Je te vois, à l'avenir, voué à Jésus avec le même zèle empressé avec lequel je t'ai connu consacré à Moïse ! Si le Maître t'a appelé au service, c'est parce qu'il confie en ta compréhension de serviteur fidèle. Quand l'effort de tes mains t'aura donné la liberté de choisir le nouveau chemin à suivre, Dieu bénira ton cœur pour diffuser la lumière de l'Évangile parmi les hommes jusqu'au dernier jour de ta vie, ici sur terre. Dans ce labeur, mon fils, si tu te heurtes à l'incompréhension et aux combats à Jérusalem, ne te désespère pas, n'abandonne pas. Tu as semé là-bas une certaine confusion dans les esprits, il est juste que tu récoltes ce que tu as semé. Dans toute tâche, néanmoins, souviens-toi du Christ et va de l'avant en déployant tes sincères efforts. Que les méfiances, la calomnie et la mauvaise foi ne te gênent pas, attentif au fait que Jésus a vaincu courageusement tout cela !...
Saûl ressentait une profonde sérénité à cette exhortation aimante, tendre et loyale. À l'entendre, il est resté là, pendant un long moment, entre les larmes brûlantes qui témoignaient son repentir du passé et les espoirs de l'avenir.
En cet après-midi, Gamaliel quitta sa modeste hutte et se rendit avec l'ex-disciple chez son frère qui dès lors accueillit le jeune tarsien sous son toit avec une indicible satisfaction.
L'intelligence fulgurante et la jeunesse communicative de l'ex-docteur de la Loi avaient conquis Ézéquiel et les siens dans une belle expression d'amitié spontanée.
Dans la soirée, une fois qu'ils eurent pris le dernier repas du jour, le vieux rabbin de Jérusalem a exposé au commerçant la situation de son protégé. Il lui a expliqué que Saûl était devenu son disciple alors qu'il n'était encore qu'un garçon, et exalta ses valeurs personnelles. Puis il conclut en lui parlant de ses besoins économiques vraiment critiques. Et devant l'intéressé lui-même, qui marquait son admiration pour le vieillard sage et généreux, il expliqua qu'il prétendait travailler comme tisserand dans les tentes du désert, et supplia Ézéquiel de soutenir par sa bonté de si nobles aspirations au travail et d'effort personnel.
Le commerçant de Palmyre était admiratif.
Mais pas du tout, - a-t-il dit attentionné - le jeune homme n'aura pas besoin de s'isoler pour gagner sa vie.
Je peux l'employer ici même, en ville, où il restera en contact permanent avec nous.
Néanmoins, je préférerais recevoir votre généreux soutien dans le désert - a souligné Saûl sur un ton expressif.
Pourquoi ? - a demandé Ézéquiel avec intérêt -je ne comprends pas les jeunes comme toi exilés dans des étendues de sable interminables. Les émigrants de Jérusalem en exode qui étaient célibataires n'ont pas supporté les conditions offertes dans les oasis lointaines. Seuls quelques couples ont accepté ces conditions et sont partis. Quant à toi, avec tes dons intellectuels, comment peux-tu préférer être un humble tisserand, éloigné de tous ?...
Gamaliel se dit que l'étrangeté de son frère pourrait l'amener à des hypothèses erronées concernant son jeune ami, et, avant que quelque soupçon injustifié ne se dessine dans son esprit curieux de nature, il dit avec prudence :
Ta question, Ézéquiel, est bien naturelle, car les résolutions de Saûl inspireraient un sentiment d'étrangeté à tout homme pratique. Il s'agit d'un jeune homme plein de talent, porteur de belles promesses d'avenir qui, de plus, est très instruit. Les moins avisés pourraient en arriver à soupçonner dans son attitude le désir de fuir les conséquences de quelques crimes. Mais ce n'est pas le cas. Pour être franc, je dois dire que mon ancien disciple veut se consacrer, plus tard, à la diffusion de la parole de Dieu. Tu penses, alors, que Saûl choisirait plutôt Palmyre à Jérusalem pour la carrière de sa jeunesse triomphante, à notre époque ? La situation n'est donc pas seulement une question pécuniaire, mais c'est aussi par manque de méditation sur les problèmes les plus graves de la vie. Nous savons bien que les prophètes et les hommes de Dieu se sont recueillis dans des lieux solitaires, afin de connaître les réelles inspirations du Très-Haut, avant de transmettre avec succès la sainteté de la parole.
S'il en est ainsi... a répliqué l'autre, vaincu.
Et après avoir réfléchi quelques instants, le commerçant a repris :
Dans la région que nous connaissons sous le nom de « oasis de Dan », distante de plus de cinquante milles, j'y ai justement installé il y a environ un mois un jeune couple de tisserands qui est arrivé avec le dernier groupe de réfugiés. Il s'agit d'Aquiles, dont la femme porte le nom de Prisca, elle fut la servante de ma femme quand elle était jeune, c'est une orpheline abandonnée. Ces bons ouvriers sont, actuellement, les seuls habitants de l'oasis. Saûl pourrait leur tenir compagnie. Là-bas, il y a des tentes appropriées, une maison confortable et les métiers à tisser indispensables au service.
Et en quoi consiste leur travail ? - a interrogé le jeune tarsien intéressé par sa nouvelle tâche.
La spécialité de ce poste avancé - a éclairci Ézéquiel avec une certaine fierté - est la préparation de tapis de laine et de tissus résistants de poils de troupeaux caprins destinés à la confection de tentes de voyage. Ces articles sont vendus en grande partie par notre maison commerciale, mais en plaçant la manufacture de ce travail aussi loin, j'ai l'intention de répondre aux besoins urgents des groupes de chameaux dont je suis propriétaire et que j'emploie dans mon trafic commercial avec toute la Syrie et les autres points florissants du commerce en général.
- Je ferai mon possible pour répondre à votre confiance - a confirmé l'ex-rabbin réconforté.
Ils ont encore discuté pendant un long moment et fait des commentaires sur les perspectives, les conditions et les avantages d'une telle affaire.
Trois jours plus tard, Saûl saluait son maître sous le coup d'une sincère émotion. Il se figurait que cette affectueuse accolade était la dernière et, jusqu'à ce que les chameaux de la caravane disparaissent en direction de l'immense plaine, le jeune homme a enveloppé le vénérable ancien des vibrations caressantes de ses angoissants adieux.
Le lendemain, les employés d'Ézéquiel accompagnés de la longue file de chameaux résignés, le laissaient avec un volumineux chargement de cuirs, en compagnie d'Aquiles et de sa femme dans la grande oasis qui fleurissait en plein désert.
Les deux ouvriers du petit atelier le reçurent avec de grandes démonstrations de fraternité et de sympathie. D'un regard, Saûl reconnut chez eux les plus nobles qualités spirituelles. C'est dans le travail et la bonne entente que ce couple jeune et généreux vivait. Prisca redoublait d'activités pour donner à tout ce qu'elle touchait la marque de son affection. Ses vieilles chansons hébraïques résonnaient dans le grand silence comme les notes d'une souveraine et harmonieuse beauté. Une fois les services domestiques terminés, elle restait près de son compagnon qui s'afférait au métier à tisser jusqu'aux heures les plus tardives du crépuscule. Son mari, à son tour, semblait avoir un excellent caractère, de ceux qui vivent sans émettre la moindre critique. Complètement intégré dans ses responsabilités, Aquiles travaillait sans repos à l'ombre des arbres accueillants et généreux.
Saûl comprit la bénédiction qu'il avait reçue. Il avait l'impression de trouver en ces deux âmes fraternelles, qui jamais plus ne se sépareraient spirituellement de la grandeur de sa mission, deux habitants d'un monde différent qu'il ne lui avait pas été donné de connaître dans sa vie, jusqu'à présent.
Aquiles et Prisca, avant d'être mari et femme, semblaient d'abord être frère et sœur. Dès leur premier jour de travail ensemble, l'ex-docteur de la Loi a pu observer le respect mutuel, la parfaite conformité de leurs idées face à la notion élevée du devoir qui caractérisait leurs moindres attitudes et, surtout, la joie saine qui rayonnait de leurs moindres gestes. Leurs habitudes pures et généreuses enchantaient son âme désappointée par les hypocrisies humaines. Les repas étaient simples ; chaque objet avait sa fonction et sa place, et leurs paroles, quand elles sortaient du cercle de la joie commune, n'étaient jamais empreintes de médisance ou de frivolité.