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Il demanda à parler à Ézéquiel. Il fut bientôt reçu par un homme âgé au visage souriant et respectable qui le salua avec beaucoup de courtoisie. Il s'agissait du frère de Gamaliel, qui fit immédiatement connaissance avec le patricien qui arrivait de loin et entama une conversation amicale. Cherchant délicatement à obtenir des informations concernant le vénérable rabbin de Jérusalem, Saûl recueillait d'Ézéquiel les clarifications nécessaires avec beaucoup d'intérêt :

Mon frère - lui disait-il soucieux - depuis qu'il est arrivé à Palmyre me semble très différent.

Il est possible que le changement de Jérusalem ait influencé cette profonde transformation. La différence d'environnement social, le changement d'habitudes, le climat, l'absence de travaux usuels, tout cela peut avoir affecté sa santé.

Comment cela ? - a demandé le jeune homme sans dissimuler sa surprise.

Il passe des jours et des jours dans une hutte abandonnée que je possède, à l'ombre de quelques dattiers, dans une des nombreuses oasis qui nous entourent ; cl cela, rien qu'à lire et méditer sur un manuscrit sans importance que je n'ai pas réussi à comprendre. En outre, il me semble complètement désintéressé par nos pratiques religieuses, il vit comme un étranger en ce monde. Il parle de visions du ciel, il se rapporte constamment à un charpentier qui s'est transformé en Messie du peuple qui se nourrissait de choses imaginaires, de rêves irréels. Parfois, c'est avec un profond dépit que j'observe sa décadence mentale. Ma femme, toutefois, attribue tout cela à son âge avancé et je veux plutôt croire, ou pour le moins en grande partie, que c'est dû à l'intensité de l'étude, des méditations prolongées.

Ézéquiel fit une pause, tandis que Saûl fixait sur lui son regard perçant et significatif, comprenant l'état de son vieux maître.

À un nouveau commentaire fait par le jeune tarsien, l'autre continua, loquace :

Au sein de ma famille, Gamaliel est traité comme si c'était notre père. D'ailleurs, je dois le début de ma vie à son immense dévouement fraternel. Pour cela même, ma femme et moi, nous nous sommes entendus avec nos enfants pour maintenir une atmosphère de paix qui devait entourer ici notre cher et noble malade. Quand il parle des illusions religieuses qui exaltent son déséquilibre mental, personne dans cette maison ne le contredit. Nous savons déjà qu'il perd la tête. Son puissant esprit est défaillant, son étoile s'éteint. Dans ces pénibles circonstances, je rends encore grâce à Dieu de me l'avoir apporté ici pour finir ses jours entouré de notre affection familiale, loin des sarcasmes dont il aurait peut-être été l'objet à Jérusalem où tous ne sont pas en mesure de comprendre et d'honorer son illustre passé.

Mais la ville a toujours vénéré en lui un maître inoubliable - a ajouté le jeune homme comme s'il voulait défendre ses propres sentiments d'amitié et d'admiration.

Oui - a éclairci le commerçant, convaincu -, un homme de son niveau intellectuel serait préparé à tout comprendre, mais et les autres ? Vous n'ignorez pas, naturellement, la persécution implacable entreprise par les autorités du Sanhédrin et du Temple contre les sympathisants du célèbre charpentier nazaréen. Palmyre a eu des nouvelles concernant ces faits par l'intermédiaire d'innombrables pauvres patriciens qui ont rapidement quitté Jérusalem, menacés de prison et de mort. Et c'est justement à cause de la personnalité de cet homme que Gamaliel a donné les premiers signes de faiblesse mentale. S'il était là- bas, qu'adviendrait-il de lui dans sa vieillesse désorientée ? Naturellement de nombreux amis, comme vous, auraient été prêts à prendre sa défense, mais le cas aurait pu atteindre des proportions plus graves, des ennemis politiques réclamant des mesures ingrates auraient pu surgir. Et de notre côté, nous n'aurions rien pu faire pour rétablir la situation, parce qu'en vérité, sa folie est pacifique, presque imperceptible et en aucune manière nous ne pourrions supporter son apologie au scélérat que le Sanhédrin envoya sur la croix des voleurs.

Saûl ressentait un profond malaise en entendant ces commentaires, maintenant si injustes et si superficiels à son goût. Il comprenait la délicatesse du moment et la nature des ressources psychologiques à déployer pour ne pas s'engager et aggraver encore davantage la position de son illustre maître.

Désirant changer le ' cours de la conversation, il demanda avec sérénité :

Et les médecins ? Quel est leur avis ?

Au dernier examen auquel il s'est soumis, par insistance de notre part, ils ont découvert que notre cher malade, en plus d'être dérangé, souffre d'une asthénie organique singulière qui épuise petit à petit ses dernières forces vitales.

Saûl fit encore quelques commentaires, attristé, et après avoir reconsidéré ses premières impressions à l'égard de l'aimable hospitalité d'Ézéquiel, assisté par un jeune employé de la maison, il s'est dirigé vers l'endroit où son ancien mentor le reçut avec surprise et avec joie.

L'ex-disciple a remarqué que Gamaliel présentait effectivement les symptômes d'un grand abattement. Ce fut avec une joie infinie qu'il le serra affectueusement dans ses bras, baisant avec effusion ses mains rêches et tremblantes. Ses cheveux semblaient plus blancs ; sa peau, sillonnée de vénérables rides, était d'une indicible pâleur comme celle de l'albâtre.

Ils ont longuement parlé de leurs souvenirs, des succès de Jérusalem, des amis lointains. Après ces préambules amicaux, le jeune tarsien a raconté à son maître les grâces recueillies aux portes de Damas avec vénération. La voix de Saûl avait l'inflexion vibrante de la passion et de la sincérité qu'exprimaient ses émotions. Le vieillard écouta son récit avec beaucoup d'étonnement ; ses yeux vifs et sereins sécrétaient des larmes d'émotion qui n'arrivaient pas à couler. Cette preuve le remplissait d'une profonde consolation. Il n'avait pas accepté, en vain, ce Christ sage et aimant, incompris de ses collègues. À la fin de son exposé, Saûl de Tarse avait le regard voilé de sanglots. Le bon vieillard l'a étreint avec émoi l'attirant à son cœur.

Saûl, mon fils - dit-il exultant -, je savais bien que je ne me trompais pas concernant le Sauveur qui avait si profondément parlé à ma vieillesse épuisée à travers la lumière spirituelle de son Évangile de rédemption. Jésus a daigné tendre ses mains aimantes à ton Esprit dévoué.

La vision de Damas suffit pour que tu consacres ton existence entière à l'amour du Messie. Il est vrai que tu as beaucoup travaillé pour la Loi de Moïse sans hésiter dans l'adoption de mesures extrêmes pour sa défense. Néanmoins, le moment est venu de travailler pour celui qui est plus grand que Moïse.

Et pourtant, je me sens vraiment désorienté et dérouté - a murmuré le jeune de Tarse en toute confiance. Depuis ces événements, je remarque que je suis en présence de transformations singulières et radicales. Obéissant à mes intentions les plus sincères, j'ai voulu entamer mes efforts pour le Christ dans Damas même, néanmoins, j'ai reçu les plus fortes démonstrations de dédain et de ridicule de la part de nos amis, ce dont j'ai beaucoup souffert. Soudainement, je me suis vu sans compagnons, sans personne. Quelques participants à la réunion du « Chemin » ont fraternellement consolé mon âme abattue, mais ce ne fut pas suffisant pour compenser les arrières désillusions éprouvées. Sadoc lui-même, qui dans mon enfance a été le pupille de mon père, m'a couvert de récriminations et de railleries. J'ai voulu retourner à Jérusalem, mais après ce qui s'était passé à la synagogue de Damas, j'ai compris ce qui m'attendait à un degré plus élevé auprès des autorités du Sanhédrin et du Temple. Naturellement, la profession de rabbin ne pourra pas aider mon esprit sincère car en d'autres termes ce serait me mentir à moi-même. Sans travail, sans argent et sans le soutien d'un cœur plus expérimenté que le mien, je me trouve face à une foule de questions insolubles. J'ai donc décidé de me rendre dans le désert pour trouver auprès de vous l'aide nécessaire.