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— Pas moi, cria Roubaud, j’assurais les arrières. Juste je me marrai.

— Et aujourd’hui, tu te marres encore ?

Roubaud baissa la tête, les mains toujours accrochées à la chaise.

— La fille ? répéta Adamsberg.

— Violée par les cinq types, coup sur coup. Elle a fait une hémorragie. A la fin, elle était inerte. J’ai même cru qu’on avait fait la bourde, qu’elle était morte. En fait, elle était devenue folle, elle ne reconnaissait plus personne.

— Cinq ? Je croyais que vous étiez sept.

— Je l’ai pas touchée.

— Mais le sixième gars ? Il n’a rien fait ?

— C’était une fille. Elle, dit Roubaud en montrant du doigt la photo de Marianne Bardou. Elle était maquée avec un des gars. On voulait pas de gonzesses mais elle était accrochée, alors elle a suivi.

— Qu’est-ce qu’elle faisait ?

— C’est elle qui a étalé l’essence. Elle se marrait bien.

— Décidément.

— Oui, dit Roubaud.

— Et ensuite ?

— Après que le gars a eu fini de téléphoner, dans son vomi, on les a foutus dehors tous les deux, à poil avec leur fourbi, et on a tous été se pinter la gueule.

— Bonne soirée, commenta Adamsberg. Ça s’arrose.

— Parole, ça m’a refroidi. J’ai jamais retouché à ça, et j’ai jamais revu les types. J’ai reçu les tunes par la poste, comme convenu, et j’en ai plus entendu parler.

— Jusqu’à cette semaine.

— Oui.

— Où tu as reconnu les victimes.

— Seulement lui, lui, et la femme, dit Roubaud en désignant les photos de Viard, Clerc et Bardou. Je ne les avais vus qu’un soir.

— T’as percuté, tout de suite ?

— Seulement après le meurtre de la femme. Je l’ai reconnue parce qu’elle avait plein de grains de beauté sur le visage. Alors j’ai regardé les photos des autres, et j’ai pigé.

— Qu’il était revenu.

— Oui.

— Tu sais pourquoi il a attendu tout ce temps ?

— Non, je le connais pas.

— Parce qu’il a fait cinq ans de taule après ça. Sa petite amie, la fille que vous avez rendue cinglée, s’est jetée par la fenêtre un mois plus tard. Digère ça, Roubaud, si tu n’en as pas déjà assez sur le râble.

Adamsberg se leva, ouvrit grand la fenêtre pour respirer, chasser l’odeur de la sueur et de l’horreur. Il resta penché un moment à la rambarde, abaissant son regard vers les gens qui marchaient en dessous, dans la rue, et qui n’avaient pas entendu l’histoire. Sept heures quinze. Le semeur dormait toujours.

— Pourquoi as-tu peur, puisqu’il est en taule ? dit-il en se retournant.

— Parce que c’est pas lui, souffla Roubaud. Vous vous êtes foutu le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Le gars qu’on a torturé, c’était un grand malingre qu’on aurait fait sauter d’une pichenette, un minable, une lavette, un intellectuel de mes deux qu’aurait pas pu soulever une pince à linge. Le type qu’ils ont montré à la télé, c’est un costaud, un physique, rien à voir, vous pouvez me croire.

— Sûr ?

— Certain. Ce mec avait une gueule d’alouette, je m’en souviens très bien. Il est toujours dehors, et il me guette. Je vous ai tout dit maintenant, je demande la protection. Mais parole, j’ai rien fait, j’assurais…

— Les arrières, j’ai entendu, ne te fatigue pas. Mais tu ne crois pas qu’un homme a pu changer, en cinq ans de taule ? Surtout s’il a décidé de se venger, comme une idée fixe ? Tu ne crois pas que des muscles, ça se fabrique, à la différence d’une cervelle ? Et que si toi, t’es resté aussi con, lui, il a pu se transformer, volontairement ?

— Pour quoi faire ?

— Pour nettoyer la honte, pour vivre et pour vous condamner.

Adamsberg alla à l’armoire, en tira un sachet plastique qui contenait une grande enveloppe ivoire, et la balança doucement sous les yeux de Boubaud.

— Tu connais ça ?

— Oui, dit Roubaud en plissant le front. Il y en avait une par terre quand j’ai quitté la maison tout à l’heure. Il n’y avait rien dedans, c’était vide et déjà ouvert.

— C’était lui, le semeur. C’est l’enveloppe qui t’a largué les puces missiles.

Roubaud serra ses deux bras sur son ventre.

— Tu as peur de la peste ?

— Pas trop, dit Roubaud. Je ne crois pas vraiment à ces conneries, c’est du flan pour embobiner. Je crois qu’il étrangle.

— Et tu as raison. Cette enveloppe, tu es certain qu’elle n’était pas là hier ?

— Certain.

Adamsberg se passa la main sur la joue, pensif.

— Viens le voir, dit-il en se dirigeant vers la porte. Roubaud hésita.

— Tu te marres moins qu’avant, hein ? Quand c’était le bon temps ? Viens, tu ne risques rien, la bête est en cage.

Adamsberg traîna Roubaud jusqu’à la cellule de Damas.

Celui-ci dormait encore du sommeil du juste, le visage de profil posé sur la couverture.

— Regarde-le bien, dit Adamsberg. Prends ton temps. N’oublie pas que ça fait presque huit ans que tu ne l’as pas vu et qu’alors, le gars n’était pas au mieux de sa forme.

Roubaud examina Damas à travers les barreaux, presque fasciné.

— Alors ? demanda Adamsberg.

— C’est possible, dit Roubaud. La bouche, c’est possible. Faudrait que je voie ses yeux.

Adamsberg ouvrit la cellule sous le regard presque paniqué de Roubaud.

— Tu veux que je referme ? demanda Adamsberg. Ou tu veux que je te boucle en sa compagnie, pour que vous puissiez vous amuser ensemble comme quand vous étiez jeunes, en évoquant les bons souvenirs ?

— Déconnez pas, dit Roubaud sombrement. Il est peut-être dangereux.

— Toi aussi tu l’as été, dangereux.

Adamsberg s’enferma avec Damas et Roubaud le regarda comme on admire un dompteur qui pénètre dans l’arène. Le commissaire secoua Damas à l’épaule.

— Réveille-toi, Damas, tu as de la visite.

Damas s’assit en grommelant et regarda les murs de la cellule, stupéfait. Puis il se souvint et jeta ses cheveux en arrière.

— Qu’y a-t-il ? demanda-t-il. Je peux partir ?

— Mets-toi debout. Il y a un mec qui veut te regarder, une vieille relation.

Damas s’exécuta, roulé dans sa couverture, toujours docile, et Adamsberg observa alternativement les deux hommes. Le visage de Damas sembla se fermer légèrement. Roubaud écarquilla les yeux, puis s’éloigna.

— Alors ? demanda Adamsberg une fois dans son bureau. Ça te revient ?

— C’est possible, dit Roubaud, mal convaincu. Mais si c’est lui, il a doublé de volume.

— Son visage ?

— C’est possible. Il n’avait pas les cheveux longs.

— Tu ne te mouilles pas, hein ? Parce que t’as peur ? Roubaud hocha la tête.

— Tu n’as peut-être pas tort, dit Adamsberg. Ton vengeur n’opère probablement pas seul. Je te garde ici jusqu’à ce qu’on y voie plus clair.

— Merci, dit Roubaud.

— Donne-moi le nom de la prochaine victime.

— Ben moi.

— J’ai compris. Mais l’autre ? Vous étiez sept, moins cinq qui sont morts égale deux, moins toi égale un. Qui est-ce qui reste ?

— Un type efflanqué et laid comme une taupe, le plus mauvais de la troupe, à mon avis. C’est lui qui a mis la matraque.

— Son nom ?

— On ne s’est pas dit les noms, ni les prénoms. Sur ce genre de coup, personne ne prend de risque.

— Age ?

— Comme nous tous. Il avait dans les vingt, vingt-cinq.