Le premier jour fut plein d'agréables surprises pour l'ex-rabbin, assoiffé de paix et de solitude pour ses nouvelles études et ses méditations. Avec la plus grande gentillesse, son compagnon de travail faisait son possible pour l'aider à vaincre les petites difficultés à la tâche qu'il ne pratiquait pas depuis de très longues années. Bien naturellement, Aquiles trouva étrange les mains délicates, les manières différentes qui ne paraissaient en rien à celles d'un tisserand ordinaire ; mais avec la noblesse d'esprit qui le caractérisait, il ne demanda rien concernant les motifs de son isolement.
Ce soir-là, une fois la tâche achevée, le couple s'est installé au pied d'un grand palmier. Non sans lancer à leur nouveau compagnon des regards interrogateurs qui traduisaient leur évidente inquiétude et silencieux, ils ont déroulé de vieux parchemins qu'ils se mirent à lire avec beaucoup d'attention.
Saûl perçut leur attitude craintive et s'est approché.
Effectivement - dit-il amicalement - les soirées dans le désert incite à la méditation... le drap infini de sable ressemble à un océan immobile... la douce brise renvoie le message des villes lointaines. J'ai l'impression d'être dans un temple de paix imperturbable, loin du monde...
Aquiles était étonné par ces images évocatrices et ressentit une plus grande affection pour ce jeune anonyme, séparé peut-être des affections qui lui étaient les plus chères, à contempler la plaine sans fin avec une immense tristesse.
C'est vrai - a-t-il répondu gentiment -, j'ai toujours pensé que la nature conservait le désert comme un autel de silence divin pour que les enfants de Dieu aient sur terre un lieu de repos parfait. Profitons donc de notre séjour dans cette solitude pour évoquer le Père juste et saint en admirant sa magnanimité et sa grandeur.
À cet instant, Prisca s'est penchée sur la première partie du rouleau de parchemins, absorbée dans sa lecture.
Lisant accidentellement de loin le nom de Jésus, Saûl s'est approché encore davantage et sans réussir à cacher son grand intérêt, il a demandé :
Aquiles, j'ai un tel amour pour le prophète nazaréen que je me permets de te demander si ta lecture sur la grandeur du Père céleste est faite à travers les enseignements de l'Évangile.
Le jeune couple fut profondément surpris face à une question aussi inattendue.
Oui... - a répondu l'interpellé hésitant -, mais si tu viens de la ville, tu n'es pas sans ignorer les persécutions dont souffrent ceux qui se trouvent liés au « Chemin » du Christ Jésus...
Saûl n'a pu dissimuler sa joie en découvrant que ses compagnons, amants de la lecture, étaient en condition d'échanger des idées éclairées sur son nouvel apprentissage.
Animé par la confession de l'autre, il s'est assis à même le sol et prenant les parchemins avec intérêt, il a demandé :
Les annotations de Lévi ?
Oui - répondit Aquiles plus sûr de lui, maintenant qu'il était certain de se trouver en présence d'un frère d'idéal -, je les ai copiées à l'église de Jérusalem, avant de partir.
Immédiatement, Saûl alla chercher la copie de l'Évangile qui était à son cœur l'un des plus précieux souvenirs de sa vie. Ils ont ainsi conféré, satisfaits, les textes et les enseignements.
Pris d'un sincère intérêt fraternel, l'ex-rabbin leur a demandé avec sollicitude :
Quand avez-vous quitté Jérusalem ? Quel immense soulagement que de rencontrer des frères qui connaissent de près notre ville sainte. Quand j'ai quitté Damas, je ne pensais pas que Jésus me réservait des surprises aussi gratifiantes.
Il y a plusieurs mois que nous sommes partis - lui dit Aquiles en toute confiance maintenant vu la spontanéité des propos entendus. - Nous y avons été poussés par le courant de persécutions.
Cette référence brusque et indirecte à son passé dérangeait le jeune tarsien au plus profond de son cœur.
As-tu connu Saûl de Tarse ? - a demandé le tisserand avec une grande naïveté qui transparaissait dans ses yeux. - D'ailleurs - continua-t-il, tandis que l'interpellé cherchait ce qu'il allait répondre, - le célèbre ennemi de Jésus porte le même nom que toi.
L'ex-rabbin a considéré qu'il valait mieux suivre à la lettre les conseils de Gamaliel. Il était préférable de se cacher, d'éprouver la juste réprobation de son passé condamnable, de s'humilier devant le jugement des autres, aussi implacable soit-il, jusqu'à ce que les frères du «Chemin » confèrent pleinement la fidélité de son témoignage.
Je l'ai connu - a-t-il vaguement répliqué.
Très bien - continua Aquiles pour initier l'histoire de ses vicissitudes -, il est bien possible que lors de ton passage dans Damas et à Palmyre, tu n'aies pas eu une connaissance parfaite des martyres que le célèbre docteur de la Loi nous a imposés, très souvent, arbitrairement. Il est probable que Saûl lui-même ne soit pas au courant, comme je le crois, des atrocités commises par les hommes sans scrupules qu'il a sous ses ordres, parce que les persécutions sont de telle nature que, comme frère du « Chemin », je ne peux admettre qu'un rabbin instruit puisse assumer la responsabilité personnelle de tant de faits iniques.
Tandis que l'ex-docteur cherchait en vain une réponse appropriée, Prisca entra dans la conversation, s'exprimant avec simplicité :
Bien sûr que le rabbin de Tarse ne peut pas connaître tous les crimes commis en son nom. Simon Pierre lui-même, à la veille de notre départ en cachette pendant la nuit, a affirmé que personne ne devait le haïr, car malgré le rôle qu'il avait Joué dans la mort d'Etienne, il était impossible qu'il ait ordonné tant de mesures odieuses et perverses.
Saûl comprenait maintenant qu'il entendait des plus humbles, l'extension de la campagne criminelle qu'il avait déchaînée en donnant libre cours à tant d'abus de la part de ses subalternes et de ses favoris.
Mais - a-t-il demandé surpris - tu as souffert à ce point ? Tu as été condamné à quelque peine ?
Ils sont nombreux ceux qui ont souffert de vexations égales à celles que j'ai dû supporter a murmuré
Aquiles pour s'expliquer -, étant donné les méthodes condamnables de tant d'énergumènes fanatiques, choisis comme assistants dignes du mouvement.
Comment cela ? a interrogé Saûl avec plus d'intérêt.
Je vais te donner un exemple. Imagine-toi qu'un patricien du nom de Yochai, à plusieurs reprises a interpellé mon père concernant la possibilité d'acheter une boulangerie à Jérusalem. Je m'occupais de la boutique ; mon vieux géniteur de ses affaires. Nous vivions heureux, en paix. Malgré les attaques de l'ambitieux Yochai, mon père n'avait jamais pensé se séparer de la source de ses revenus. Yochai, quant à lui dès le début des persécutions bénéficia d'une position plus influente. En de telles circonstances, les caractères mesquins prennent toujours le dessus. Il suffit de lui donner un peu d'autorité et l'envieux a bientôt réalisé ses désirs criminels. Il est vrai que Prisca et moi avons été les premiers à fréquenter l'église du « Chemin », non seulement par affinité de sentiment, comme par devoir pour Simon Pierre qui m'avait soigné d'anciens maux qui me venaient de mon enfance. Mon père, néanmoins, malgré sa sympathie pour le Sauveur, a toujours allégué être trop âgé pour changer d'idées religieuses. Attaché à la Loi de Moïse, il ne pouvait concevoir une rénovation générale de principes en matière de foi. Cela, néanmoins, n'a pas retenu les instincts pervers de l'ambitieux. Un beau jour, Yochai a frappé à notre porte accompagné d'une escorte armée, avec un ordre d'emprisonnement pour nous trois. Il était inutile de résister. Le docteur de Tarse avait lancé un décret qui disait que toute résistance signifiait la mort. Alors nous avons été incarcérés. En vain mon père a juré fidélité à la Loi. Après l'interrogatoire, Prisca et moi, nous avons reçu l'ordre de retourner à la maison, mais notre vieux père a été incarcéré sans compassion. Ses modestes biens lui ont été immédiatement confisqués. Après de nombreux efforts, nous avons réussi à faire en sorte qu'il revienne à nous et ce valeureux vieillard dont le seul soutien était mon dévouement filial, dans sa vieillesse et son veuvage, a expiré dans nos bras le lendemain de sa libération que nous avions tant attendue. Quand il nous est revenu, on aurait dit un fantôme. Des gardes charitables l'ont apporté presque agonisant. J'ai pu voir ses os cassés, ses blessures ouvertes, sa chair déchirée par le fouet. Avec des mots balbutiés, il m'a décrit les scènes lamentables de la prison. Yochai, en personne, entouré de ses partisans, a été l'auteur de ses derniers supplices. Ne pouvant pas résister aux souffrances, il a livré son âme à Dieu !