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1 Catherine II : Mémoires.

2 C'est le début de la guerre de Sept Ans.

II

LE PREMIER FAUX PAS DU GRAND-DUC PAUL

La rancune de Pierre III envers la tsarine défunte est telle que, dès son avènement, il entend se poser en adversaire de la politique qu'elle a menée à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. C'est, de sa part, plus qu'une affirmation de son caractère et de ses principes : le désir de jeter bas tout ce qu'elle a édifié et d'insulter à sa mémoire. Dans la nuit qui suit son accession au pouvoir, il donne l'ordre aux forces russes qui, après avoir occupé Berlin, achèvent l'anéantissement de la résistance ennemie, d'arrêter les hostilités et de se retirer des territoires conquis. Mettant fin ainsi, de son propre chef, à la guerre de Sept Ans, sans même tenir compte des intérêts de ses alliés, la France et l'Autriche, il écrit une lettre personnelle à Frédéric II pour l'assurer de son admiration et de son soutien. Le roi qui, hier encore, ébranlé par une succession de défaites, s'apprêtait à abandonner définitivement ses droits sur la Prusse orientale, exulte et crie au miracle. Un fou vient de lui sauver la face devant son peuple et devant l'Histoire. Poussant sa résolution jusqu'au bout, Pierre III élabore, avec le baron von Goetz, envoyé spécial du cabinet de Berlin, les conditions d'une paix séparée, qui sera signée le 5 mai 1762.

Aux termes de cet accord, la Russie victorieuse ne se borne pas à restituer à la Prusse toutes les régions occupées, mais promet de joindre ses troupes aux troupes prussiennes pour lutter contre les Autrichiens, ses anciens compagnons de combat. Cette honteuse volte-face indigne les milieux militaires russes qui ne comprennent pas que, sur un coup de tête, le tsar les prive d'une gloire acquise au prix de tant de souffrance et de tant de morts. Le sentiment d'être trahis par celui qui devrait les protéger et les honorer s'accentue lorsque Pierre III, fidèle à sa manie, décide d'imposer à son armée la discipline prussienne et même l'uniforme prussien. Emporté par sa germanophilie, il va jusqu'à nommer des officiers originaires du Holstein à la tête de certains de ses régiments, s'émerveille de voir ses soldats s'habiller et parader à l'allemande, et fait tirer le canon à tout propos, afin d'habituer les habitants de la capitale à l'esprit martial prôné par son modèle, Frédéric II. Mais cela ne suffit pas à son contentement : luthérien de naissance et orthodoxe par nécessité, il s'en prend également à l'Eglise, dont il juge l'enseignement suranné et la richesse excessive. Il rêve de remplacer la soutane des popes par la redingote des pasteurs et de raser la barbe des prêtres. Dans le même élan novateur, il décrète des mesures de tolérance envers les hérétiques et notamment envers la secte des vieux-croyants, persécutée par les autorités ecclésiastiques. Enfin, poussant l'audace irréligieuse à son comble, il entreprend la confiscation d'une partie des biens de l'Eglise, laquelle possède des domaines immenses, peuplés de milliers de serfs et ne paie pas d'impôt à l'Etat. Du coup, le haut clergé s'insurge contre une mesure jugée sacrilège et qui, selon certains, prouve le dérangement mental de l'empereur. Comme pour se racheter aux yeux des esprits conservateurs et plus particulièrement des membres de l'aristocratie, Pierre III signe, après une nuit de beuverie, un décret libérant les nobles du service militaire, sauf en cas de guerre, et renforçant leurs droits sur les moujiks attachés à la glèbe, qui sont leur propriété au même titre que le cheptel de leurs écuries et de leurs étables.

Tandis que les oukases pleuvent sur le crâne des habitants des villes et des campagnes, Pierre III est repris par sa passion guerrière et songe à attaquer le Danemark pour rentrer en possession d'une des terres héréditaires de sa famille, le Schleswig. Mais il manque de suite dans les idées. Sautant d'un projet à l'autre, il préfère détruire plutôt que construire et se divertir dans la débauche plutôt que pâlir sur des rapports de ministres et d'ambassadeurs. Chaque matin, à leur réveil, ses sujets se demandent quelle nouvelle lubie de Sa Majesté va bouleverser leurs habitudes.

Cette situation cahoteuse ne peut s'éterniser. Çà et là, des émeutes éclatent, en province, et la troupe doit intervenir pour rétablir l'ordre. Renseignée par des amis sur les soubresauts qui agitent la population, Catherine devine qu'une chance unique se présente à elle de secouer le joug d'un homme qui, tout à la fois, la persécute et désespère le pays. Elle sait, par certains témoins, qu'au cours de ses orgies Pierre III déclare, à qui veut l'entendre, qu'il fera tondre sa femme infidèle et l'enfermera dans un cloître, à l'exemple de son aïeul Pierre le Grand, lorsque celui-ci s'est séparé de l'impératrice Eudoxie. Chaque soir ou presque, il injurie Catherine en public et se querelle, à la façon d'un portefaix, avec sa maîtresse, la Vorontzov, aussi soûle et mal embouchée que lui. Devant cette dégradation de la dignité impériale, Nikita Panine songe au meilleur moyen de limiter les dégâts. Plus aventureux dans leurs projets, d'autres partisans de Catherine, à la tête desquels se trouvent son amant, Grégoire Orlov et les quatre frères de celui-ci, Alexis, Fedor, Ivan et Vladimir, estiment qu'il est temps de passer à l'action et préconisent de s'assurer le soutien de l'armée. Aidés de la grande amie de Catherine, la princesse Catherine Dachkov, ils intriguent dans les salons et dans les casernes. Leur but, destituer Pierre III et porter Catherine au pouvoir, non comme régente avec le petit Paul à ses côtés, mais comme impératrice à part entière. Ils ont une telle confiance en ce dessein hasardeux que Catherine se laisse gagner par leur enthousiasme. Prête à franchir le pas, il lui faut beaucoup de sang-froid pour cacher son ambition et son anxiété à son fils et à Nikita Panine, lequel se contenterait pour elle d'une régence.