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— En ce cas, qu’est-ce qui vous fait peur ?

Le type se mordit les lèvres.

— Qu’est-ce qui vous fait peur ? répéta Adamsberg.

— Je ne suis pas sûr que ce soit lui, lâcha l’homme d’une voix hésitante.

— Oui ? Vous vous y connaissez, en tueurs ?

Roubaud avala complètement sa lèvre inférieure, les doigts enfoncés dans les poils de son torse.

— C’est moi qu’on menace et c’est moi qu’on emmerde ? répéta-t-il. J’aurais dû le savoir. Les flics, dès qu’on les sonne, ils vous collent au ballon, c’est tout ce qu’ils savent faire. J’aurais dû me démerder moi-même. On veut aider la justice et voilà le résultat.

— Mais vous allez aider, Roubaud, et beaucoup même.

— Ouais ? Je crois que vous vous le fourrez profond, commissaire.

— Ne fais pas le fortiche, Roubaud, parce que t’es pas assez malin pour ça.

— Ouais ?

— Ouais. Mais si tu ne veux pas aider, tu vas rentrer chez toi, bien gentiment. Chez toi, Roubaud. Si tu essaies de filer, on te ramènera au domicile. Jusqu’à ce que mort s’ensuive.

— Depuis quand les flics me dictent où je dois aller ?

— Depuis que tu m’emmerdes. Mais vas-y, Roubaud, tu es libre. File.

L’homme ne bougea pas.

— Tu as peur, hein ? Tu as peur qu’il ne t’étrangle au fil cranté comme les cinq autres ? Tu sais que tu ne pourras pas te défendre. Tu sais qu’il te rattrapera, où que tu sois, à Lyon, à Nice, à Berlin. Tu es la cible. Et tu sais pourquoi.

Adamsberg ouvrit son tiroir puis étala devant l’homme les photos des cinq victimes.

— Tu sais que tu vas les rejoindre, hein ? Tu les connais, tous, et c’est pour cela que t’as peur.

— Foutez-moi la paix, dit Roubaud en se tournant de côté.

— Alors file. Casse-toi.

Il s’écoula deux longues minutes.

— Ça va, se décida l’homme.

— Tu les connais ?

— Oui et non.

— Explique.

— Disons que je les ai rencontrés un soir, il y a longtemps, sept ou huit ans au moins. On a bu un coup.

— Ah oui. Vous avez bu un coup et c’est pour cela qu’on vous dézingue les uns après les autres.

L’homme transpirait, et l’odeur de sa sueur emplissait toute la pièce.

— Tu veux un café ? demanda Adamsberg.

— Je veux bien.

— Avec quelque chose à bouffer ?

— Je veux bien.

— Danglard, dites à Estalère d’apporter tout ça.

— Et des clopes, ajouta Roubaud.

— Raconte, répéta Adamsberg pendant que Roubaud se remontait au café très sucré, avec du lait. Vous étiez combien ?

— Sept, murmura Roubaud. On s’est retrouvés dans un rade, parole.

Adamsberg regarda aussitôt ses gros yeux noirs, et il vit qu’un peu de vérité était passé avec ce « parole ».

— Qu’est-ce que vous avez fait ?

— Rien.

— Roubaud, j’ai le semeur dans la cellule. Si tu veux, je te colle avec lui, je ferme les yeux et on n’en parle plus. Dans une demi-heure, tu es mort.

— Disons qu’on a asticoté un gars.

— Pour quoi faire ?

— C’est loin. On était payés pour que ce type crache quelque chose, c’est tout. Il avait volé un bazar et il devait le rendre. On l’a asticoté, c’était le contrat.

— Le contrat ?

— Ouais, on nous avait loués. Un petit boulot, quoi.

— Où l’avez-vous « asticoté » ?

— Dans une salle de gym. On nous avait refilé l’adresse, le nom du type et le nom du rade où on devait se regrouper. Parce qu’on ne se connaissait pas avant.

— Aucun de vous ?

— Non. On était sept, et personne ne se connaissait. Il nous avait tous piochés séparément. Un malin.

— Où vous avait-on piochés ? Roubaud haussa les épaules.

— Dans des endroits où on trouve des gars qui veulent bien asticoter les autres pour de la tune. C’est pas très sorcier. Moi, on m’a alpagué dans une boîte de merde de la rue Saint-Denis. Parole, je ne touche plus à ce genre de business depuis des lunes. Parole, commissaire.

— Qui t’a alpagué ?

— Je n’en sais rien, tout était par écrit. Une fille qui m’a remis le courrier. Du papier chic, propre. J’ai fait confiance.

— De la part de qui ?

— Parole, je n’ai jamais su qui nous louait. Trop futé, le patron. Des fois qu’on aurait réclamé davantage.

— Alors vous vous êtes retrouvés tous les sept et vous avez été cueillir votre victime.

— Oui.

— C’était quand ?

— Un 17 mars, un jeudi.

— Et vous l’avez embarqué dans cette salle de gym. Et ensuite ?

— Je l’ai dit, merde, dit Roubaud en s’agitant sur sa chaise. On l’a asticoté.

— Efficace ? Il a craché ce qu’il devait cracher ?

— Oui. Il a fini par téléphoner. Il a refilé toutes les informations.

— De quoi s’agissait-à ? Fric ? Dope ?

— Je n’ai pas compris, parole. Le patron a dû être satisfait, parce qu’on n’en a plus entendu parler.

— Bien payé ?

— Ouais.

— Asticoté, hein ? Et le type a tout craché ? Tu ne dirais pas plutôt torturé ?

— Asticoté.

— Et votre victime vous ferait payer huit ans plus tard ?

— C’est ce que je crois.

— Pour un asticotage ? Tu te fous de moi, Roubaud. Tu vas rentrer chez toi.

— C’est la vérité, dit Roubaud en s’accrochant à sa chaise. Pourquoi qu’on les aurait torturés, merde ? Ils avaient rien dans le ventre, ils se faisaient dessus rien que de nous regarder.

— « Ils » ?

Roubaud avala de nouveau sa lèvre inférieure.

— Ils étaient plusieurs ? Grouille-toi, Roubaud, je sens que ça presse.

— Il y avait une fille aussi, murmura Roubaud. On n’a pas eu le choix. Quand on est venus saisir le mec, il était avec sa copine, qu’est-ce que ça change ? On les a embarqués tous les deux.

— Asticotée aussi, la fille ?

— Un petit peu. Pas moi, je le jure.

— Tu mens. Sors de ce bureau, je ne veux plus te voir. Cavale vers ton destin, Kévin Roubaud, je m’en lave les mains.

— C’était pas moi, dit Roubaud en chuchotant, je le jure. Je ne suis pas une brute. Un peu sur les bords si on me cherche mais pas comme les autres. Moi, je rigolais juste, et assurais les arrières.

— Je te crois, dit Adamsberg, qui ne le croyait nullement. Tu rigolais de quoi ?

— Eh ben, de ce qu’ils faisaient.

— Dépêche-toi, Roubaud, tu n’as plus que cinq minutes et je te vire.

Roubaud prit une bruyante inspiration.

— Ils l’ont désapé, continua-t-il à voix basse, ils lui ont versé de l’essence sur la… sur le…

— Sur le sexe, suggéra Adamsberg.

Roubaud acquiesça. Les gouttes de sueur roulaient sur ses joues et venaient se perdre sur son torse.

— Ils ont allumé des briquets et ils lui ont tourné tout autour, en s’approchant de sa… de son truc. Le type, il hurlait, il mourait de trouille à l’idée que son machin parte en flammes.

— Asticoté, murmura Adamsberg. Après ?

— Après, ils l’ont retourné sur la table de gym, et puis ils l’ont clouté.

— Clouté ?

— Ben oui. Ça s’appelle décorer un gars. Ils lui ont enfoncé des punaises dans le corps, et puis ils lui ont collé une matraque dans les, dans le, dans le cul.

— Formidable, dit Adamsberg entre ses dents. Et la jeune fille ? Ne me dis pas que vous n’avez pas touché à la fille.