Paul trouva que les précautions et les suggestions de Jacques étaient très raisonnables mais préféra suivre les suggestions verbales du porteur.
Des ombres angoissantes planaient dans l'esprit des compagnons du grand apôtre quand la caravane, suivie de Mnason, quitta Césarée pour la capitale du judaïsme. Comme toujours, Paul de Tarse annonça la Bonne Nouvelle dans les bourgs les plus pauvres.
Après quelques jours d'une marche lente se consacrant pleinement aux travaux apostoliques, les disciples de l'Évangile franchirent les portes de la ville des rabbins, pris d'une grande inquiétude.
Vieilli et abattu, l'apôtre des gentils a contemplé les édifices de Jérusalem, attardant son regard sur le paysage aride et triste qui lui rappelait les années de sa jeunesse tumultueuse et morte pour toujours. Il a alors élevé sa pensée à Jésus et lui a demandé de l'inspirer dans l'accomplissement du ministère sacré.
LE MARTYRE A JERUSALEM
Obéissant aux recommandations de Jacques, Paul de Tarse fut hébergé chez Mnason, avant tout accord avec l'église. L'apôtre galiléen avais promis de lui rendre visite le soir même.
Pressentant des événements importants à cette phase de son existence, l'ex-rabbin profita de ce jour pour tracer des plans de travail pour les disciples les plus proches.
Dans la soirée, alors qu'un épais manteau d'ombres enveloppait la ville, Jacques est apparu et salua son compagnon dans une attitude très humble. Lui aussi avait vieilli, il était exténué et malade. À l'inverse des autres fois, le converti de Damas ressentit une grande affection pour lui qui semblait profondément transformé par les revers et les tribulations de la vie.
Une fois qu'ils eurent échangé leurs premières impressions concernant les voyages et les faits évangéliques survenus, le compagnon de Simon Pierre demanda à l'ex-rabbin de choisir un lieu et une heure où ils pourraient parler en privé.
Paul lui répondit qu'ils pouvaient le faire immédiatement et ils se retirèrent dans une pièce où ils se retrouvèrent seuls.
Le fils d'Alphée se mit à lui expliquer le motif de ses graves appréhensions. Il y avait plus d'un an que les rabbins Éliakim et Enoch avaient décidé de reprendre les mesures de persécutions initiées par lui, Paul, à l'époque de sa gestion mouvementée au Sanhédrin. Ils argumentaient que l'ancien docteur était tombé sous le coup des sortilèges et des sorcelleries du parti illégal, compromettant la cause du judaïsme, et il n'était pas normal de continuer à tolérer cette situation rien que parce que le docteur tarsien avait perdu la raison en route vers Damas. Cette initiative avait gagné une énorme popularité dans les cercles religieux de Jérusalem et le plus grand organe législatif de la race - le Sanhédrin - avait approuvé les mesures proposées. Il reconnaissait que l'œuvre évangélisatrice de Paul produisait de merveilleux fruits d'espérance de toute part, conformément aux nouvelles incessantes qui arrivaient de toutes les synagogues des régions qu'il couvrait. En conséquence, le grand tribunal avait décidé de décréter l'emprisonnement de l'apôtre des gentils. De nombreuses mesures de persécution individuelle, à moitié laissées par Paul de Tarse lors de sa conversion inattendue, furent restaurées et, ce qui était le plus grave - quand les coupables étaient décédés, la peine était appliquée aux descendants qui étaient ainsi torturés, humiliés, déshonorés !
Stupéfait, l'ex-rabbin entendait tout silencieusement.
Jacques continuait, expliquant qu'il avait tout fait pour modérer les exigences. Il avait mobilisé les influences politiques à sa portée, réussissant à atténuer plusieurs Jugements iniques. En dépit du bannissement de Pierre, il avait cherché à maintenir les services d'assistance aux démunis, ainsi que l'ensemble des services fondés conformément à l'inspiration du converti de Damas où les convalescents et les désemparés trouvaient le précieux environnement d'une activité rémunérée et pacifique. Après plusieurs accords avec le Sanhédrin grâce à des amis judaïques influents, il eut la satisfaction d'adoucir la rigueur des requêtes à appliquer pour ce qui le concernait lui, Paul. L'ex-docteur de Tarse garderait sa liberté d'agir, il pourrait continuer à préconiser ses convictions intimes ; il devrait, néanmoins, rendre satisfaction publiquement aux préjugés de la race, répondant aux questions que le Sanhédrin lui présenterait par l'intermédiaire de Jacques qui disait être son ami. Le compagnon de Simon Pierre expliquait que les exigences étaient très sévères au début, mais maintenant grâce à d'énormes efforts, elles se limitaient à une moindre obligation.
Paul de Tarse l'écoutait extrêmement sensible. Porteur d'un lumineux potentiel évangélique, il comprenait que le moment de témoigner son dévouement au Maître était venu et il se trouvait que c'était justement à travers le même organe de persécution que son ignorance avait produit en d'autres temps. Pendant ces courtes minutes, la mnémonique devint plus subtile et il se mit à entrevoir les terribles tableaux d'autrefois... Des vieillards torturés, en sa présence pour sentir le plaisir de l'apostasie chrétienne, avaient dû répéter des vœux de fidélité éternelle à Moïse ; des mères de famille arrachées à leur triste foyer furent obligées de jurer sur la Loi Antique et renier le charpentier de Nazareth, abominant la croix de son martyre et d'ignominie. Les pleurs de ces femmes humbles qui abjuraient leur foi parce qu'elles se voyaient blessées dans ce qu'elles possédaient de plus noble, leur instinct maternel, résonnaient en lui maintenant comme des cris d'angoisse, clamant de douloureuses expiations. Toutes les scènes anciennes défilaient devant sa rétine spirituelle sans omettre les détails le plus insignifiants. Des jeunes hommes robustes, soutiens de familles nombreuses, sortaient de prison mutilés ; des jeunes qui ne pensaient qu'à se venger, des enfants qui demandaient leurs parents incarcérés. Affrontant ces évocations agitées, il passa à la scène de l'horrible mort d'Etienne avec les lapidations et les insultes du peuple ; il revit Pierre et Jean accablés et humbles à la barre du tribunal, comme s'ils étaient des malfaiteurs et des criminels. Maintenant, il était là, lui, devant le fils d'Alphée qui ne l'avait jamais vraiment compris, à lui parler au nom du passé et au nom du Christ, comme à l'inciter au rachat de ses dernières dettes accablantes.
Paul de Tarse sentit alors les larmes lui monter aux yeux sans qu'elles ne puissent couler. Quelle espèce de torture lui serait réservée ? Quelles étaient les volontés de l'autorité religieuse à laquelle Jacques se rapportait avec un intérêt évident ?
Dès que le compagnon de Simon fit une pause plus longue, l'ex-rabbin a demandé très
ému :
Que veulent-ils de moi ?
Le fils d'Alphée a fixé dans les siens ses yeux sereins et lui a expliqué :
Après de grandes résistances, les Israélites rassemblés dans notre église vont juste te demander de payer les dépenses de quatre pauvres hommes qui ont fait les vœux naziréens. Il te faudra aussi comparaître avec eux au Temple pendant sept jours consécutifs pour que tout le peuple puisse voir que tu restes un bon juif et le loyal fils d'Abraham... À première vue, la démonstration pourrait sembler puérile ; néanmoins, elle vise à satisfaire la vanité pharisienne, comme tu peux le voir.