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Peu de faits au monde m'ont ému davantage que celui-ci ! J'enregistrerai dans mes annotations comme tu as été aimé par tous ceux qui ont reçu de tes mains fraternelles le secours de Jésus !...

Paul sembla réfléchir profondément à cette observation et lui fit remarquer :

Non, Luc. Ne parle pas des vertus que je n'ai pas. Si tu m'aimes tu ne dois pas exposer mon nom à de faux jugements. Par contre tu dois parler des persécutions que j'ai commises contre les partisans du Saint Évangile ; de la faveur que le Maître m'a faite aux portes de Damas pour que les hommes les plus endurcis ne désespèrent pas du salut et attendent sa miséricorde au juste moment. Tu citeras les combats que nous avons affrontés dès le premier instant en raison des attaques du pharisaïsme et des hypocrisies de notre temps. Tu commenteras les obstacles vaincus, les pénibles humiliations, les difficultés sans mesure pour que les futurs disciples n'attendent pas la rédemption spirituelle avec le faux repos du monde, se fiant au travail dur fait de sacrifices bénis pour leur propre progrès et non en la faveur incompréhensible des dieux. Tu parleras de nos rencontres avec les hommes puissants et cultivés, de nos services auprès de ceux qui sont dénués de chance pour que les partisans de l'Évangile, à l'avenir, ne craignent pas les situations les plus difficiles et les plus scabreuses, conscients du fait que les messagers du Maître les assistent chaque fois qu'ils deviennent des instruments légitimes de la fraternité et de l'amour le long des chemins qui mènent à l'évolution de l'humanité.

Et après une longue pause pendant laquelle il observa l'attention avec laquelle Luc avait accompagné ses raisonnements inspirés, il poursuivit d'un ton serein et ferme :

Tais toujours, néanmoins, les considérations, les faveurs que nous avons pu recevoir dans notre tâche, parce que cette récompense n'appartient qu'à Jésus. C'est Lui qui a retiré nos misères angoissantes, remplissant notre vide ; c'est sa main qui nous a pris charitablement et nous a reconduits sur le chemin sacré. Ne m'as-tu pas raconté les luttes amères de ton lointain passé ? Ne t'ai-je pas raconté comme j'ai été pervers et ignorant en d'autres temps ? Tout comme il a illuminé mes sinistres pas aux portes de Damas, II t'a mené à l'église d'Antioche pour que tu entendes ses vérités éternelles. Malgré tout ce que nous avons étudié, nous ressentons un abîme entre nous et la sagesse éternelle ; malgré tout ce que nous avons travaillé, nous ne sommes pas dignes de Celui qui nous assiste et nous guide depuis le premier instant de notre vie. Nous ne possédons rien qui soit à nous-mêmes !... Le Seigneur remplit le vide de notre âme et fait le bien que nous ne possédons pas. Ces vieillards tremblants qui nous ont étreints en larmes, ces enfants qui nous ont embrassés avec tendresse, l'ont fait au Christ. Jacques et ses compagnons ne sont pas venus de Jérusalem rien que pour nous manifester leur fraternité affectueuse ; ils sont venus apporter des témoignages d'amour au Maître qui nous a réunis dans la même vibration de solidarité sacrosainte, bien qu'ils ne sachent pas traduire le mécanisme occulte de ces émotions grandioses et sublimes. Au milieu de tout cela, Luc, nous n'avons été que de misérables serviteurs à profiter des biens du Seigneur pour payer nos propres dettes. Il nous a donné la miséricorde pour que la justice s'accomplisse. Ces joies et ces émotions divines lui appartiennent... Ne nous soucions pas de raconter les épisodes qui laisseraient une porte ouverte à une vanité incompréhensible. Que nous suffise la profonde conviction d'avoir liquidé nos dettes fracassantes...

Luc écoutait admiratif ces considérations opportunes et justes sans savoir définir la surprise qu'elles lui causaient.

Tu as raison - a-t-il dit finalement -, nous sommes excessivement faibles pour nous donner de la valeur.

En outre - a ajouté Paul -, la bataille du Christ est commencée. Toute victoire appartiendra à son amour et non à notre effort de serviteurs endettés... Écris donc tes annotations de la manière la plus simple possible et ne commente rien qui ne soit pour glorifier le Maître dans son évangile immortel !...

Tandis que Luc allait voir Aristarque pour lui transmettre ces suggestions sages et bienveillantes, l'ex-rabbin ne cessait de contempler les groupes de maisons de Césarée qui s'effaçaient maintenant à l'horizon. Le bateau naviguait doucement tout en s'éloignant de la côte... Pendant de longues heures, il est resté là à méditer sur le passé qui surgissait dans ses yeux spirituels comme un immense crépuscule. Plongé dans les réminiscences entrecoupées de prières faites à Jésus, il demeura en silence jusqu'à ce que commence à briller au firmament azur les premières étoiles de la nuit.

LE PRISONNIER DU CHRIST

.Le lendemain, le navire d'Adramite de Mysie sur lequel l'apôtre et ses compagnons voyageaient est arrivé à Sidon où les scènes émouvantes de la veille se répétèrent. Jules permit que l'ex-rabbin aille faire ses adieux à ses amis sur la plage au milieu des exhortations d'espoirs, une grande émotion régnait. Paul de Tarse avait gagné une certaine ascendance morale sur le commandant, les marins et les gardes. Sa parole vibrante avait conquis toutes les attentions. Il parlait de Jésus, non pas comme d'une personnalité inaccessible, mais comme d'un maître aimant, un ami des créatures qui suivait de près l'évolution et la rédemption de l'humanité sur terre depuis ses débuts. Tous désiraient entendre ses idées relatives à l'Évangile et l'effet qu'elles auraient sur l'avenir des peuples.

Fréquemment, l'embarcation laissait entrevoir des paysages chers au regard de l'apôtre. Après avoir longé la Phénicie, les contours de l'île de Chypre sont apparus se joignant à d'agréables souvenirs. À l'approche de la Pamphylie, une joie profonde du devoir accompli égaya son cœur et il est ainsi arrivé au port de Myra en Lycie.

Ce fut là que Jules décida d'embarquer avec ses compagnons sur un navire alexandrin qui se dirigeait vers l'Italie. Le voyage s'est ainsi poursuivi mais avec des perspectives alarmantes. L'excès de chargement était évident. En plus de la grande quantité de blé, il y avait à bord deux cent soixante-seize personnes. Tous s'apprêtaient à vivre des moments difficiles. Les vents opposés soufflaient fortement. Les jours étaient longs et ils étaient toujours dans la région de Cnide. Surmontant des difficultés extrêmes, ils s'approchèrent finalement de la Crète.

Obéissant à sa propre intuition et constatant les tribulations de la journée, l'apôtre qui confiait en l'amitié de Jules, le fit appeler en privé et lui suggéra d'hiberner à Kaloi Limenes. Le chef de troupe prit sa suggestion en considération et la présenta au commandant et au pilote qui considérèrent que cela n'avait pas de sens.

- Qui signifie donc cela, centurion ? - a demandé le capitaine d'un air emphatique avec un sourire légèrement ironique. - Vous donnez de l'importance à ces prisonniers ? Moi, je crois plutôt qu'il s'agit d'un plan d'évasion projeté avec subtilité et prudence... Mais quoi qu'il en soit, cette suggestion est inacceptable, non seulement pour la confiance que nous devons avoir en nos moyens professionnels, mais également parce que nous devons atteindre le port de Phénix pour le repos nécessaire.

Le centurion s'est excusé comme il le put et se retira un peu vexé. Il aurait voulu protester, expliquer que Paul de Tarse n'était pas un accusé ordinaire qui ne parlait pas uniquement pour lui, mais aussi pour Luc qui avait été marin et des plus compétents d'ailleurs. Néanmoins, il valait mieux ne pas compromettre sa brillante carrière militaire et politique en contrariant les autorités provinciales. Il valait mieux ne pas insister, sous peine d'être mal compris par les hommes de sa condition. Il retourna voir l'apôtre et lui fit part de la réponse. Loin de se vexer, Paul a murmuré calmement :