- Celle-ci est au nom de la synagogue des Ciliciens ! - disait un jeune, éclatant de rire en même temps.
La pierre siffla en passant et pour la première fois lacéra le visage de l'apôtre. Un filet de sang remplit ses vêtements. Mais à aucun moment, il ne cessa de dévisager les bourreaux avec une déconcertante sérénité.
Trophime et Luc qui avaient été informés de la gravité de la situation dès les premiers instants par un ami qui avait assisté à la scène initiale du supplice, demandèrent immédiatement de l'aide aux autorités romaines. Craignant de nouvelles complications, ils ne révélèrent rien concernant le converti de Damas. Ils dirent simplement qu'il s'agissait d'un homme qui ne devait pas rester à souffrir entre les mains d'Israélites fanatiques et inconscients.
Un tribun militaire organisa aussitôt un groupe de soldats. Ils quittèrent la forteresse et pénétrèrent en force dans le grand atrium. La foule délirait dans un tourbillon d'altercations et de cris assourdissants. Obéissant aux ordres de leur commandant, deux centurions avancèrent résolument et arrachèrent le prisonnier le ravissant à la multitude qui se le disputait déchaînée.
À bas l'ennemi du peuple !... C'est un criminel ! C'est un malfaiteur ! Lacérons le voleur !...
Les exclamations les plus étranges planaient dans l'air. Ne trouvant pas de rabbins responsables pour éclaircir la situation, le tribun romain ordonna de ligoter l'accusé. Le militaire était convaincu qu'il s'agissait d'un dangereux malfaiteur qui s'était transformé depuis longtemps en un terrible cauchemar pour les habitants de la province. Il ne trouvait pas d'autre explication pour justifier une telle haine.
La poitrine contusionnée, blessé au visage et aux bras, l'apôtre fut mené à la tour Antonia, escorté par les préposés de César, tandis que la foule fermait le petit cortège en criant sans cesse : - À mort ! À mort !
Il allait pénétrer dans le premier patio de la grande forteresse romaine que Paul comprit finalement qu'il n'était pas seulement à Jérusalem pour accompagner quatre naziréens très pauvres au mont Moria mais qu'il était surtout là pour donner un témoignage plus éloquent de l'Évangile, aussi a-t-il demandé au tribun avec humilité :
Permettez-vous d'aventure que je vous dise quelque chose ?
Percevant ses manières distinguées et la noble inflexion de ces paroles prononcées dans un grec parfait, le chef de cohorte a répliqué très surpris :
Tu n'es pas le bandit égyptien qui, il y a quelque temps, a organisé une bande de voleurs qui ont dévasté les parages ?
Je ne suis pas un voleur - a répondu Paul, ressemblant à un personnage étrange vu le sang qui couvrait son visage et sa modeste tunique -, je suis un citoyen de Tarse et je vous demande la permission de parler au peuple.
Le militaire romain est resté bouche bée face à tant de distinction dans ses gestes et il n'eut pas d'autre solution que de céder, bien qu'hésitant.
Ressentant qu'il s'agissait de l'un de ses grands moments de témoignage, Paul de Tarse a monté quelques marches du grand escalier et se mit à parler en hébreu, impressionnant la foule par la profonde sérénité et l'élégance de son discours. Il commença par expliquer ses premières luttes, ses remords pour avoir poursuivi les disciples du Maître divin ; il leur raconta son voyage à Damas, l'infinie bonté de Jésus qui lui avait donné la vision glorieuse en lui adressant des paroles d'avertissement et de pardon. Riche des réminiscences d'Etienne, il leur a aussi parlé de l'erreur qu'il avait commise en consentant à sa mise à mort.
Entendant ses paroles empreintes d'une mystérieuse beauté, Claude Lysias, le tribun romain qui l'avait arrêté, se mit à ressentir des sensations indéfinissables. À son tour, il avait reçu certains bienfaits de ce Christ incompris à qui se rapportait l'orateur dans des circonstances aussi amères. Pris de scrupules, il fit appeler le tribun Zelfos, d'origine égyptienne, qui avait acquis certains titres romains grâce à son immense fortune et lui demanda :
Ami - a-t-il dit d'une voix presque imperceptible -, je ne désire pas prendre ici de décision concernant cet homme. La foule est exaltée et il est possible qu'il se produise des événements très graves. Je souhaiterais ta coopération immédiate.
Sans aucun doute - a répondu l'autre, résolument.
Et tandis que Lysias examinait minutieusement la figure de l'apôtre qui parlait de manière impressionnante, Zelfos redoublait les dispositions opportunes prises dans l'enceinte. Il renforça la garnison de soldats, initia la formation d'un cordon d'isolement, cherchant à protéger l'orateur d'une attaque imprévisible.
Après un rapport détaillé de sa conversion, Paul de Tarse se mit à parler de la grandeur du Christ, des promesses de l'Évangile, et tandis qu'il commentait ses relations avec le monde spirituel dont il recevait les messages réconfortants du Maître, la foule inconsciente et furieuse s'agitait manifestant une révolte mesquine. Un grand nombre d'Israélites arrachaient son manteau faisant de la poussière dans une impulsion caractéristique d'ignorance et de méchanceté.
Le moment était très grave. Les plus exaltés essayaient de rompre le cordon des gardes pour assassiner le prisonnier. L'action de Zelfos fut rapide. Il ordonna de rentrer l'apôtre à l'intérieur de la tour Antonia. Et tandis que Claude Lysias retournait chez lui afin de méditer un peu sur la sublimité des concepts entendus, son compagnon de milice prit des mesures énergiques pour disperser la foule. Ils n'étaient pas rares ceux qui s'entêtaient à vociférer sur la voie publique. Le chef militaire a donc ordonné de disperser les récalcitrants à coups de pattes de cheval.
Conduit dans une cellule humide, Paul ressentit que les soldats le traitaient avec le plus grand mépris. Ses blessures lui faisaient terriblement mal. Il avait les jambes endolories et vacillantes. Sa tunique était imbibée de sang. Les gardes impitoyables et ironiques l'attachèrent à une épaisse colonne, lui attribuant le traitement destiné aux criminels ordinaires. Épuisé et fiévreux, l'apôtre se dit qu'il ne serait pas facile de résister à une nouvelle épreuve de martyre mais qu'il n'était pas juste de se livrer aux agissements pervers des soldats qui le gardaient. Il se souvint du Maître qui avait été immolé sur la croix sans résister à la cruauté des créatures, mais qui avait aussi affirmé que le Père ne désire pas la mort du pécheur. Il ne pouvait alimenter la vanité de se livrer comme Jésus, car il était le seul à avoir suffisamment d'amour pour se constituer Envoyé du Tout-Puissant, et comme il se reconnaissait pécheur converti à l'Évangile, il était juste de vouloir travailler jusqu'à son dernier jour sur terre pour les frères de l'humanité et dans l'intérêt de sa propre Illumination spirituelle. Il se souvint de la prudence que Pierre et Jacques avaient toujours témoignée pour que les tâches qui leur étaient confiées ne souffrent pas de préjudices injustifiables et constatant ses capacités de résistance physique limitées en cette heure inoubliable, il cria aux soldats :
Vous m'avez attaché à la colonne réservée aux criminels quand vous ne pouvez m'imputer aucune erreur !... Je vois, maintenant, que vous préparez des fouets pour la flagellation alors que je suis déjà baigné de sang suite au supplice imposé par la foule inconsciente...
Un peu ironique, l'un des gardes a cherché à lui couper la parole et proféra :
Voyez-vous ça !... Mais tu n'es pas un apôtre du Christ ? Il se trouve que ton Maître est mort sur la croix en se taisant et finalement, il a même demandé pardon pour ses bourreaux, alléguant qu'ils ignoraient ce qu'ils faisaient.