Paul a comparu à la barre du tribunal empreint d'une immense sérénité. L'enceinte était pleine d'Israélites exaltés, mais l'apôtre a remarqué que l'assemblée se composait en majorité de Grecs à la physionomie sympathique, beaucoup parmi eux étaient des connaissances personnelles des travaux d'assistance réalisés dans l'église.
Conscient de sa position, Junius Gallion s'est assis sous le regard anxieux des spectateurs pleins d'intérêt.
Conformément à la coutume, le proconmi! devait entendre les parties en litige avant de prononcer tout jugement, en dépit des plaintes et de« accuNtUlon» enregistrées.
L'un des personnages les plus éminents de la synagogue, du nom de Sosthène, s'exprimerait au nom des juifs ; mais comme le représentant de l'église de Corlnlhr n'apparaissait pas pour la défense de l'apôtre, l'autorité demanda l'exécution immédiate de la sentence. Très surpris, Paul de Tarse suppliait intimement Jésus d'être If protecteur de sa cause quand s'est présenté un homme qui était disposé à se prononcer au nom de l'Église. C'était Titus Justus, le généreux Romain qui ne dédaignait pas l'occasion du témoignage. Un fait inattendu survint à cette occasion. Les Grecs de l'assemblée éclatèrent en une tempête d'applaudis sements.
Junius Gallion demanda aux plaignants d'initier les déclarations publiques nécessaires.
Sosthène se mit à parler, soutenu de toute évidence par les juifs présents. Il accusait Paul de blasphémateur, de déserteur de la Loi, de sorcier. Il s'est rudement rapporté à son passé et raconta aussi que ses parents eux-mêmes l'avaient abandonné. Le proconsul écoutait attentif mais ne cessait de conserver une curieuse attitude. Sans prêter attention à la stupéfaction générale, il gardait son index de la main droite comprimé sur son oreille. Ceux qui appartenaient à la synagogue étaient en majorité déconcertés par ce geste. Pour finir son allocution aussi passionnée qu'injuste, Sosthène interrogea l'administrateur d'Achaïe concernant son attitude qui exigeait une clarification, afin de ne pas être prise pour de la déconsidération.
Très calmement, Gallion a répondu avec humour :
Il me semble que je ne suis pas ici pour justifier de mes actes personnels mais pour répondre aux impératifs de la justice. En conséquence, conformément au code de la fraternité humaine, je déclare qu'à mon avis tout administrateur ou juge d'une cause étrangère devra réserver une oreille pour l'accusation et l'autre pour la défense.
Tandis que les juifs fronçaient les sourcils extrêmement déconcertés, les Corinthiens riaient avec plaisir. Paul lui-même trouva particulièrement amusante la confession du proconsul et ne put masquer le sourire bienveillant qui a soudain illuminé son visage.
Une fois l'incident humoristique passé, Titus Justus s'est approché et a parlé succinctement de la mission de l'apôtre. Ses paroles obéissaient au large souffle d'inspiration et étaient d'une grande beauté spirituelle. En entendant l'histoire du converti de Damas des lèvres d'un compatriote, Junius Gallion s'est senti impressionné et ému. De temps en temps, les Grecs éclataient en de frénétiques applaudissements remplis de satisfaction. Les Israélites ont compris qu'ils perdaient petit à petit du terrain.
À la fin des travaux, le chef politique de l'Achaïe a pris la parole pour conclure qu'il ne voyait aucun crime chez le disciple de l'Évangile et avant toute accusation injuste, les juifs devaient examiner l'œuvre généreuse de l'église de Corinthe car à son avis les principes Israélites n'avaient pas été offensés. Il ajouta que la seule controverse des propos ne justifiait pas des violences et conclut à la frivolité des accusations tout en déclarant ne pas désirer assumer la fonction déjuge pour un sujet de cette nature.
Chaque conclusion formulée était bruyamment applaudie par les Corinthiens.
Quand Junius Gallion déclara que Paul pouvait se considérer libre, les acclamations tournèrent au délire. L'autorité recommanda que le retrait des personnes présentes se fasse dans l'ordre, mais les Orées ont attendu la descente de Sosthène et quand est apparue la figure solennelle du « maître » ils l'ont attaqué sans pitié. Un énorme tumulte eut lieu tout le long de l'escalier qui séparait le tribunal de la voie publique. Angoissé, Titus Justus s'est approché du proconsul et lui demanda d'intervenir. Gallion, néanmoins, qui se préparait a rentrer chez lui, adressa à Paul un regard de sympathie et ajouta calmement :
Ne nous inquiétons pas. Les juifs sont habitués à ces tumultes. Si moi en tant que juge, j'ai protégé une oreille, il me semble que Sosthène devrait protéger tout son corps en sa qualité d'accusateur.
Et il s'est dirigé vers l'intérieur du bâtiment dans une attitude impassible. C'est alors que Paul, apparaissant en haut de l'escalier, s'est écrié :
Frères, calmez-vous par amour pour le Christ !...
Cette exhortation est tombée de plein fouet sur la foule nombreuse et arrêta le désordre. L'effet fut immédiat. Les rumeurs et les insultes cessèrent. Les derniers opposants figèrent leurs bras menaçants. Le converti de Damas intervint empressé pour secourir Sosthène dont le visage saignait déjà. Conformément à la demande de Paul, l'accusateur implacable du jour fut reconduit avec grands soins à sa résidence par les chrétiens de Corinthe.
Grandement dépités par cet échec, les Israélites de la ville projetèrent de nouvelles attaques, mais l'apôtre décida de réunir la communauté de l'Évangile et déclara vouloir partir pour l'Asie afin de répondre aux appels insistants de Jean18 et fonder définitivement l'église d'Éphèse.
18 Jean a Initié ses activités dans l'église mixte d'Éphèse très tôt, bien qui ne se détachant pas de Jérusalem. - (Note d'Emmanuel)
Amicalement, les Corinthiens ont protesté cherchant à le retenir, mais l'ex-rabbin a exposé avec fermeté l'utilité de ce voyage et leur dit qu'il prendrait très bientôt le chemin du retour. Tous les coopérateurs de l'église étaient désolés. Principalement Phoebé, une remarquable collaboratrice des efforts apostoliques à Corinthe qui ne réussissait pas à cacher les larmes qui étouffaient son cœur. Le dévoué disciple de Jésus lui fit comprendre que l'église était fondée et qu'elle ne requérait maintenant que l'attention et l'affection des compagnons. Il ne serait pas juste, à son avis, d'affronter à nouveau la colère des Israélites, il lui semblait plus raisonnable d'attendre que l'œuvre du temps se fasse pour les réalisations à venir.
Un mois plus tard, il était parti en direction d'Éphèse, emmenant avec lui Aquiles et son épouse qui étaient disposés à l'accompagner.
En quittant la ville, sa pensée restait tournée vers le passé, vers les espoirs de bonheur terrestre que les années avaient absorbés. Il avait visité les lieux où Abigail et son frère avaient joué dans leur enfance, s'était saturé de souvenirs doux et inoubliables et au port de Cenchrées, se rappelant du départ de sa fiancée bien-aimée, il s'était rasé la tête, renouvelant ainsi ses vœux de fidélité éternelle conformément aux coutumes populaires de l'époque.
Après un voyage difficile, plein d'incidents pénibles, Paul et ses compagnons arrivèrent à destination.
L'église d'Éphèse affrontait de cruels problèmes. Jean combattait sérieusement pour que l'effort évangélique ne dégénère pas en polémiques stériles, et les tisserands dernièrement arrivés de Corinthe lui prêtèrent main forte lui apportant une coopération essentielle.
Alors qu'il affrontait les juifs à la synagogue lors de discussions échauffées, l'ex-rabbin n'oubliait pas certaines réalisations sentimentales qu'il convoitait depuis longtemps. Avec une délicatesse extrême, il rendit visite à la Mère de Jésus dans sa modeste maisonnette qui donnait sur la mer. Il fut fortement impressionné par l'humilité de cette créature simple et aimante qui ressemblait davantage à un ange portant l'habit d'une femme. Paul de Tarse s'est intéressé à ses tendres récits concernant la nuit de la naissance du Maître. Il enregistra au fond de son cœur ses impressions divines et promit de revenir à la première occasion, afin de rassembler les données indispensables à l'Évangile qu'il prétendait écrire pour les générations de chrétiens à venir. Avec joie, Marie se mit à sa disposition.