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La proposition de Saûl fut bien reçue et largement approuvée. Les applaudissements unanimes de l'assemblée restreinte en poussèrent même certains à proposer un vote spécial pour louer son zèle vigilant. Il manquait au cénacle la pondération d'un Gamaliel, et le sacerdote suprême, contraint par l'approbation générale, n'a pas hésité à accorder les lettres requises qui donnaient suffisamment d'autorité à Saûl pour agir sans restriction. Les participants ont étreint le jeune rabbin en faisant largement l'éloge de son esprit sagace et énergique. À l'évidence, avec l'émancipation politique d'Israël, cette mentalité jeune et vigoureuse était le meilleur gage d'un plus grand avenir. Saûl de Tarse qui était la cible des références encensées et stimulatrices de la part de ses amis, avivait l'orgueil de sa race pleine d'espoirs en les jours à venir. En vérité, il souffrait amèrement de la ruine des rêves de sa jeunesse et employait la solitude de son existence dans les luttes qu'il considérait comme étant sacrées, au service de Dieu.

En possession des lettres qui lui permettraient d'agir conformément à sa volonté en coopération avec les

Synagogues de Damas, il accepta de partir avec trois hommes respectables qui s'étaient offerts pour l'accompagner en qualité de serviteurs très proches.

Au bout de trois jours, la petite caravane avait quitté Jérusalem pour se diriger vers la grande plaine de Syrie.

À la veille de son arrivée, presque au bout d'un voyage difficile et pénible, le jeune tarsien avait l'impression que des souvenirs amers l'assommaient constamment et allaient en s'aggravant. Des forces secrètes lui imposaient de profondes interrogations. Il passait en revue les premiers rêves de sa jeunesse et son âme se posait des questions atroces. Depuis son adolescence qui avait enrichi sa paix intérieure, il avait soif de stabilité pour réaliser sa carrière. Où trouver cette sérénité qui si tôt avait été l'objet de ses cogitations les plus profondes ? Les maîtres d'Israël préconisaient pour cela le respect absolu de la Loi. Plus que tout, il avait honoré ces principes. Depuis les toutes premières impulsions de sa jeunesse, il abominait le péché. Il s'était consacré à l'idéal de servir Dieu de toutes ses forces. Il n'avait pas hésité à mettre à exécution tout ce qu'il considérait devoir faire, les actions les plus violentes et les plus dures qui soient. S'il était incontestable qu'il avait d'innombrables admirateurs et amis, û avait également de puissants adversaires, vu son caractère inflexible dans l'accomplissement des obligations qu'il considérait sacrées. Mais alors, où était donc la paix spirituelle qu'il convoitait tellement dans ses efforts quotidiens ? Malgré toutes les énergies qu'il dépensait, il se sentait comme un laboratoire d'inquiétudes pénibles et profondes. Sa vie était marquée par de puissantes idées, mais au fond, il combattait des antagonismes irréconciliables. Les notions de la Loi de Moïse semblaient ne pas suffire à sa soif dévastatrice. Les énigmes de la destinée captivaient son esprit. Le mystère de la douleur et des divers destins le criblait d'ambiguïtés insolubles et de sombres interrogations. Alors que ces adeptes du charpentier crucifié exhibaient une sérénité inconnue ! Alléguer l'ignorance des problèmes les plus graves de la vie ne prouvait rien car Etienne était une intelligence puissante et il avait montré à sa mort, une paix impressionnante, accompagnée de valeurs spirituelles qui saisissaient de stupeur.

Quoique ses compagnons n'aient de cesse d'attirer son attention sur les premiers paysages qu'offrait Damas qui se dessinait au loin, Saûl n'arrivait pas à s'arracher à son sombre monologue. Il semblait ne pas voir les chameaux résignés qui se traînaient lourdement sous le soleil embrasé en plein midi. En vain, ils l'invitèrent à prendre un repas. Alors qu'ils s'étaient arrêtés pendant quelques minutes dans une délicieuse petite oasis, il attendit que ses compagnons aient fini leur léger repas pour continuer la marche, absorbé par l'intensité des pensées qui l'assaillaient.

Lui-même n'aurait su expliquer ce qui se passait. Ses réminiscences remontaient aux périodes de sa plus jeune enfance. Tout son lourd passé s'éclairait nettement à cet examen introspectif. Parmi toutes les figures familières qui étaient présentes à son esprit, le souvenir d'Etienne et celui d'Abigail se détachait de façon plus prononcée, comme s'ils le poussaient à des questionnements plus profonds. Pourquoi le frère et la sœur de Corinthe avaient-ils acquis un tel ascendant sur tous les problèmes qui touchaient à son ego ? Pourquoi avait-il attendu Abigail pendant toute sa jeunesse, idéalisant une vie pure ? Ses amis les plus éminents lui revenaient en mémoire et chez aucun d'eux, il n'avait trouvé des qualités morales semblables à celle de ce jeune prédicateur du « Chemin » qui avait affronté son autorité politico-religieuse devant tout Jérusalem, dédaignant l'humiliation et la mort, pour mourir ensuite en bénissant ses décisions iniques et implacables. Quelle force les unissait dans les labyrinthes du monde pour que son cœur ne les oublie jamais plus ? La pénible vérité était qu'il ne trouvait pas la paix intérieure, malgré la conquête et le plaisir de toutes les prérogatives et privilèges parmi les notables les plus importants de sa race. Il voyait défiler dans sa pensée, les jeunes filles qu'il avait connues au cours de sa vie, les favorites de son enfance, et en aucune d'elles il ne pouvait trouver les caractéristiques d'Abigail qui devinait ses désirs les plus secrets. Tourmenté par ces questionnements profonds qui assaillaient son esprit, il sembla s'éveiller d'un long cauchemar. Il devait être midi. Au loin encore, le paysage de Damas présentait ses contours : les grands vergers, ses grises coupoles se dessinaient à l'horizon. Bien monté, révélant tout l'aplomb d'un homme habitué aux plaisirs du sport, Saûl avançait en premier dans une attitude dominatrice.

À un moment donné, cependant, alors qu'il venait à peine de s'éveiller de ses angoissantes cogitations, il s'est senti enveloppé d'une lumière différente de celle du soleil. Il avait l'impression que l'air s'ouvrait comme un rideau sous une pression invisible et puissante. Au fond, il se sentait prisonnier d'un vertige inattendu après l'effort mental persistant et pénible qu'il avait fait. Il aurait voulu se retourner pour demander du secours à ses compagnons, mais il ne les voyait pas, bien qu'il lui soit possible de leur demander de l'aide.

Jacob !... Déméter !... Aidez-moi !... - cria-t-il désespérément.

Mais la confusion de ses sens lui retira sa notion d'équilibre et Saûl tomba de l'animal à la renverse sur le sable brûlant. La vision, néanmoins, semblait se dilater à l'infini. Une autre lumière baignait ses yeux éblouis, et sur le chemin que l'atmosphère déchirée lui montrait, il vit apparaître la figure d'un homme d'une majestueuse beauté, lui donnant l'impression qu'il descendait du ciel à sa rencontre. Sa tunique était faite de points lumineux, ses cheveux touchaient ses épaules, à la nazaréenne, ses yeux magnétiques rayonnaient d'affection et d'amour, illuminant sa physionomie grave et tendre où planait une divine tristesse.

Le docteur de Tarse le contemplait avec une profonde stupéfaction, et c'est alors que dans une inflexion de voix inoubliable, l'inconnu s'est fait entendre :

Saûl !... Saûl !... pourquoi me persécutes-tu ?

Le jeune tarsien ne savait pas qu'il s'était instinctivement agenouillé. Sans pouvoir définir ce qui se passait, son cœur s'est serré dans une réaction désespérée. Un indicible sentiment de vénération s'est entièrement emparé de lui. Qu'est-ce que cela signifiait ? Qui était cette figure divine qu'il entrevoyait dans le spectacle du firmament ouvert et dont la présence inondait son cœur oppressé d'émotions inconnues ?