Son compagnon a fait un signe affirmatif et fut d'accord, résigné :
Sans aucun doute. Nous irons de l'avant ; Jésus nous assistera.
Et ils se sont mis à commenter la position de Lystre ainsi que les coutumes intéressantes de ses gens simples. Onesiphore y avait une sœur qui était veuve et portait le nom de Loïde. Il donnerait une lettre de recommandation aux missionnaires. Ils seraient les hôtes de sa sœur pendant le temps qu'il leur faudrait.
Les deux prêcheurs de l'Évangile se réjouissaient. Surtout Barnabe qui ne retenait pas sa satisfaction voyant la triste idée de se retrouver complètement isolés s'éloigner.
Le lendemain, après d'émouvants adieux, les missionnaires reprenaient la route qui les conduirait vers de nouveaux combats.
Après un laborieux voyage, ils sont arrivés au crépuscule grisâtre dans la petite ville. Ils étaient épuisés.
La sœur d'Onesiphore, néanmoins, fut prodigue de gentillesses. Loïde qui était veuve d'un Grec aisé, vivait en compagnie de sa fille Eunice également veuve, et de son petit-fils Timothée dont l'intelligence et les généreux sentiments étaient le plus grand enchantement de ces deux femmes. Les messagers de la Bonne Nouvelle furent reçus dans ce foyer avec d'évidentes preuves de sympathie. L'indicible affection de cette famille fut un baume réconfortant pour eux deux. Comme à son habitude, à la première occasion Paul s'est rapporté à son désir immense de travailler, pendant le temps de sa permanence à Lystre, de sorte à ne pas se rendre passible de médisance ou de critique, mais la propriétaire de la maison s'y est fermement opposée. Ils étaient ses hôtes. La recommandation d'Onesiphore suffisait pour qu'ils soient tranquilles. De plus, expliqua-t-elle : Lystre était une ville très pauvre, il n'y avait que deux humbles commerces où l'on ne faisait jamais de tapis.
Paul était très sensible à cet aimable accueil. Le soir de leur arrivée, il observa la tendresse avec laquelle Timothée, qui avait à peine plus de treize ans, prenait les parchemins de la Loi de Moïse et les Saintes Écritures des prophètes. L'apôtre laissa les deux dames commenter les révélations en compagnie du garçon, jusqu'à ce qu'il soit amené à intervenir. Quand le moment fut venu, il profita de l'occasion pour faire la première présentation du Christ au cœur transporté de ses auditeurs. Dès qu'il se mit à parler, il observa la profonde impression des deux femmes dont les yeux brillaient de ferveur ; mais le petit Timothée l'écoutait avec tant d'intérêt que plusieurs fois il caressa son front songeur.
Les parents d'Onesiphore reçurent la Bonne Nouvelle avec des joies infinies. Le lendemain, ils ne parlèrent pas d'autre chose. Le jeune garçon posait des questions de toute sorte. L'apôtre lui répondait avec joie et un intérêt fraternel.
Pendant trois jours, les missionnaires se livrèrent au doux repos de leur corps. Paul profita de l'occasion pour parler longuement avec Timothée, près de la grande étable où les chèvres se reposaient.
Ce n'est que le samedi qu'ils cherchèrent à se rapprocher de la population. Lystre était pleine de légendes et de croyances les plus étranges. Les familles judaïques étalent très rares et le peuple simple acceptait comme des vérités tous les symboles mythologiques. La ville n'avait pas de synagogue, mais un petit temple consacré à Jupiter que les paysans acceptaient comme le père absolu des dieux de l'Olympe. Il y avait un culte organisé. Les réunions s'effectuaient périodiquement, les sacrifices étaient nombreux.
Sur une place nue, un petit marché avait lieu dans la matinée.
Paul comprit qu'il ne trouverait pas un meilleur local pour un premier contact direct avec le peuple.
Du haut d'une tribune improvisée de pierres entassées là, il se mit à prêcher d'une voix forte et émouvante. La foule se rassembla immédiatement. Quelques-uns apparaissaient des maisons calmes pour vérifier la raison d'un tel rassemblement. Personne ne se souvint d'acheter de la viande, des fruits, des légumes. Tous voulaient entendre l'étranger inconnu.
L'apôtre parla, premièrement, des prophéties qui avalent annoncé l'arrivée du Nazaréen, puis il se mit à exposer ce que Jésus avait fait parmi les hommes. Il a dépeint le paysage de Galilée avec les couleurs les plus brillantes de son génie descriptif, a parlé de l'humilité et de l'abnégation du Messie. Alors qu'il se rapportait aux guérisons prodigieuses que le Christ avait réalisées, U remarqua qu'un petit groupe d'assistants lui adressait des railleries. Enflammé de ferveur dans son éloquence, Paul se souvint du jour où il vit Etienne guérir une jeune muette, au nom du Seigneur.
Certain que le Maître ne l'abandonnerait pas, il a promené son regard parmi la foule nombreuse. À une distance de quelques mètres, il vit un mendiant misérable qui se traînait laborieusement. Impressionné par le discours évangélique, l'estropié de Lystre s'est approché se traînant par terre et s'asseyant avec difficulté, il a fixé ses yeux dans ceux du prêcheur qui l'observait grandement ému.
Renouvelant les valeurs de sa foi, Paul l'a dévisagé avec énergie et a parlé avec autorité :
- Ami, au nom de Jésus, lève-toi !
Les yeux fixés sur l'apôtre, le misérable s'est levé avec facilité, tandis que la multitude jetait des cris d'effarement. Certains reculèrent atterrés. D'autres se rapprochaient de Paul et de Barnabe, les dévisageant, fascinés et satisfaits. L'infirme se mit à sauter de joie. Connu dans la ville, depuis longtemps, la guérison prodigieuse ne laissait pas le moindre doute.
Nombreux furent ceux qui s'agenouillèrent. D'autres coururent aux quatre coins de Lystre pour annoncer que le peuple avait reçu la visite des dieux. La place se remplit en quelques minutes. Tous voulaient voir le mendiant qui avait retrouvé la liberté de ses mouvements. Le succès s'est répandu rapidement. Barnabe et Paul étaient Jupiter et Mercure descendus de l'Olympe. Les apôtres, jubilaient des dons prodigués par Jésus, mais profondément surpris par l'attitude des lycaoniens, ils comprirent bientôt leur malentendu. Au beau milieu du respect général, Paul est à nouveau monté à la tribune improvisée pour expliquer que lui et son compagnon n'étaient que de simples créatures mortelles et soulignaient la miséricorde du Christ qui avait daigné ratifier la promesse de l'Évangile en cet Instant inoubliable. En vain, néanmoins, il multiplia ses clarifications. Tous écoutaient ses propos agenouillés dans une attitude statique. Ce fut là qu'un vieux prêtre, portant les habits de l'époque, est apparu inopinément conduisant deux bœufs ornés de fleurs, faisant des manières et des gestes solennels. À voix haute, le ministre de Jupiter invita le peuple au cérémonial du sacrifice aux dieux vivants.
Paul perçut le mouvement populaire et descendit immédiatement au milieu de la place où il cria de toute la force de ses poumons en ouvrant sa tunique à la hauteur de sa poitrine :
Ne commettez pas de sacrilèges !... Nous ne sommes pas des dieux... Voyez !... Nous ne sommes que de simples créatures de chair !...
Suivi de près par Barnabe, il ravit des mains du vieux prêtre la délicate tresse en cuir qui retenait les animaux, libérant les deux taureaux pacifiques qui se mirent à dévorer leurs couronnes vertes.
Le ministre de Jupiter voulut protester, puis se tut, très déçu. Et face aux commentaires les plus extravagants, les missionnaires battirent en retraite, soucieux de trouver un lieu de prière où ils pourraient élever à Jésus leurs vœux de joie et de reconnaissance.
Grand triomphe ! - a dit Barnabe presque fier. - Les dons du Christ ont été nombreux, le Seigneur se souvient de nous !...
Paul était pensif et répliqua :
Quand on reçoit beaucoup de faveurs, nous devons penser aux nombreux témoignages. Je pense que nous passerons par de grandes épreuves. D'ailleurs, nous ne devons pas oublier que la victoire de l'entrée du Maître à Jérusalem a précédé les supplices de la croix.