Au bout de quatre mois, un émissaire de Jérusalem apportait la nouvelle attendue de Pierre concernant l'assemblée. Assisté de Barnabe, l'ex-rabbin a accéléré les mesures indispensables. À la veille de partir, il est monté à la tribune et a renouvelé sa promesse des concessions espérées des gentils, insensible au sourire ironique que quelques Israélites déguisaient prudemment.
Le lendemain matin, la petite caravane est partie. Elle se composait de Paul et de Barnabe, de
Tite et de deux autres frères qui les accompagnaient comme assistants.
Ils firent un voyage lent, s'arrêtant à tous les villages pour prêcher la Bonne Nouvelle, apportant la guérison et la consolation chez les populations.
Après plusieurs jours, ils arrivèrent à Jérusalem où ils furent reçus par Simon avec une indicible satisfaction. En compagnie de Jean, le généreux apôtre leur a offert un accueil fraternel. Tous séjournèrent là où se trouvaient de nombreux nécessiteux et malades. Paul et Barnabe examinèrent les modifications introduites dans la maison. Bien que modestes, d'autres pavillons s'étendaient et couvraient maintenant tout un secteur.
Les services ne cessent d'augmenter - expliquait Simon avec bonté - ; les malades, qui frappent à nos portes, se multiplient tous les jours. Il a fallu construire de nouvelles dépendances.
La rangée de lits paraissait sans fin. Des blessés et des petits vieux se distrayaient au soleil entre les arbres amis du potager.
Paul était admiratif quant à la grandeur des œuvres réalisées. Peu après, Jacques et d'autres compagnons vinrent saluer les frères de l'institution antiochienne. L'ex-rabbin a fixé l'apôtre qui commandait les prétentions du judaïsme. Le fils d'Alphée lui semblait, maintenant. radicalement transformé. Ses manières étaient celles d'un « maître d'Israël », avec toutes les caractéristiques indéfinissables des usages pharisiens. Il ne souriait pas. Ses yeux laissaient percevoir une présomption de supériorité qui frisait l'indifférence. Ses gestes étaient mesurés comme ceux d'un prêtre du Temple, lors des actes cérémoniaux. Le tisserand de Tarse fit abstraction de ses déductions personnelles et a attendu la soirée, heure à laquelle s'initieraient les discussions préparatoires. À la clarté de quelques torches, s'assirent autour d'une grande table différents participants que Paul ne connaissait pas. Il s'agissait de nouveaux coopérateurs de l'église de Jérusalem, expliqua Pierre, avec bonté. À première vue, l'ex-rabbin et Barnabe n'eurent pas une bonne impression. Les inconnus ressemblaient davantage à des personnages du Sanhédrin, dans leur position hiérarchique conventionnelle.
Une fois arrivés dans l'enceinte, le converti de Damas éprouva sa première déception.
Observant que les représentants d'Antioche étaient accompagnés d'un jeune garçon, Jacques s'est avancé et a demandé :
Frères, il est juste que nous sachions qui est ce jeune qui vous accompagne à ce discret cénacle. Notre préoccupation se base sur des règles conforment à la tradition qui ordonne d'examiner d'où vient ce jeune, afin que les services de Dieu ne soient pas perturbés.
Il s'agit de notre valeureux collaborateur d'Antioche - a expliqué Paul, avec fierté et satisfaction -, il s'appelle Tite et représente l'un de nos plus grands espoirs dans la récolte de Jésus-Christ.
L'apôtre l'a fixé sans surprise et poursuivit ses questions :
Est-il le fils du peuple élu ?
Il est descendant de gentils - a affirmé l'ex-rabbin, presque avec hauteur.
Circoncis ? - a interrogé le fils d'Alphée méfiant.
Non.
Ce non, de Paul, fut dit avec le même ennui. Les exigences de Jacques l'énervaient. À ce refus, l'apôtre galiléen a expliqué sur un ton ferme :
Je pense, alors, qu'il ne serait pas juste de l'admettre à cette assemblée puisqu'il ne répond pas encore à toutes ses règles.
Nous faisons appel à Simon Pierre - dit Paul, convaincu. - Tite est représentatif de notre communauté.
L'ex-pêcheur de Capharnaum était livide. Placé entre deux grands représentants du judaïsme et des gentils, il devait décider à brûle-pourpoint de l'impasse inattendue.
Comme son intervention directe tardait à venir, le tisserand tarsien a continué :
D'ailleurs, la réunion devra décider de ces questions palpitantes, afin que s'établissent les droits légitimes des gentils.
Simon, néanmoins, connaissant les deux rivaux, s'est empressé de donner son opinion, s'exclamant sur un ton conciliateur :
Oui, ce sujet fera l'objet de notre examen attentif lors de l'assemblée. - Et adressant intentionnellement son regard à l'ex-rabbin, il continua son explication : - Tu fais appel à moi et j'accepte ta demande ; néanmoins, nous devons étudier l'objection de Jacques plus attentivement. Il s'agit d'un chef dévoué de cette maison et il ne serait pas juste de mépriser ses qualités. Effectivement, le conseil discutera de ce cas, mais cela signifie que le sujet n'est pas encore décidé. Je propose alors que le frère Tite soit circoncis demain pour participer aux débats avec l'inspiration supérieure que je lui connais. Et ce n'est qu'une fois que cette mesure sera prise que les horizons seront dûment élucidé pour la bonne tranquillité de tous les disciples de l'Évangile.
La subtilité de l'argument retira toute objection possible. S'il ne satisfit pas Paul, il avait contenté la majorité et alors que le jeune d'Antioche retournait à l'intérieur de la maison, l'assemblée initia les discussions préliminaires. L'ex-rabbin était taciturne et abattu. L'attitude de Jacques, les nouveaux participants étrangers à l'Évangile qui devaient voter à la réunion, le geste conciliateur de Simon Pierre, le contrariaient profondément. Cette imposition dans le cas de Tite était à ses yeux un crime. Il avait envie de retourner à Antioche, d'accuser d'hypocrites et de « pharisiens » les frères judaïsants. Mais, et les lettres d'émancipation qu'il avait promises aux compagnons des gentils ? Ne valait-il pas mieux avaler sa susceptibilité blessée par amour pour ses frères d'idéal ? Ne serait-il pas plus juste d'attendre les délibérations définitives et s'humilier ? Le souvenir de ses amis qui comptaient sur ses promesses, le calma. Profondément déçu, le converti de Damas a accompagné attentif les premiers débats. Les questions initiales donnaient une idée des grandes modifications qu'ils cherchaient à introduire dans l'Évangile du Maître.
L'un des frères présents en arrivait à dire que les gentils devaient être considérés comme le « bétail » du peuple de Dieu : des barbares qui devaient être soumis de force afin d'être employés aux travaux les plus lourds des élus. Un autre cherchait à savoir si les païens étaient semblables aux autres hommes convertis à Moïse ou à Jésus. Un vieillard aux traits sévères en arrivait à l'absurdité d'assurer que l'homme n'arrivait à se compléter qu'une fois circoncis. En marge du thème relatif aux gentils, d'autres sujets futiles furent évoqués. Il y eut ceux qui rappelaient que l'assemblée devait réglementer les devoirs concernant les aliments impurs, ainsi que le mode le plus approprié du lavage des mains. Jacques faisait valoir son opinion et discourait comme un profond connaisseur de toutes les règles. Pierre l'écoutait avec une grande sérénité. Jamais il ne répondait quand l'opinion prenait le caractère de la conversation, et attendait le moment opportun pour se manifester. Il ne prit une attitude plus énergique que lorsque l'un des composants du conseil demanda à. ce que l'Évangile de Jésus soit incorporé au livre des prophètes, tout en restant subordonné à la Loi de Moïse à toutes fins utiles. Ce fut là, la première fois que Paul de Tarse a remarqué l'ex-pêcheur intransigeant et presque sévère expliquer l'absurdité d'une telle suggestion.
Les travaux s'arrêtèrent tard dans la nuit, en phase de pure préparation. Jacques rassembla les parchemins avec des annotations, pria agenouillé et l'assemblée s'est dispersée pour une nouvelle réunion le lendemain.