Le programme que le généreux apôtre des gentils aurait à se soumettre pour le reste de ses jours était ainsi esquissé. Pour sa réalisation, il aurait à souffrir des plus cruelles accusations ; mais au sanctuaire de son cœur dévoué et sincère, de paire avec les services apostoliques grandioses, Paul apporterait sa collecte en faveur de Jérusalem jusqu'à la fin de son existence sur terre.
En entendant ses plans, Simon s'est levé et l'a étreint, lui disant ému :
Oui, mon ami, ce ne fut pas en vain que Jésus est allé te chercher personnellement aux portes de Damas.
Un fait assez rare dans sa vie, Paul avait les yeux pleins de larmes. Il a regardé l'ex- pêcheur d'une manière significative, considérant intimement ses dettes de gratitude envers le Sauveur, et a marmonné :
Je ne ferai rien de plus que mon devoir. Jamais je ne pourrai oublier qu'Etienne est sorti des grabats de cette maison, qui m'ont aussi déjà servi.
Ils étaient tous extrêmement émus. Barnabe a commenté cette idée avec enthousiasme et a enrichi le plan de nombreux détails.
En cette nuit, les dévoués disciples du Christ ont rêvé de l'indépendance de l'Évangile à Jérusalem ; de l'émancipation de l'église, sauvée des impositions absurdes de la synagogue.
Le lendemain, ils ont procédé solennellement à la circoncision de Tite, sous la soigneuse direction de Jacques et à la profonde répugnance de Paul de Tarse.
Les assemblées nocturnes ont continué pendant plus d'une semaine. Lors des premières nuits, à préparer le terrain pour préconiser ouvertement la cause des gentils, l'ex- pêcheur de Capharnaum a demandé aux représentants d'Antioche d'exposer leur impression lors des visites aux païens de Chypre, de Pamphylie, de Pisidie et de Lycaonie. Paul, qui était profondément contrarié par les exigences appliquées à Tite, a demandé à Barnabe de parler en son nom.
L'ex-lévite de Chypre a fait un rapport complet de tous les événements, provoquant l'immense surprise de ceux qui écoutaient les références faites à l'extraordinaire pouvoir de l'Évangile, parmi les populations qui n'avaient pas encore épousé une croyance pure. Ensuite, répondant encore aux commentaires de Paul, Tite a parlé, profondément ému, de l'interprétation des enseignements du Christ et démontrant posséder un beau don de prophétie, il éveilla l'admiration de Jacques lui-même qui l'a étreint plus d'une fois.
Au terme des travaux, l'obligation de la circoncision pour les gentils était encore en discussion. L'ex-rabbin suivait les débats, silencieux, admirant le pouvoir de résistance et la tolérance de Simon Pierre.
Lorsque l'ex-pêcheur reconnut que les divergences continueraient indéfiniment, il s'est levé et a demandé la parole, faisant la généreuse et sage exhortation fourme par les Actes des apôtres (chapitre 15, versets 7 à 11) :
Frères - a commencé Pierre, énergique et serein -, vous savez bien que depuis longtemps Dieu nous a élus pour que les gentils entendent les vérités de l'Évangile et croient en son Royaume. Le Père, qui connaît les cœurs, a donné aux circoncis et aux incirconcis la parole du Saint-Esprit. Au jour glorieux de la Pentecôte les voix ont parlé sur la place publique de Jérusalem pour les enfants d'Israël et des païens. Le Tout-Puissant a résolu que les vérités seraient annoncées indistinctement. Jésus a affirmé que les coopérateurs du Royaume arriveraient de l'Orient et de l'Occident. Je ne comprends pas pourquoi tant de controverses quand la situation est si claire à nos yeux. Le Maître a donné l'exemple du besoin d'harmonisation constante : il parlait avec les docteurs du Temple ; il fréquentait la maison des publicains ; il était l'expression de la bonne humeur pour tous ceux qui manquaient d'espoir ; il a accepté l'ultime supplice parmi les voleurs. Pour qu'elle raison devrions-nous maintenir un droit d'isolement sur ceux qui sont dans le plus grand besoin ? Un autre argument que nous ne devons pas oublier est l'arrivée de l'Évangile dans le monde alors que nous possédions déjà la Loi. Si le Maître nous l'a apporté, plein de son amour, avec les plus lourds sacrifices, serait-il juste de le renfermer dans les traditions conventionnelles, oubliant le travail à réaliser ? Le Christ ne nous a-t-il pas demandé de prêcher la Bonne Nouvelle à toutes les nations ? Bien sûr que nous ne pourrons pas mépriser le patrimoine des Israélites. Nous devons aimer, fils de la Loi que nous sommes, l'expression de profonde souffrance et d'expériences élevées qui nous vient du cœur à travers ceux qui ont précédé le Christ dans la tâche millénaire de préserver la foi en un seul Dieu ; mais cette reconnaissance doit induire notre âme à l'effort de rédemption de toutes les créatures. Abandonner les gentils à leur sort reviendrait à créer une dure captivité, plutôt que de pratiquer cet amour qui efface tous les péchés. C'est du fait de bien comprendre les juifs et de beaucoup estimer les desseins divins, que nous devons établir la plus grande fraternité avec les gentils en les convertissant en élément de fructification divine. Nous croyons que Dieu purifie notre cœur par la foi et non par les ordonnances du monde. Si aujourd'hui nous rendons grâce au triomphe glorieux de l'Évangile qui a institué notre liberté, comment imposer aux nouveaux disciples un joug que nous ne pouvons supporter nous-mêmes ? Je pense, alors, que la circoncision ne doit pas être un acte obligatoire pour ceux qui se convertissent à l'amour de Jésus-Christ, et je crois que nous ne nous sauverons que par la faveur divine du Maître qui s'étend généreusement à nous et à eux aussi.
Les paroles de l'apôtre tombèrent dans l'ébullition des opinions comme une douche froide. Paul était rayonnant, alors que Jacques ne réussissait pas à cacher sa déception.
L'exhortation de l'ex-pêcheur laissait place à de nombreuses interprétations ; s'il parlait du respect aimant aux juifs, il se rapportait aussi à un joug qu'il ne pouvait supporter. Personne, néanmoins, n'osa nier sa prudence et son indubitable bon sens.
Une fois terminée la prière, Pierre demanda à Paul de parler de ses impressions personnelles concernant les gentils. Avec plus d'espoir, pour la première fois l'ex-rabbin A pris la parole devant le conseil et invita Barnabe au Commentaire général, tous deux firent appel à l'assemblée pour qu'elle accorde la nécessaire indépendance aux païens A qui la circoncision se rapportait.
Une note de satisfaction générale régnait maintenant. Les commentaires de Pierre avaient fait taire tous les compagnons. C'est alors que Jacques a pris la parole, et se reconnaissant presque seul de son point de vue, il a expliqué que Simon avait été très bien inspiré dans son appel ; mais il demanda trois amendements pour que la situation reste bien claire. Les païens étaient exemptés de la circoncision, mais ils devaient assumer l'engagement de fuir l'idolâtrie, d'éviter la luxure et de s'abstenir des chairs d'animaux étouffés.
L'apôtre des gentils était satisfait. Le plus grand obstacle n'était plus.
Le lendemain les travaux prenaient fin et les résolutions furent inscrites sur des parchemins. Pierre fit en sorte que chaque frère prenne avec lui une lettre, comme preuve des délibérations, en vertu de la sollicitation de Paul qui désirait exhiber le document comme message d'émancipation des gentils.
Interpellé par l'ex-pêcheur, alors qu'ils étaient seuls, sur ses impressions personnelles concernant les travaux, l'ex-docteur de Jérusalem a clarifié avec un sourire :
En somme, je suis satisfait. Le plus difficile des problèmes a été résolu. L'obligation de la circoncision pour les gentils représente un crime à mes yeux. Quant aux amendements de Jacques, ils ne m'impressionnent pas, parce que l'idolâtrie et la luxure sont des actes détestables pour la vie privée de tout être ; quant aux repas, je suppose que tout chrétien pourra manger comme bon lui semble dès lors que les excès seront évités.