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Inutile de dire qu'il reçut la nouvelle avec sérénité. Après s'être mis d'accord avec Luc, il demanda que l'église de Jérusalem en soit informée, ainsi que celle de Sidon où le navire recevrait certainement son chargement et les passagers. Tous les amis de Césarée furent mobilisés à la tâche des émouvants messages que l'ex-rabbin adressait aux églises qui lui étaient chères, sauf Timothée, Luc et Aristarque qui se préparaient à l'accompagner à la capitale de l'Empire.

Les jours passèrent rapidement jusqu'au moment où le centurion Jules vint chercher les prisonniers avec son escorte, en partance pour ce voyage agité. Le centurion avait tous pouvoirs pour décider des mesures à prendre et immédiatement il éprouva de la sympathie pour l'apôtre, il ordonna qu'il soit conduit au bateau sans chaînes contrairement aux autres prisonniers.

Le tisserand de Tarse, qui se soutenait au bras de Luc, revit calmement le tableau clair et bruyant des rues, caressant l'espoir d'une vie plus élevée où les hommes pourraient jouir de fraternité au nom du Seigneur Jésus. Son cœur était plongé dans de douces réflexions et de brûlantes prières, quand il fut surpris par la foule compacte qui s'oppressait et s'agitait sur la grande place en bord de mer.

Des files de vieux, de jeunes et d'enfants se sont rassemblés près de lui, à quelques mètres de la plage. Devant eux, il y avait Jacques affaibli et vieilli qui était venu de Jérusalem avec grands sacrifices lui apporter un baiser fraternel. Le brûlant défenseur des gentils ne réussit pas à dominer son émotion. Des bandes d'enfants lui lancèrent des fleurs. Reconnaissant la noblesse de cet Esprit héroïque, le fils d'Alphée lui a pris la dextre et l'a baisée avec effusion. Tous les chrétiens de Jérusalem capables de faire le voyage se trouvaient là. Les confrères de Joppé, Lydde, Antipatris, étaient tous venus de toutes parts de la province. Les enfants des gentils se joignaient aux petits juifs qui saluaient affectueusement l'apôtre prisonnier. Des vieillards infirmes s'approchaient respectueusement et s'exclamaient :

Vous ne devriez pas partir !...

Des femmes humbles remerciaient les bienfaits reçus de ses mains. Des malades guéris faisaient des commentaires sur l'ensemble des travaux qu'il avait suggéré et aidé à fonder dans l'église de Jérusalem et proclamaient leur gratitude à voix haute. Les gentils, convertis à la l'Évangile, lui baisaient les mains en murmurant :

Qui nous enseignera désormais à être les fils du Très-Haut ?

Des garçons aimants tiraient sa tunique sous le regard de leurs mères consternées.

Tous lui demandaient de rester, de ne pas partir, qu'il revienne vite pour les services bénis de Jésus.

Soudain, il se souvint de la vieille scène d'emprisonnement de Pierre quand lui, Paul, se dressant en bourreau des disciples de l'Évangile, avait visité l'église de Jérusalem à la tête d'une expédition punitive. Ces manifestations d'affection venues du peuple parlaient doucement à son âme. Elles signifiaient qu'il n'était plus maintenant le bourreau implacable qui, jusqu'à alors, n'avait pas pu comprendre la miséricorde divine ; elles traduisaient le rachat de sa dette dans l'âme du peuple. La conscience un peu soulagée, il s'est souvenu d'Abigail et se mit à pleurer. Il se sentait là comme au sein des « fils du Calvaire » qui l'étreignaient, reconnaissants. Ces mendiants, ces mutilés, ces enfants étaient sa famille. À cet instant inoubliable de sa vie, il se confondait au rythme de l'harmonie universelle. De douces brises émanant de mondes différents embaumaient son âme comme s'il avait touché une région divine après avoir gagné de grande bataille. Pour la première fois, quelques enfants l'ont appelé « père ». Il s'est penché avec plus de tendresse vers les enfants qui l'entouraient. Il interprétait tous les épisodes de cette heure inoubliable comme une bénédiction de Jésus qui le liait à tous les êtres. Devant lui, l'océan calme ressemblait à un chemin infini et prometteur de beautés mystérieuses et ineffables.

Jules, le centurion de garde, s'est approché ému et dit avec douceur :

Malheureusement, le moment de partir est venu.

Et, témoin des manifestations faites à l'apôtre, il avait lui aussi les yeux humides. Il avait déjà rencontré beaucoup de coupables dans ces conditions et tous étaient des rebelles, des désespérés ou des pénitents repentis. Celui-là pourtant était calme et presque heureux. Une joie indicible débordait de ses yeux brillants. En outre, il savait que cet homme dévoué au bien de toutes les créatures n'avait commis aucune erreur. Il est donc resté à ses côtés à partager ces transports d'affection du peuple comme pour démontrer la considération qu'il méritait.

L'apôtre des gentils a étreint ses amis pour la dernière fois. Tous pleuraient discrètement à la manière des disciples sincères de Jésus qui ne pleurent pas sans consolation : les mères s'agenouillaient avec leurs enfants sur le sable blanc, les vieux, se soutenant à de durs bâtons, faisaient d'immenses efforts. Tous ceux qui étreignaient le champion de l'Évangile, se mettaient à genoux, suppliant le Seigneur de bénir sa nouvelle route.

Concluant ces adieux, Paul a souligné avec une sérénité héroïque :

Pleurons de joie, mes frères ! Il n'est pas de plus grande gloire en ce monde que celle d'être un homme en route vers le Christ Jésus !... Le Maître est allé à la rencontre du Père à travers les martyres de la croix ! Bénissons notre croix de chaque jour. Il nous faut apporter les marques du Seigneur Jésus ! Je ne crois pas pouvoir revenir ici avec ce corps affaibli par mes luttes matérielles. J'espère que le Seigneur m'accordera le dernier témoignage à Rome. Cependant, je serai avec vous par le cœur ; je retournerai à nos églises en Esprit ; je coopérerai à votre effort dans les jours les plus amers. La mort ne nous séparera pas, tout comme elle n'a pas séparé le Seigneur de la communauté des disciples. Jamais nous ne serons loin les uns des autres, voilà pourquoi Jésus a promis qu'il serait à nos côtés jusqu'à la fin des siècles !...

Jules a écouté cette exhortation avec émotion. Luc et Aristarque pleuraient tout bas.

Ensuite, l'apôtre a pris le bras de son ami médecin et suivi de près par le centurion, il a marché résolu et calme vers le bateau.

Des centaines de personnes ont accompagné les manœuvres du lâchage dans un recueillement sanctifié arrosé de larmes et de prières. Alors que le navire s'éloignait lentement, Paul et ses compagnons contemplaient Césarée, les yeux larmoyants. La foule calme, qui était restée à pleurer, lui faisait ses adieux de la plage que la distance peu à peu diluait. Heureux et reconnaissant, Paul de Tarse posait son regard sur l'étendue de ses luttes acerbes, méditant aux longues années d'injures et de réparations nécessaires. Il se souvint de son enfance, de ses premiers rêves de jeunesse, des inquiétudes de la jeunesse, des services honorables du Christ, sentant qu'il quittait la Palestine pour toujours. Il était plongé dans des pensées grandioses quand Luc s'est approché et, indiquant la distance de ses amis qui continuaient agenouillés, il s'est exclamé doucement :