Le troisième jour passé à de ferventes prières, voici que l'hôtelier vint lui annoncer que quelqu'un était là pour le voir. Serait-ce Sadoc ? Saûl avait soif d'une voix affectueuse et amicale. Il lui demanda d'entrer. Un vieillard au visage calme et bon était là sans que le converti puisse voir ses respectables cheveux blancs et son sourire généreux.
Le mutisme de son visiteur indiquait qu'il lui était inconnu.
Qui êtes-vous ? - a demandé l'aveugle surpris.
Frère Saûl - répondit l'interpellé avec douceur -, le Seigneur, qui vous est apparu sur le chemin, m'a envoyé ici pour que vous retrouviez la vue et que vous receviez l'illumination du Saint-Esprit.
À ces paroles, le jeune homme de Tarse tâtonna anxieusement dans l'ombre. Qui était cet homme qui connaissait les faits survenus sur sa route ! Une connaissance de Jacob ? Mais... cette inflexion de voix tendre et affectueuse ?
Votre nom ? - a-t-il demandé presque atterré.
Ananie.
La réponse était une révélation. Le mouton persécuté venait chercher le loup vorace. Saûl comprit la leçon que le Christ lui donnait. La présence d'Ananie évoquait à sa mémoire les appels les plus sacrés. C'était lui l'instructeur d'Abigail dans la doctrine et la cause de son voyage à Damas, où il avait trouvé Jésus et la vérité rénovatrice. Pris d'une profonde vénération, il voulut s'avancer, s'agenouiller devant le disciple du Seigneur qui l'appelait tendrement « frère », baiser tendrement ses mains bienfaitrices, mais il n'arrivait qu'à tâtonner dans le vide, sans réussir à manifester sa très grande gratitude.
Je voudrais baiser votre tunique - a-t-il dit avec humilité et reconnaissance -, mais comme vous le voyez, je suis aveugle !...
Jésus m'a justement envoyé pour vous rendre le don de la vue.
Très ému, le vieux disciple du Seigneur a remarqué que le persécuteur cruel des apôtres du «Chemin » était totalement transformé. Entendant ses paroles pleines de foi, Saùl de Tarse laissa apparaître sur son visage les signes d'une profonde joie intérieure. De ses yeux obscurs coulèrent des larmes cristallines. Le jeune homme passionné et capricieux avait appris à être humain et humble.
Jésus est le Messie éternel ! J'ai déposé mon âme entre ses mains !... - a-t-il révélé partagé entre le repenti et l'espoir. Il m'a puni pour mes actes !...
Baigné des larmes d'une sincère repentance, sans pouvoir manifester sa reconnaissance en cette heure, en vertu des ténèbres qui entravaient ses pas, il s'est agenouillé avec humilité.
Le vieillard généreux voulut s'avancer, empêcher ce geste de renoncement suprême, connaissant sa propre condition d'homme faible et imparfait ; mais désireux d'aider cette âme ardente à sa complète conversion au Christ, il s'est approché ému et plaçant sa main ridée sur ce front tourmenté, il a annoncé :
Frère Saûl, au nom de Dieu Tout-Puissant je te baptise dans la nouvelle foi en le Christ Jésus !...
Entre les larmes chaudes qui coulaient de ses yeux, le jeune tarsien a ajouté, prostré :
Daignez, Seigneur, pardonner mes péchés et illuminez mes desseins pour une vie nouvelle.
Maintenant - a dit Ananie en imposant ses mains sur ses yeux éteints d'un geste délicat -, au nom du Sauveur, je demande à Dieu que tu puisses voir à nouveau.
Si cela plait à Jésus que cela soit - a dit Saûl ému -j'offre mes yeux à ses services sacrés pour toujours.
Et comme si des forces puissantes et invisibles entraient en jeu, il a senti que de ses paupières douloureuses tombaient des substances lourdes comme des écailles, au fur et à mesure que sa vue revenait s'abreuvant de lumière. À travers la fenêtre ouverte, il vit le ciel clair de Damas, éprouvant un bonheur infini dans cet océan de clartés éblouissantes. Le souffle du malin, comme le parfum du soleil, venait baigner son front. traduisant à son cœur la bénédiction de Dieu.
Je vois !... Maintenant je vois !... Gloire au rédempteur de mon âme !... - s'exclama-t-il en tendant les bras, transporté de gratitude et d'amour.
Devant cette preuve fantastique de la miséricorde de Jésus, Ananie non plus ne put se retenir, le vieux disciple de l'Évangile a embrassé le jeune tarsien, pleurant de reconnaissance à Dieu pour les faveurs reçues. De ses bras généreux, tremblant de joie, il l'a aidé à se relever, soutenant son âme surprise et bouleversée d'allégresse.
Frère Saûl - a-t-il dit empressé -, ceci est un grand jour ; embrassons-nous pour évoquer le souvenir sacro-saint du divin Maître qui nous a unis dans son grand amour !...
Le converti de Damas n'a pas dit un mot. Les larmes de gratitude l'étouffaient. Embrassant l'ancien prédicateur, c'est dans un geste expressif et muet qu'il le fit comme s'il avait trouvé le père dévoué et aimant de sa nouvelle existence. Pendant un long moment, tous deux sont restés silencieux, émerveillés par l'intervention divine, comme deux frères très chers qui se seraient réconciliés sous le regard de Dieu.
Saûl se sentait maintenant fortifié et valide. En une minute, il lui semblait avoir récupérer toutes les énergies de sa vie. Revenant petit à petit de la béatitude divine qui le félicitait, il prit la main du vieux disciple et l'embrassa avec vénération. Ananie avait les yeux pleins de larmes. Lui-même ne pouvait pas prévoir les joies infinies qui l'attendaient dans la modeste pension de la « rue Droite ».
Vous m'avez ressuscité pour Jésus - s'exclama-t-il radieux - ; je serai à lui éternellement. Sa miséricorde suppléera mes faiblesses, il compatira de mes blessures, il enverra de l'aide à la misère de mon âme pécheresse pour que la boue de mon esprit se convertisse en l'or de son amour.
Oui, nous appartenons au Christ - a ajouté le généreux vieillard avec une grande joie qui débordait de ses yeux.
Et, comme s'il était subitement transformé en un garçon avide d'enseignements, Saûl de Tarse, s'est assis près de son ami bienfaiteur et le supplia de lui parler du Christ, de ses postulats et de ses actes immortels. Ananie lui a raconté tout ce qu'il savait de Jésus par l'intermédiaire des apôtres après la crucifixion à laquelle il avait lui aussi assisté à Jérusalem, en cet après-midi tragique du Calvaire. Il lui a expliqué qu'il était cordonnier à Emmaùs et était allé à la ville sainte pour assister aux commémorations du Temple, et avait à cette occasion été témoin du drame poignant dans les rues pleines de monde. Il lui a parlé de la compassion qu'il avait éprouvé en voyant le Messie couronné d'épines et hué par la foule furieuse et inconsciente. Son émotion était profonde à la description de la pénible marche, alors que le Christ, portant la croix, était protégé par des soldats impitoyables de la furie populaire qui vociférait le crime hideux. Curieux à l'idée de connaître le dénouement des événements dont il était témoin, Ananie avait suivi le condamné jusqu'au mont. De la croix du martyre, Jésus lui avait lancé un regard inoubliable. À son esprit, ce regard traduisait un appel sacré qu'il devait à tout prix comprendre. Profondément impressionné, il avait assisté à tout ce qui se passait jusqu'au bout. Trois jours plus tard, encore sous le choc de ces angoissantes impressions, voici qu'est arrivée l'heureuse nouvelle que le Christ était ressuscité d'entre les morts pour la gloire éternelle du Tout-Puissant. Ses disciples étaient ivres de bonheur. Alors, il est allé voir Simon Pierre pour mieux connaître la personnalité du Sauveur. Son récit fut si sublime, ses enseignements si élevés, la révélation qui éclairait son esprit si profonde, qu'il a accepté l'Évangile sans plus d'hésitation. Désireux de partager le travail que Jésus avait légué à ceux qui lui étaient proches, il était retourné à Emmaus, avait disposé des biens matériels qu'il possédait et avait attendu les apôtres galiléens à Jérusalem où il s'était associé à Pierre dans les premières activités de l'église du « Chemin ». L'essence des enseignements du Christ vitalisait son esprit, les maux de la vieillesse avaient disparu. Dès que Jean et Philippe arrivèrent à Jérusalem pour aider l'ancien pêcheur de Capharnaum à l'édification évangélique, ils ont organisé son transfert pour Joppé afin qu'il puisse répondre aux nombreuses demandes des frères désireux de connaître la doctrine. Il y était resté jusqu'à ce que les persécutions intensifiées par la mort d'Etienne l'obligent à partir.