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Contrarié, il a quitté le Temple à la recherche de son bienfaiteur afin de trouver un peu de réconfort auprès de lui.

Ananie ne fut pas surpris par l'exposition des faits relatés.

Je me vois entouré d'énormes difficultés - dit Saûl un peu perturbé. - Je me sens dans le devoir de répandre la nouvelle doctrine en rendant nos semblables heureux ; Jésus a rempli mon cœur d'énergies inespérées, mais la sécheresse des hommes effraierait les plus forts.

Oui - a expliqué l'ancien avec patience -, le Seigneur t'a conféré la tâche du semeur ; tu as beaucoup de bonne volonté, mais que fait un homme en recevant une mission de cette nature ? Avant tout, il cherche à rassembler les pièces dans sa cagnotte personnelle pour que l'effort soit profitable.

Le néophyte perçut la portée de la comparaison et a demandé :

Mais que voulez-vous dire par là ?

Je veux dire qu'un homme à la vie pure et droite sans commettre d'erreurs dans ses bonnes intentions, est toujours prêt à planter le bien et la justice sur le chemin qu'il parcourt ; mais celui qui s'est déjà trompé, ou qui garde quelques fautes, a besoin de témoigner par sa propre souffrance avant d'enseigner. Ceux qui ne seront pas complètement purs, ou qui n'ont pas souffert en chemin, ne sont jamais bien compris par ceux qui entendent simplement leurs paroles. Contre leurs enseignements, il y a leur propre vie. En outre, tout ce qui est de

Dieu demande une grande paix et une profonde compréhension. Dans ton cas, tu dois penser à la leçon de Jésus qui est resté pendant trente ans parmi nous, se préparant à supporter notre présence pendant seulement trois. Pour recevoir une tâche du ciel, David a vécu avec la nature gardant des troupeaux ; pour ouvrir la route au Sauveur, Jean Baptiste a médité pendant longtemps dans les déserts austères de la Judée.

Le bon sens affectueux d'Ananie tombait dans son âme oppressée comme un baume vitalisant.

Quand tu auras plus souffert - continua le bienfaiteur et ami sincère -, tu auras trouvé la compréhension des hommes et des choses. Seule la douleur nous enseigne à être humains. Quand la créature entre dans la période la plus dangereuse de l'existence, après l'enfance matinale et avant la nuit de la vieillesse ; quand la vie regorge d'énergies, Dieu lui envoie des enfants pour qu'avec ses travaux son cœur s'attendrisse. D'après ce que tu m'as confessé, il est possible que tu ne sois jamais père, mais tu auras les enfants du Calvaire de toute part. N'as-tu pas vu Simon Pierre, à Jérusalem, entouré de malheureux ? Naturellement, tu trouveras un foyer plus grand sur terre où tu seras appelé à exercer la fraternité, l'amour, le pardon... Il faut mourir pour le monde, pour que le Christ vive en nous...

Ces commentaires si sains et si tendres ont pénétré l'esprit de l'ex-rabbin comme un baume de consolation venant de plus vastes horizons. Ses paroles aimantes l'amenèrent à se souvenir de quelqu'un qui l'aimait beaucoup. Le cerveau fatigué par les heurts du jour, Saùl s'efforçait de mieux fixer ses idées. Ah !... maintenant il s'en souvenait parfaitement. C'était Gamaliel. Un désir soudain de revoir son vieux maître surgit en lui. Il comprenait lu raison de ce souvenir. C'est que lui aussi lors de leur dernière rencontre lui avait parlé du besoin qu'il ressentait d'un endroit solitaire pour méditer sur les vérités sublimes et nouvelles. Il le savait à Palmyre, en compagnie d'un frère. Comment ne s'était-il pas encore souvenu de son vieux maître qui était presque un père pour lui ? Gamaliel le recevrait certainement à bras ouverts, il se réjouirait de ses récentes conquêtes, lui donnerait des conseils généreux quant aux itinéraires à suivre.

Plongé dans ses tendres souvenirs, il remercia Ananie avec un regard significatif, ajoutant ému :

Vous avez raison... Je me recueillerai dans le désert au lieu de retourner à Jérusalem précipitamment, sans forces peut-être pour affronter l'incompréhension de mes confrères. J'ai un vieil ami à Palmyre, qui m'accueillera volontiers. Là je me reposerai quelques temps, jusqu'à ce que je puisse m'isoler dans des régions solitaires pour méditer sur les leçons reçues.

Ananie a approuvé l'idée avec un sourire. Ils restèrent encore un long moment à parler jusqu'à ce que la nuit plonge l'âme des choses dans son voile d'ombres épaisses.

Le vieux prédicateur a alors conduit le nouvel adepte à l'humble réunion qui avait lieu en ce samedi de grandes déceptions pour l'ex-rabbin.

Damas n'avait pas à proprement parlé d'église ; cependant, elle comptait de nombreux croyants attachés à l'idéal religieux du « Chemin ». Le groupe de prière se réunissait chez une humble blanchisseuse, compagne de foi, qui louait la salle pour pouvoir s'occuper de son fils paralytique. Profondément admiratif, le jeune tarsien entrevit là, la miniature du tableau observé pour la première fois, quand il eut l'invincible curiosité d'assister aux célèbres prêches d'Etienne à Jérusalem. Autour de la vieille table étaient rassemblées des créatures misérables de la plèbe qu'il avait toujours maintenues distantes de sa sphère sociale. Des femmes analphabètes avec des enfants dans leur bras, de vieux maçons bourrus, des blanchisseuses qui ne réussissaient pas à conjuguer deux mots correctement. Des vieillards aux mains tremblantes se soutenaient à de gros bâtons, de pauvres malades qui exhibaient des pénibles maladies. La cérémonie semblait encore plus simple que celle de Simon Pierre et de ses compagnons galiléens. Ananie commandait et présidait la séance. Il s'assit à la table comme un patriarche au sein de sa famille et demanda les bénédictions de Jésus pour la bonne volonté de tous. Ensuite, il fit la lecture des enseignements de Jésus, reprit quelques phrases du divin Maître sur les parchemins éparses. Une fois la page commentée, il l'illustra avec l'exposition de faits significatifs, issus de sa connaissance ou de son expérience personnelle. Puis le vieux disciple de l'Évangile se leva, il parcourut les rangées de bancs tout en imposant ses mains sur les malades et les nécessiteux. Au siècle premier, les cellules chrétiennes à l'origine avaient pour habitude de rappeler les joies de Jésus qui servait le repas à ses disciples en faisant une modeste distribution de pain et d'eau pure, au nom du Seigneur. Ému, Saûl en prit un morceau. Pour son âme, ce maigre bout de pain avait la saveur divine de la fraternité universelle. De l'eau claire et fraîche de la jarre en grés, est monté un fluide d'amour qui venait de Jésus, se communiquant à tous les êtres. À la fin de la réunion, Ananie priait avec ferveur. Après avoir évoqué la vision de Saûl et la sienne lors des simples commentaires de cette nuit-là, il a. demandé au Sauveur de protéger le nouveau serviteur qui allait partir pour Palmyre, afin de méditer plus longuement sur l'immensité de ses miséricordes. En entendant sa prière que la chaleur de l'amitié enduisait d'un singulier enchantement, Saûl se mit à pleurer de reconnaissance et de gratitude, comparant les émotions du rabbin qu'il avait été, avec celles du serviteur de Jésus qu'il voulait maintenant être. Dans les somptueuses réunions du Sanhédrin, jamais il n'avait entendu un compagnon implorer le ciel avec une si grande sincérité. Parmi les plus acharnés, il n'avait trouvé que de vains compliments, prêts à se transformer en de viles calomnies quand des faveurs matérielles ne leur étaient pas accordées. De toute part, l'admiration superficielle dominait, fille du jeu des intérêts inférieurs. Là, la situation était autre. Aucune de ces créatures désertées par la chance n'était venue demander des faveurs ; tous semblaient satisfaits d'être au service de Dieu, qui les réunissait là au terme d'une journée de travail exhaustif et laborieux. Et en plus, ils suppliaient Jésus de leur accorder la paix d'esprit pour poursuivre leur chemin.