Le cortège s'est arrêté pour que les amis l'étreignent. Éminemment ému, le centurion accompagnait l'inoubliable scène, dévisageant des vieillards aux cheveux blancs baiser les mains de Paul avec une affection infinie.
L'apôtre, transporté par ces explosions d'affection, ne savait pas s'il devait contempler les fabuleux panoramas de la ville aux sept collines, ou s'il devait paralyser le cours de ses émotions et dans un juste hommage se prosterner de reconnaissance à Jésus.
Obéissant aux pondérations amicales d'Apollodore, le groupe s'est dispersé.
Rome entière était baignée d'un doux crépuscule d'opales. Des brises caressantes soufflaient venant de loin, embaumant l'après-midi chaud. Considérant que Paul avait besoin de repos, le centurion décida de passer la nuit dans une auberge pour se présenter le lendemain avec les prisonniers à la caserne des prétoriens, une fois remis de ce long et épuisant voyage.
Ce n'est que le lendemain matin qu'il comparut devant les autorités compétentes pour présenter les accusés. Ce qui se passa bien puisque l'ex-rabbin se sentait parfaitement revigoré. La veille, Luc, Thimotée et Aristarque, quant à eux, étaient allés s'installer chez leurs frères d'idéal jusqu'à ce qu'ils trouvent une solution définitive à leur situation.
Le centurion de Césarée trouva à la caserne de la voie Nomentane de hauts fonctionnaires qui pouvaient parfaitement lui répondre concernant le sujet qui l'amenait à la capitale de l'Empire, mais il voulut à tout prix attendre le Général Burrus, un ami personnel de l'Empereur, qui était bien connu pour son honnêteté afin d'éclaircir au mieux le cas de l'apôtre.
Rapidement, il fut reçu avec bienveillance par le Général qui fut parfaitement informé de la cause de l'ex-rabbin ainsi que de ses antécédents personnels, des combats et des sacrifices qu'il avait supportés. Il promit d'étudier son cas avec le plus grand intérêt après avoir conservé avec soin les parchemins envoyés par la justice de Césarée. En présence de l'apôtre, il affirma au centurion que, si les documents prouvaient la citoyenneté romaine de l'accusé, il pourrait jouir des avantages de la « custodia mûttaris », il pourrait vivre hors de prison sous la surveillance d'un garde jusqu'à ce que la magnanimité de César décide de son sort.
Paul fut renvoyé en prison avec les autres compagnons en attendant l'examen de la documentation apportée. Jules le salua ému, alors que les gardes attristés et respectueux étreignaient l'ex-rabbin. Les hauts fonctionnaires de la caserne accompagnèrent la scène visiblement surpris. Aucun prisonnier n'était entré en ces lieux avec de telles manifestations de sympathie et d'estime.
Au bout d'une semaine pendant laquelle il put rester en contact permanent avec Luc, Aristarque et Thimotée, l'apôtre fut assigné à résidence à proximité de la prison -un privilège qui lui était conféré par ses titres, bien qu'il fut obligé de rester sous la vigilance d'un garde jusqu'à ce que sa cause soit définitivement jugée.
Assisté par les confrères de la ville, Luc loua une modeste pièce sur la voie Nomentane où fut transféré le valeureux prêcheur de l'Évangile plein de courage et de confiance en Dieu.
Loin de se laisser abattre face aux nombreuses difficultés, il continuait à écrire des épîtres réconfortantes et sages aux communautés lointaines. Le second jour après s'être installé, il recommanda à ses trois compagnons d'aller chercher du travail pour ne pas être un poids pour leurs frères, expliquant que lui, Paul, vivrait du pain des prisonniers, à juste titre, jusqu'à ce que César réponde à son appel.
Et il en fut ainsi. Quotidiennement il se rendait à la prison où il recevait sa ration alimentaire. Il profitait alors de ces heures conviviales avec les incarcérés ou avec les victimes de la méchanceté humaine pour prêcher les vérités réconfortantes du Royaume, quoiqu'ils fussent enchaînés. Tous l'écoutaient dans un éblouissement spirituel, heureux d'apprendre qu'ils n'étaient pas abandonnés par le Sauveur. C'étaient des criminels de l'Esquilin, des hors- la-loi des régions provinciales, des malfaiteurs de Suburre, des serviteurs voleurs livrés à la justice par leur maître pour une correction nécessaire, ou des pauvres poursuivis par le despotisme de l'époque qui souffraient de la terrible influence des vices de l'administration.
La parole de Paul de Tarse agissait comme un baume de saintes consolations. Les prisonniers gagnaient de nouveaux espoirs et beaucoup se convertirent à l'Évangile, comme Onésime, l'esclave régénéré qui est resté dans l'histoire du christianisme dans la chaleureuse épître à Philémon.
Le troisième jour, Paul de Tarse fit appeler ses amis pour résoudre différentes questions qu'il jugeait primordiales. Il souhaitait trouver un accord avec les Israélites. Il devait leur transmettre les lumières de la Bonne Nouvelle. Néanmoins, il lui était impossible à ce moment-là, de visiter la synagogue. Sans freiner pour autant les impulsions dynamiques de son caractère entreprenant, il demanda à Luc de convoquer les personnalités importantes du judaïsme dans la capitale de l'Empire afin de leur faire une exposition des principes qu'il considérait appropriée.
Cet après-midi là, un grand nombre des anciens d'Israël a comparu dans sa retraite.
Paul de Tarse exposa les généreuses nouvelles du Royaume de Dieu, éclaircit sa position et fit allusion au caractère précieux de l'Évangile. Les auditeurs se montrèrent quelque peu intéressés, mais attentifs à leurs traditions, ils finirent par prendre une attitude réservée et indécise.
Quand il eut terminé sa prière enthousiaste, le rabbi Ménandre s'exclama au nom de
tous :
- Votre parole mérite toute notre considération. Cependant l'ami, nous n'avons reçu aucune nouvelles de Judée vous concernant. Mais nous avons quelque notion de ce Jésus auquel vous vous rapportez avec tendresse et vénération. On parle de lui à Rome comme d'un criminel révolutionnaire qui a mérité le supplice réservé aux voleurs et aux malfaiteurs à Jérusalem. Sa doctrine est considérée contraire à l'essence de la Loi de Moïse. Quoique désireux de connaitre ce que vous avez à dire sur le nouveau prophète dans le calme requis à ces propos, il faut convenir que nous ne devrions pas être les uniques auditeurs à ces singulières nouvelles. Il faudrait que vos idées soient adressées à la majorité de nos frères afin que des jugements isolés ne nuisent pas aux intérêts de tous.
Paul de Tarse perçut la subtilité de son commentaire et leur proposa de venir un jour de prêche en plus grand nombre. Cette suggestion fut volontiers acceptée par les vieux juifs.
Le jour dit, un grand rassemblement d'Israélites se bousculait et débordait de la simple pièce où l'ex-rabbin avait organisé son nouvel espace consacré aux travaux évangéliques. Il prêcha la leçon de la Bonne Nouvelle et expliqua patiemment la glorieuse mission de Jésus, du matin jusqu'en fin de journée. Quelques rares frères de race semblaient comprendre les nouveaux enseignements, tandis que la majorité se livrait à des interpellations bruyantes et à des polémiques stériles. L'apôtre se souvint du temps de ses voyages en voyant la répétition exacte des scènes irritantes des synagogues asiatiques où les juifs s'enfonçaient dans d'acerbes combats.
La nuit approchait et les discussions continuaient échauffées. Le soleil disparaissait du paysage dorant la cime des collines lointaines. Remarquant que l'ex-rabbin faisait une pause pour reprendre un peu son souffle, Luc s'approcha et lui dit tout bas :
Je souffre rien qu'à voir tous les efforts que vous faites pour vaincre l'esprit du judaïsme !...
Paul de Tarse médita quelques instants puis répondit :
Oui, constater la révolte volontaire est une source de dépit pour le cœur ; toutefois l'expérience du monde m'a enseigné à discerner d'une certaine manière la situation des esprits. Il y a deux types d'hommes pour lesquels le contact rénovateur de Jésus est plus difficile. Le premier, c'est celui que j'ai vu à Athènes et qui est constitué d'hommes empoisonnés par la fallacieuse science de la terre ; des hommes qui se cristallisent dans une supériorité imaginaire et sont fiers d'eux-mêmes. Ce sont ceux-là, à mon avis, les plus malheureux. Le second, c'est ceux que nous connaissons chez les juifs récalcitrants qui, tout en possédant un patrimoine précieux venu du passé, ne conçoivent pas la foi sans luttes religieuses, ils sont pétrifiés dans l'orgueil de la race et persévèrent dans une fausse interprétation de Dieu. De la sorte, nous comprenons mieux la parole du Christ qui a classé les simples et les pacifiques de la terre comme des créatures bienheureuses. Peu de gentils cultivés et de rares juifs croyant en la Loi Antique sont préparés à l'école bénie de la perfection avec le Divin Maître.