’un air bravache, sans être parfaitement tranquille pour autant, que Joss s’en balançait et que Lizbeth fulminait à la seule idée qu’on vienne coller un 4 dans ses parages.

— C’est bon, dit Joss, qui avait faim. C’est voté.

— Tout de même, lui dit Éva, si vous n’aviez pas lu tous ces messages du diable.

— Le diable ne me fait pas peur, ma petite Eva, répondit Joss. Les vagues, oui, parlez-m’en, ça c’est de la frousse. Mais le diable, les 4 et toute cette pagaille, vous pouvez les mettre dans votre poche avec votre mouchoir dessus. Parole de Breton.

— C’est dit, dit Castillon, que le discours de Joss avait redressé.

— C’est dit, répéta Éva à voix basse.

Lizbeth n’ajouta rien et versa la soupe largement.

25

Adamsberg comptait sur le dimanche et sur sa presse réduite à la portion congrue pour apaiser les flammes. La dernière estimation de la veille au soir l’avait contrarié sans l’étonner : quatre à cinq mille immeubles marqués de 4 dans Paris. D’un autre côté, le dimanche laissait tout loisir aux Parisiens de s’occuper de leur porte et le chiffre pouvait s’en trouver dramatiquement accru. Tout dépendait du temps, en fin de compte. Si ce 22 septembre était beau, ils fileraient hors la ville et laisseraient un peu décanter cette histoire. S’il était gris, le moral se fragiliserait et les portes en prendraient un coup.

Dès son réveil et sans bouger de son lit, son premier regard fut pour sa fenêtre. Il pleuvait. Adamsberg replia ses bras sur ses yeux et se conforta dans son intention de ne pas foutre un pied à la Brigade. L’équipe de garde saurait le trouver si le semeur avait frappé cette nuit, en dépit d’une surveillance renforcée auprès des vingt-cinq immeubles d’origine.