Luc n'oublia pas de demander si Timothée était circoncis. Il connaissait les intrigues des juifs et il ne désirait pas de frictions dans ses tâches initiales.
Ce problème - a expliqué l'apôtre des gentils - a déjà été traité. Les deux humiliations infligées à un jeune confrère que j'avais amené avec moi à Jérusalem, non pas au conseil de la synagogue mais à une réunion de l'église, m'amenèrent à réfléchir à la situation de Timothée qui aura très souvent besoin des faveurs des Israélites au cours de ses prédications. Jusqu'à ce que Dieu opère la circoncision de tant de cœurs endurcis, il est indispensable que nous sachions agir avec prudence, sans heurts qui annihilent nos efforts.
Le sujet réglé, ils sont entrés dans la ville où le médecin et le jeune de Lystre se reposèrent un peu, avant de se rendre à Thessalonique par des routes différentes, afin de multiplier les fruits de leur mission.
Ils logèrent dans une auberge presque misérable que la population de la ville réservait aux étrangers. Après trois nuits passées à la belle étoile, les amis de Jésus se sont dirigés de bon cœur vers cet abri qui se trouvait au bord du fleuve Gangas. Philippes ne possédait pas de synagogue et le sanctuaire destiné aux prières, bien que portant le nom de « maison », n'était rien d'autre qu'un coin tranquille dans la nature, entouré de murs en ruines.
Informé de la situation religieuse de la ville, Paul s'y est rendu avec ses compagnons. Très surpris, les missionnaires n'y trouvèrent que des femmes et des jeunes filles en prière. L'ex-rabbin a pénétré résolument dans le cercle féminin et a parlé des objectifs de l'Évangile, comme il l'aurait fait devant un grand public. Elles étaient toutes magnétisées par ses paroles ardentes et sublimes. Elles séchaient discrètement leurs larmes qui affluaient sur leur visage en recevant des nouvelles du Maître. L'une d'elles, appelée Lydie, une veuve digne et généreuse, s'est approchée des missionnaires se disant convertie au Sauveur promis, elle leur offrit sa propre maison pour fonder la nouvelle église.
Paul de Tarse l'a dévisagée les yeux larmoyants. En écoutant sa voix débordante d'une cristalline sincérité, il s'est souvenu qu'en Orient, le jour inoubliable du Calvaire, seules les femmes avaient accompagné Jésus dans ses pénibles angoisses, et avaient été les premières créatures à le voir dans sa glorieuse résurrection ; c'étaient encore elles qui, lors d'une douce réunion spirituelle, étaient venues recevoir la parole de l'Évangile en Occident pour la première fois. Dans une silencieuse contemplation, l'apôtre des gentils a fixé le grand nombre de jeunes filles qui étaient agenouillées à la douce ombre des arbres. Observant leurs vêtements très clairs, il eut l'impression qu'il avait devant lui une gracieuse bande de colombes très blanches, prêtes à prendre le glorieux envol des enseignements du Christ sous les merveilleux cieux de l'Europe.
C'est pour cela que contre toute attente, l'énergique prédicateur répondit à Lydie sur un ton très aimable.
Nous acceptons votre hospitalité.
Dès cet instant, est née entre Paul de Tarse et la chaleureuse église de Philippes la plus belle amitié.
Lydie, dont la maison était aisée vu le courant commercial de la pourpre, accueillit les disciples du Messie avec une Joie indicible. Entretemps, Luc et Tlmothcc continuaient leur voyage. Silas et l'ex-docteur de Jérusalem se consacraient au service de l'Évangile parmi les généreux habitants.
La ville se distinguait par son esprit romain. Il y avait dans les rues plusieurs temples dédiés aux dieux antiques. Et comme il n'y avait que les femmes qui pénétraient dans l'enceinte de la maison de prières, Paul, avec l'intrépidité qui le caractérisait, décida de prêcher l'Évangile sur la place publique.
À cette époque, Philippes avait une pythie qui était devenue célèbre dans les alentours. Comme dans les traditions de Delphes, sa parole était interprétée comme un oracle infaillible. Il s'agissait d'une jeune fille dont les employeurs cherchaient à marchander ses pouvoirs psychiques. Sa médiumnité était utilisée par des Esprits moins évolués qui se complaisaient à lui donner des intuitions sur des questions d'ordre temporel. La situation était hautement rentable pour ceux qui l'exploraient sans pitié. Il se trouva que la jeune fille était présente à la première prédication de Paul qui fut reçue par le peuple avec un succès inouï. Une fois l'exposition évangélique terminée, les missionnaires remarquèrent la jeune femme qui poussait des cris qui impressionnèrent le public et se mit à s'exclamer :
Recevez les envoyés du Dieu suprême !... Ils annoncent le salut !...
Paul et Silas restèrent un peu perplexes, mais ils ne réagirent pas à cet incident conservant une attitude discrète. Le lendemain, néanmoins, le fait se répéta et, pendant une semaine, les disciples de l'Évangile entendirent, après les prédications, l'entité qui prenait possession de la jeune fille leur lancer des compliments et des titres pompeux.
Mais l'ex-rabbin dès la première manifestation avait cherché à savoir qui était la jeune fille anonyme et fut informé de ses antécédents. Stimulés par le profit facile, ses patrons avaient installé un cabinet où la pythie donnait des consultations. Elle, à son tour, de victime était devenue partenaire de la société aux abondants revenus. Paul, qui n'avait jamais accepté le marchandage des biens célestes, perçut le mécanisme occulte des événements et, en possession de toutes les informations sur le sujet, a attendu que le visiteur de l'invisible se manifeste à nouveau.
Une fois son prêche terminé sur la place publique, la jeune fille se mit à crier : « Recevez les messagers de la rédemption ! Ce ne sont pas des hommes, mais des anges du Très-Haut !... »
Le converti de Damas est descendu de la tribune d'un pas ferme et, s'est approché de l'oratrice dominée par une étrange influence. Il a alors intimé l'entité manifestante sur un ton impératif :
Esprit pervers, nous ne sommes pas des anges, nous sommes des travailleurs en lutte contre nos propres faiblesses par amour pour l'Évangile. Au nom de Jésus-Christ, je t'ordonne de te retirer pour toujours ! Au nom du Seigneur, je t'interdis d'établir la confusion parmi les créatures en stimulant les intérêts mesquins du monde au détriment des intérêts sacrés de Dieu!
Immédiatement, la pauvre jeune fille a récupéré ses énergies et s'est sentie libérée de l'influence malfaisante.
Le fait provoqua l'admiration populaire.
Silas lui-même qui, d'une certaine manière, se complaisait à entendre les affirmations de la pythie, les interprétant comme un réconfort spirituel, était bouche bée.
Une fois seuls, il voulut connaître les raisons qui avaient amené Paul à avoir une telle attitude, et lui demanda :
Mais ne parlait-elle pas elle au nom de Dieu ? Sa propagande n'était-elle pas pour nous une aide précieuse ?
L'Apôtre a souri et a répondu :
Par hasard, Silas, peut-on sur terre juger de la valeur d'un travail avant qu'il ne soit conclu ? Cet Esprit pouvait parler de Dieu, mais ne venait pas de Dieu. Qu'avons-nous fait pour recevoir des éloges ? Jour et nuit, nous combattons les imperfections de notre âme. Jésus nous a conseillé de nous isoler pour que nous apprenions plus durablement. Tu n'ignores pas comme je vis à lutter face à l'épine de mes désirs inférieurs. Alors ? Serait-il juste d'accepter des titres que nous ne méritons pas quand le Maître a rejeté le qualificatif de « bon » ? Bien sûr que si cet Esprit venait de Jésus, toutes autres seraient ses paroles. Il stimulerait notre effort en comprenant nos faiblesses. De plus, j'ai cherché à m'informer concernant la jeune fille et je sais qu'elle est aujourd'hui la clé d'un grand mouvement commercial.