Tandis que ses compagnons entouraient le jeune agenouillé, sans rien n'entendre ni voir, bien qu'ils aient tout de suite perçu une grande lumière dans le ciel, Saûl interrogeait d'une voix tremblante et craintive :
Qui êtes-vous, Seigneur ?
Auréolé d'une lumière balsamique et sur un ton d'une incroyable douceur, il a répondu:
Je suis Jésus !...
Alors, le fier et inflexible docteur de la Loi, pris de sanglots, s'est penché vers le sol. On aurait dit que l'impulsif rabbin de Jérusalem avait été blessé à mort, ressentant d'un seul coup la destruction de tous les principes qui avaient forgé son esprit et qui l'avaient guidé jusqu'à présent dans sa vie. Devant ses yeux, il avait, maintenant, ce Christ magnanime et incompris ! Les prédicateurs du « Chemin » ne s'étaient pas trompés ! La parole d'Etienne était la vérité pure ! La croyance d'Abigail était le vrai chemin. C'était bien le Messie ! L'histoire merveilleuse de sa résurrection n'était pas une légende amplifiée par les énergies du peuple. Oui, lui, Saûl, le voyait là dans la splendeur de ses gloires divines ! Mais quel amour devait animer ce cœur plein d'auguste miséricorde pour venir le trouver sur les routes désertes, lui, Saûl, qui s'était levé en persécuteur implacable de ses disciples les plus fidèles!... Avec toute la sincérité de son âme ardente, le temps d'un court instant, il réfléchissait à tout cela. Il ressentit une invincible honte de son passé cruel. Un torrent de larmes impétueuses lavait son cœur. Il aurait voulu parler, se punir, clamer ses infinies désillusions, jurer sa fidélité et son dévouement au Messie de Nazareth, mais l'affliction sincère de son esprit repenti et lacéré lui coupait la parole.
C'est alors qu'il a remarqué que Jésus s'approchait et le dévisageant affectueusement, le Maître a touché ses épaules avec tendresse et lui dit sur un ton paternel :
Ne regimbe pas contre les aiguillons !...
Saûl a compris. Dès sa première rencontre avec Etienne, des forces profondes l'obligeaient, à chaque instant et de toute part, à méditer sur ses nouveaux enseignements. Le Christ l'avait appelé par tous les moyens et de toutes les manières possibles.
Sans qu'il puisse comprendre la grandeur divine de cet instant, ses compagnons de voyage le virent pleurer plus copieusement.
Le jeune homme de Tarse sanglotait. Devant la douce et persuasive expression du Messie nazaréen, il réfléchissait au temps perdu sur des chemins tortueux et ingrats. Désormais il avait besoin de reformuler le patrimoine de ses pensées ; la vision de Jésus ressuscité, à ses yeux mortels, renouvelait intégralement ses conceptions religieuses. De toute évidence, le Sauveur s'était apitoyé de son cœur loyal et sincère au service de la Loi, et était descendu de sa gloire pour lui tendre ses mains divines. Lui, Saûl, était le mouton égaré sur la pente des théories échauffées et destructrices. Jésus était l'ami Berger qui daignait fermer les yeux aux épines ingrates, afin de le sauver affectueusement. Brusquement, le jeune rabbin mesura l'extension de ce geste d'amour. Des larmes surgirent de son cœur amer, comme l'eau pure d'une source inconnue. À cet instant même, dans l'auguste sanctuaire de son esprit, il jura de se consacrer à Jésus pour toujours. D'un seul coup, il s'est souvenu des dures et pénibles épreuves. Son désir d'édifier un foyer était mort avec Abigail. Il se sentait seul et brisé. Désormais cependant, il se livrerait au Christ, en humble esclave de son amour. Et tout s'emploierait à lui prouver qu'il savait comprendre son sacrifice, le soutenant sur le dur sentier des iniquités humaines, à cet instant décisif de sa destinée. Baigné de larmes, comme jamais cela ne lui était arrivé dans sa vie, il a fait, en cet endroit même, sous le regard atterré de ses compagnons à la chaleur brûlante de midi, sa première profession de foi.
Seigneur, que voulez-vous que je fasse ?
Même au moment d'une capitulation inconditionnelle, cette âme résolue, humiliée et blessée dans ses principes les plus chers, donnait la preuve de sa noblesse et de sa loyauté. En raison de l'amour que Jésus lui témoignait instamment, il trouva la révélation d'autant plus grande ;
Saûl de Tarse ne choisit pas de tâches pour le servir dans la rénovation de ses efforts. Se livrant à lui corps et âme, comme s'il n'était qu'un simple serviteur, il demandait avec humilité ce que le Maître désirait de lui.
À ce moment là, Jésus qui le dévisageait affectueusement lui a laissé comprendre que les hommes devaient s'associer dans l'œuvre commune à l'édification de tous, dans un sentiment d'amour universel en son nom et il a généreusement expliqué :
Lève-toi, Saûl ! Entre dans la ville et là on te dira ce qu'il convient de faire !...
Alors, le jeune tarsien n'a plus perçu la figure aimante, gardant l'impression d'être plongé dans un océan d'ombres. Prostré, il pleurait toujours, faisant pitié à ses compagnons. Et comme s'il désirait arracher le voile qui lui masquait la vision, il se frotta les yeux mais il n'arrivait qu'à tâtonner dans les profondes ténèbres. Peu à peu, il perçut la présence de ses amis qui semblaient commenter la situation :
Mais enfin, Jacob - dit l'un d'eux, manifestant une grande inquiétude -, que ferons- nous maintenant ?
Je pense - répondit l'interpellé - qu'il vaudrait mieux envoyer Jonas à Damas, pour savoir ce que nous devons faire dans l'immédiat.
Mais que s'est-il passé ? - demanda le vieil homme respectable qui répondait au nom de Jonas.
Je ne sais pas bien - lui dit Jacob impressionné -, au début, j'ai remarqué une intense lumière dans les deux et tout de suite après, j'ai entendu qu'il demandait de l'aide. Je n'ai même pas eu le temps de réagir, parce qu'au même instant, il est tombé de l'animal, sans pouvoir recevoir le moindre secours.
Ce qui m'inquiète - réfléchissait Déméter - c'est ce dialogue avec les ombres. Avec qui parlait-il ? Nous pouvions entendre sa voix mais nous ne pouvions voir personne, que s'est-il passé à ce moment-là que nous ne puissions comprendre ?
Mais tu ne vois pas que le chef est en train de délirer ? - a objecté Jacob prudemment - les longs voyages sous un soleil cuisant peuvent abattre facilement les organismes les plus résistants. De plus, comme nous l'avons remarqué ce matin, il semble contrarié et malade. Il ne s'est pas nourri, il s'est affaibli pendant ces longues journées passées à faire de grands efforts, depuis notre départ de Jérusalem. À mon avis - conclut-il en secouant sa tête accablée - il s'agit d'un de ces cas de fièvres qui attaquent soudainement dans le désert...
Les yeux écarquillés, le vieux Jonas fixait le rabbin éploré avec une grande surprise. Mais après avoir entendu l'avis de ses compagnons, effrayé il fit remarquer comme s'il craignait d'offenser quelque entité inconnue :
J'ai une grande expérience de ces marches en plein soleil. J'ai passé ma jeunesse à conduire des chameaux à travers les déserts de l'Arabie. Mais, je n'ai jamais vu un malade dans ces parages avec ces caractéristiques - la fièvre de ceux qui tombent exténués en chemin ne se manifeste pas par du délire et des larmes. Le patient tombe abattu, sans la moindre réaction. Or ici, nous avons observé notre patron parler avec un homme invisible pour nous. J'hésite à accepter cette hypothèse, mais je crains que, dans tout cela, résident les signes des sorcelleries du « Chemin », les partisans du charpentier ont des pratiques magiques que nous sommes loin de comprendre. Nous n'ignorons pas que le docteur s'est consacré à la tâche de les persécuter où qu'ils se trouvent. Qui sait s'ils n'ont pas prévu de se venger de lui cruellement ? Si j'ai accepté de venir à Damas, c'était justement pour fuir mes parents qui semblent séduits par ces nouvelles doctrines. Où a-t-on vu guérir la cécité par la simple imposition des mains ? Et pourtant, mon frère a été guéri par le célèbre Simon Pierre. Seule la sorcellerie, à mon avis, éclaircirait ces choses. À voir tant de faits mystérieux dans ma propre maison, j'ai eu peur de Satan et je me suis enfui.