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L'attitude inattendue de l'apôtre des gentils provoqua l'étonnement général. Portius Festus, très pâle, était plongé dans de sérieuses cogitations. De sa chaise déjuge, il avait généreusement enseigné le chemin de la vie à beaucoup d'accusés et de malfaiteurs, mais en cette heure inoubliable de son existence, il se trouvait face à un accusé qui parlait à son cœur. La réponse de Paul était tout un programme de justice et d'ordre. Avec une immense difficulté, il demanda le retour au calme dans l'enceinte. Les représentants du judaïsme discutaient entre eux avec véhémence, quelques chrétiens empressés commentaient défavorablement l'attitude de l'apôtre, l'appréciant superficiellement comme s'il s'agissait d'un refus de témoigner. Le gouverneur réunit rapidement le petit conseil des rabbins les plus influents. Les docteurs de la Loi Antique insistèrent pour que des mesures plus énergiques fussent adoptées, supposant que Paul changerait d'attitude avec quelques coups de bastonnades. Mais sans mépriser l'occasion qui lui était offerte d'une plus prestigieuse leçon dans sa vie publique, le gouverneur ferma ses oreilles aux intrigues de Jérusalem, affirmant que d'aucune manière il ne pouvait transiger dans l'accomplissement du devoir en cet instant significatif de sa vie. Embarrassé, il s'est excusé devant les vieux hommes politiques du Sanhédrin et du Temple qui le fixaient avec des yeux de rancœur et prononça ces célèbres paroles.

Tu as fait appel à César ? Tu iras à César !

À cette ancienne formule, les travaux du nouveau procès furent clos. Les représentants du Sanhédrin se retirèrent extrêmement irrités, l'un d'eux s'exclama à voix haute au prisonnier qui reçut l'insulte sereinement :

Seuls les déserteurs maudits font appel à César. Tourne-toi vers les gentils, indigne imposteur !...

L'apôtre l'a fixé avec bienveillance tandis qu'il se préparait à retourner en prison.

Sans perdre de temps, le gouverneur fit consigner la pétition de l'accusé pour donner suite à la procédure. Le lendemain, il s'est attardé à étudier le cas et fut l'objet d'une grande indécision. Il ne pouvait envoyer l'accusé à la capitale de l'Empire, sans justifier les motifs de son emprisonnement pendant si longtemps dans la prison de Césarée. Comment procéder ? Quelques jours de plus s'écoulèrent. Hérode Agrippa et Bérénice vinrent saluer le nouveau gouverneur lors d'une visite officielle et inattendue. Le préposé impérial ne put dissimuler les inquiétudes qui l'absorbaient, et après les solennités protocolaires dues à des hôtes aussi illustres, il raconta à Agrippa l'histoire de Paul de Tarse dont la personnalité enthousiasmait les plus indifférents. Le roi palestinien, qui connaissait la renommée de l'ex-rabbin, manifesta le désir de le voir de près, ce que Festus accepta volontiers, heureux de pouvoir satisfaire son généreux hôte, mais aussi dans l'espoir d'impressions utiles à l'illustration du procès de l'apôtre qu'il était chargé d'envoyer à Rome.

Portius donna à cet acte un caractère de fête. Il invita les personnalités les plus éminentes de Césarée, rassemblant une brillante assemblée autour du roi, le meilleur et le plus vaste auditoire de la cour provinciale. D'abord il y eut des ballets et de la musique, puis dûment escorté, le converti de Damas fut présenté au gouverneur lui-même en des termes discrets mais cordiaux et sincères.

Immédiatement, Hérode Agrippa fut vivement impressionné par l'aspect fatigué et maigre de l'apôtre dont les yeux calmes traduisaient l'énergie inébranlable de sa race. Curieux de mieux le connaître, il lui demanda de se défendre de vive voix.

Paul comprit la profonde signification de cette minute et se mit à raconter les différentes étapes de son existence avec une grande érudition et sincérité. Le roi l'écoutait éberlué. L'ex-rabbin évoqua son enfance, leur parla des souvenirs de sa jeunesse, puis il leur expliqua son aversion aux partisans du Christ Jésus et, exubérant d'inspiration, il retraça le tableau de sa rencontre avec le Maître ressuscité aux portes de Damas, en pleine lumière du jour. Ensuite, il poursuivit en énumérant les faits relatifs à l'œuvre des gentils, les persécutions souffertes de toute part par amour pour l'Évangile, concluant avec véhémence que, sans l'ombre d'un doute, ses prédications ne contrariaient pas, mais plutôt corroboraient les prophéties de la Loi Antique depuis Moïse.

Laissant libre cours à son imagination ardente et fertile, les yeux de l'orateur jubilaient d'éclats. L'assemblée aristocratique éminemment impressionnée par les faits rapportés manifesta son enthousiasme et sa joie. Hérode Agrippa, très pâle, avait l'impression d'avoir rencontré l'une des plus profondes voix de la révélation divine. Portius Festus ne cachait pas la surprise qui assaillait soudainement son esprit. Il n'avait pas présumé trouver chez le prisonnier de si grandes facultés de foi et de persuasion. En entendant l'apôtre décrire les scènes les plus belles de son apostolat, les yeux pleins de joie et de lumière, transmettant à l'auditoire attentif et ému des idées imprévisibles et singulières, le gouverneur se dit qu'il s'agissait d'un fou sublime et lui fit, à voix haute, au beau milieu d'une plus longue pause :

Paul, tu es devenu fou ! Tes grandes connaissances te font délirer !...

Loin de s'intimider, l'ex-rabbin a répondu noblement :

Vous vous trompez ! Je ne suis pas fou ! Devant votre autorité de Romain illustre, je n'oserais pas parler de cette manière, même si je reconnais que vous n'êtes pas dûment préparé à m'entendre. Les patriciens d'Auguste sont aussi de Jésus-Christ, mais ils ne connaissent pas encore complètement le Sauveur. À chacun, nous devons parler conformément à sa capacité d'entendement spirituel. Ici, néanmoins, Seigneur gouverneur, si je parle avec audace c'est parce que je me dirige à un roi qui n'ignore pas le sens de mes paroles. Hérode Agrippa aura entendu parler de Moïse depuis l'enfance. C'est un romain de culture, mais il s'est nourri de la révélation du Dieu de ses ancêtres. Aucune de mes affirmations ne peut lui être inconnue. De plus, il trahirait son origine sacrée car tous les fils de la nation qui ont accepté le Dieu unique doivent connaître la révélation de Moïse et des prophètes. Ne croyez-vous pas, roi Agrippa ?

La question causa un énorme étonnement. L'administrateur provincial lui-même n'aurait pas eu le courage de s'adresser au roi avec tant de désinvolture. L'illustre descendant d'Antipas était grandement surpris. Une extrême pâleur couvrait son visage. Personne ne lui avait jamais parlé de cette manière de toute sa vie.

Percevant son attitude mentale, Paul de Tarse a complété sa puissante argumentation en ajoutant :

Je sais que vous le croyez !...

Confus par l'aisance de l'orateur, Agrippa a agité son front comme s'il désirait expulser quelque idée inopportune ; il a esquissé un vague sourire et laissa comprendre qu'il était maître de lui-même, puis dit sur un ton de plaisanterie :

Et bien ça alors ! Pour peu, tu m'aurais persuadé de faire une profession de foi chrétienne...

L'apôtre ne se considéra pas vaincu pour autant et répondit :

J'espère sincèrement que vous deveniez disciple de Jésus ; non seulement vous, mais tous ceux qui nous ont entendu aujourd'hui.

Portius Festus a compris que le roi était beaucoup plus impressionné qu'il ne l'avait supposé et désireux de changer d'ambiance, il proposa que les hautes personnalités se retirent pour la collation de l'après-midi dans le palais. L'ex-rabbin fut reconduit en prison laissant aux auditeurs une inoubliable impression. Sensible, Bérénice fut la première à se manifester réclamant la clémence pour le prisonnier. Les autres suivirent le même courant de sympathie spontanée. Hérode Agrippa chercha une formule suffisamment digne pour que l'apôtre soit rendu à la liberté. Mais le gouverneur lui expliqua que connaissant la fibre morale de Paul, il avait sérieusement pris la décision de faire appel à César et que les premières instructions le concernant étaient déjà enregistrées. Respectueux des lois romaines, il s'opposait à la suggestion, bien que demandant l'aide intellectuelle du roi pour la lettre de justification avec laquelle l'accusé allait se présenter à l'autorité compétente dans la capitale de l'Empire. Désireux de conserver sa tranquillité politique, le descendant des Hérode n'avança aucun nouveau commentaire, il déplora seulement que le prisonnier ait déjà fait appel en dernière instance. Il chercha alors à coopérer à la rédaction du document et afficha son opposition au prédicateur de l'Évangile par le fait d'avoir suscité plusieurs luttes religieuses dans la couche populaire en désaccord avec l'unité de foi visée par le Sanhédrin, bastion de défense des traditions judaïques. À cet effet, le roi en personne avait signé le document en tant que témoin, donnant une plus grande importance aux allégations du préposé impérial. Extrêmement satisfait, Portius Festus prit note de ce soutien. Le problème était résolu et Paul de Tarse pouvait intégrer le premier groupe de condamnés à partir pour Rome.