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Aquiles était profondément ému. Une larme furtive est venue s'associer à ses pénibles souvenirs.

Et l'autorité du mouvement ? - a demandé Saûl terriblement troublé - serait-elle étrangère à ce crime ?

Je crois que oui. La cruauté a été excessive pour que la punition soit uniquement attribuée à des motifs religieux.

Mais tu n'es pas allé devant la justice ?

Qui aurait osé le faire ? - a demandé l'employé d'Ézéquiel avec effarement. - J'ai des amis qui sont parvenus à faire appel, mais ils ont payé leur désir de justice par des punitions encore plus violentes.

L'ex-rabbin comprit la justesse de son point de vue. Ce n'était qu'à présent qu'il avait suffisamment d'ouverture d'esprit qu'il était en mesure d'évaluer la vieille cécité qui avait noirci son âme. Aquiles avait raison. Très souvent il était resté sourd aux prières les plus émouvantes. Invariablement, il soutenait les décisions les plus absurdes venant de ses préposés inconscients. Il se rappelait de Yochai lui-même qui lui semblait si zélé en ses temps d'ignorance.

Et que penses-tu de Saùl ? - a-t-il brusquement demandé.

Loin d'imaginer avec qui il échangeait ses idées les plus personnelles, Aquiles a répondu sans hésiter :

L'Évangile nous demande de le considérer comme un frère qui a extrêmement besoin de la lumière de Jésus-Christ. Je ne l'ai jamais vu, mais craignant les iniquités pratiquées à Jérusalem, je me suis sauvé précipitamment pour finir ici, et j'ai prié Dieu pour lui, espérant qu'un rayon du ciel l'illumine, pas tant pour moi qui ne vaux rien, mais surtout pour Pierre que je considère comme un second père et qui m'est très cher. Je crois que des merveilles pourraient être faites si l'église du « Chemin » pouvait travailler librement. Je pense que les apôtres galiléens sont dignes de trouver un chemin sans épines pour la semence de Jésus.

S'adressant à son épouse, tandis que le jeune tarsien restait silencieux, le tisserand dit avec intérêt :

Tu te rappelles, Prisca, comme l'on implorait notre persécuteur dans nos prières à l'église?! Combien de fois, pour éclairer notre faible esprit du pardon, Pierre nous a enseigné à considérer l'implacable rabbin comme un frère que les violences noircissaient. Pour que nos ressentiments les plus vifs se défassent, il nous parlait de son passé et nous disait que lui aussi par ignorance en était arrivé à nier le Maître, plus d'une fois. Il faisait ressortir nos faiblesses humaines, nous induisait à une plus grande compréhension. Un beau jour, il en est arrivé à déclarer que toutes les persécutions de Saûl étaient utiles car elles nous amenaient à penser à nos propres misères afin de rester vigilants face à nos responsabilités avec Jésus.

L'ex-disciple de Gamaliel avait les yeux humides.

Sans aucun doute, le célèbre pêcheur de Capharnaum est le grand frère des malheureux - a-t-il murmuré convaincu.

La conversation se poursuivit vers d'autres commentaires après l'intervention de Prisca qui révéla connaître beaucoup de femmes à Jérusalem qui, tout en ayant un mari ou un fils incarcéré, demandaient sincèrement à Jésus l'illumination du célèbre persécuteur du « Chemin ». Puis, ils ont parlé de l'Évangile. Le manteau d'étoiles a couvert leurs grandioses espoirs, tandis que Saûl buvait à longues gorgées l'eau pure de l'amitié sincère, dans ce nouveau monde si restreint.

À ces échanges amicaux et fraternels, les jours passaient rapidement. De temps en temps, arrivaient de Palmyre des renforts d'approvisionnements et d'autres ressources. Les trois habitants de l'oasis silencieux tissaient leurs aspirations et leurs pensées autour de l'Évangile de Jésus, le seul livre de leurs méditations dans ces coins si reculés.

L'ex-rabbin avait même changé d'aspect au contact direct des forces agressives de la nature. Sa peau brûlée par le soleil donnait l'impression d'un homme habitué à la rigueur du désert. Sa barbe avait poussé et transformé son visage. Ses mains habituées au traitement des livres étaient devenues calleuses et rudes. Néanmoins, la solitude, les disciplines austères, le métier à tisser laborieux, avaient enrichi son âme de lumière et de sérénité. Ses yeux calmes et profonds certifiaient les nouvelles valeurs de son esprit. Il avait finalement compris cette paix inconnue que Jésus souhaitait à ses disciples ; il savait maintenant interpréter le dévouement de Pierre, la tranquillité d'Etienne à l'instant de la mort ignominieuse, la ferveur d'Abigail, les vertus morales de ceux qui fréquentaient le «Chemin » qu'il avait persécuté à Jérusalem. Son auto-éducation, en l'absence des ressources de l'époque, avait enseigné à son âme inquiète le secret sublime de se livrer au Christ et de se reposer dans ses bras miséricordieux et invisibles. Depuis qu'il s'était consacré au Maître, en son âme et en son cœur, les remords, les douleurs, les difficultés s'étaient comme éloignés de son esprit. Il recevait tout effort à fournir comme un bien, tout besoin comme une source d'enseignement. Finalement, il s'était attaché à Aquiles et à sa femme comme s'ils étaient nés ensemble. Un beau jour, son compagnon est tombé malade et était proche de la mort, prostré par une violente fièvre. La situation pénible, la multiplication des tempêtes de sable avaient aussi beaucoup abattu Prisca qui était aussi alitée avec peu d'espoirs de vie. Saûl, néanmoins, s'est montré d'un courage et d'un dévouement inédits. Pris d'une sincère confiance en Dieu, il attendit le retour au calme et à la joie. Jubilant, il vit revenir Aquiles au métier à tisser et sa compagne aux travaux domestiques, pleins de nouvelles expressions de paix et de confiance.

Après plus d'un an dans cette solitude, une caravane est arrivée de Palmyre lui apportant un billet laconique. Le commerçant l'informait de la mort soudaine de son frère, qu'ils attendaient depuis longtemps d'ailleurs.

Le départ de Gamaliel pour le royaume des deux n'en fut pas moins pour lui une pénible surprise. Le vieux maître, après son père, avait été dans sa vie son plus grand ami. Il a médité sur ses derniers conseils, a réfléchi à sa profonde sagesse. À son souvenir, il trouva la paix désirée pour s'ajuster à la situation spirituelle nécessaire, de manière à réorganiser son existence. Ce jour-là, des pensées teintées d'une profonde nostalgie martyrisèrent son âme sensible.

Dans la soirée, après leur repas et à l'heure des méditations habituelles, l'ex-rabbin a contemplé le couple avec la plus grande tendresse qui transparaissait dans son regard franc.

Chacun était plongé dans la méditation de l'Évangile divin quand le jeune tarsien leur a parlé avec une certaine timidité contrastant avec ses gestes résolus :

Aquiles, de nombreuses fois, dans la solitude de notre travail, j'ai pensé à tout le mal que t'a causé le docteur de Tarse. Que ferais-tu si un jour tu te trouvais brusquement en face du bourreau ?

Je chercherais à voir en lui un frère.