Vous êtes Saûl de Tarse, ancien rabbin à Jérusalem ? - a demandé l'autorité avec emphase.
- Oui, par la grâce du Christ Jésus ! - a-t-il répondu sur un ton ferme et résolu.
Toutes références faites au charpentier de Nazareth n'ont pas lieu d'être ! Seul votre emprisonnement immédiat nous intéresse, conformément aux instructions reçues du Temple - a expliqué le Juif dans une attitude solennelle.
Mon emprisonnement ? - a demandé Saûl surpris.
Oui.
Je ne vous reconnais pas le droit de le faire - a réagi le prédicateur.
Devant cette attitude énergique, il y eut un mouvement d'étonnement général.
Pourquoi réagir ? Quand vous n'avez qu'à obéir. Saûl de Tarse l'a fixé avec fermeté et lui expliqua :
Je m'y refuse car bien qu'ayant modifié mes conceptions religieuses, je suis docteur de la Loi et de plus dans le cadre de la situation politique, je suis un citoyen romain et je ne peux répondre à des ordres verbaux d'emprisonnement.
Mais tu es arrêté au nom du Sanhédrin.
Où est le mandat ?
Cette question imprévisible désorienta l'autorité. Il y avait plus de deux ans que le document officiel était arrivé à Jérusalem, mais personne ne pouvait prévoir cette éventualité. L'ordre avait été soigneusement archivé mais ne pouvait être immédiatement exhibé, comme l'exigeaient les circonstances.
Le parchemin sera présenté dans quelques heures -a ajouté le chef de la synagogue un peu déconcerté.
Et comme pour se justifier, il ajouta :
Depuis le scandale de votre dernier sermon à Damas, nous avons reçu l'ordre de Jérusalem de vous arrêter.
Saûl l'a fixé avec énergie et se tournant vers l'assemblée qui observait son courage moral, prise d'étonnement et d'admiration, il dit fort et clairement :
Hommes d'Israël, j'ai apporté à vos coeurs ce que je possède de meilleur, mais vous rejetez la vérité en l'échangeant pour les formalités extérieures. Je ne vous condamne pas. Je vous plains parce que moi aussi j'ai été comme vous. Néanmoins quand mon heure est arrivée, je n'ai pas refusé la généreuse aide que le ciel m'a offerte. Vous me jetez des accusations, vous insultez mes actuelles convictions religieuses ; mais qui parmi vous serait disposé à discuter avec moi ? Où est-il le sincère combattant au niveau spirituel qui désirerait sonder en ma compagnie les Écritures saintes ?
Un profond silence fit suite au défi lancé.
Personne ? - a demandé l'ardent artisan de hi nouvelle foi avec un sourire de triomphe. - Je vous connais car moi aussi j'ai parcouru ces chemins. Néanmoins, nous devons reconnaître que dans le pharisaïsme nous nous sommes perdus, attirant nos espoirs les plus sacrés dans un océan d'hypocrisies. Vous vénérez Moïse dans la synagogue ; vous prenez grands soins à prononcer des formules extérieures, mais quel est le caractère de votre vie domestique ? Combien de douleurs cachez-vous sous votre brillante tunique ! Combien de blessures dissimulez-vous sous des paroles fallacieuses ! Comme moi, vous devez sentir l'immense dégoût de tant de masques ignobles ! Si nous devions indiquer les actes criminels qui se pratiquent à l'ombre de la Loi, nous n'aurions pas suffisamment de fouets pour punir les coupables ; ni le nombre exact des malheurs nécessaires pour peindre de telles abominations ! J'ai souffert de vos ulcères, je me suis aussi empoisonné dans vos ténèbres et je suis venu vous apporter le remède indispensable. Vous refusez ma coopération fraternelle ; néanmoins, en vain vous résisterez devant les processus régénérateurs, car seul Jésus pourra nous sauver ! Je vous ai apporté l'Évangile, je vous offre la porte de la rédemption à nos vieilles infirmités mais vous voulez récompenser mes efforts par la prison et la malédiction ? Je me refuse à recevoir de telles valeurs en échange de mon initiative spontanée !... Vous ne pourrez pas m'arrêter, parce que la parole de Dieu n'est pas enchaînée. Si vous la rejetez, d'autres me comprendront. Il n'est pas juste de m'abandonner à vos caprices quand le service à réaliser demande mon dévouement et ma bonne volonté.
Les directeurs de la réunion eux-mêmes semblaient dominés par des forces magnétiques puissantes et indéfinissables.
Le jeune tarsien a promené son regard dominateur sur tout le monde, révélant la fermeté de son esprit puissant.
Votre silence parle plus fort que n'importe quel mot - a-t-il conclu presque avec audace. - Jésus ne vous permet pas d'emprisonner son humble et fidèle serviteur. Que sa bénédiction illumine votre esprit dans la vraie compréhension des réalités de la vie.
Disant cela, il a marché résolu vers la porte de sortie, tandis que le regard sombre de l'assemblée accompagnait son ombre jusqu'à ce que d'un pas ferme, il ait disparu dans l'une des rues étroites qui débouchaient sur la grande place.
Comme s'ils s'éveillaient après l'audacieux défi, la réunion a dégénéré en discussions échauffées. L'archiprêtre, qui semblait grandement impressionné par les déclarations de l'ex- rabbin, ne cachait pas son indécision, résistant entre les vérités amères de Saûl et l'ordre de son emprisonnement immédiate. Les compagnons les plus énergiques cherchaient à le soutenir dans son autorité. Il fallait arrêter l'intrépide orateur à tout prix. Les plus déterminés se sont immédiatement lancés à la recherche du parchemin de Jérusalem et dès qu'ils l'eurent trouvé, ils décidèrent de demander de l'aide aux autorités civiles pour prendre des mesures. Trois heures plus tard, toutes les dispositions pour l'incarcération de l'audacieux prédicateur étaient prises. Les premiers contingents furent envoyés aux portes de la ville. Devant chacune d'elles un petit groupe de pharisiens s'est posté, secondé par deux soldats, afin d'éviter toute tentative d'évasion.
Ensuite, ils ont initié des perquisitions en bloc, chez quiconque était suspecté d'être sympathisant ou ayant des relations avec les disciples du Nazaréen.
Quant à Saûl, une fois qu'il se fut éloigné de la synagogue, il voulut voir Ananie, désireux d'entendre sa voix aimante et ses bons conseils.
Le sage vieillard a écouté son récit et approuva son attitude.
Je sais que le Maître - dit le jeune homme finalement - a condamné les conflits et n'a jamais été enclin à la discussion ; mais il n'a pas non plus négocié avec le mal. Je suis prêt à réparer mon passé d'erreurs. J'affronterai les incompréhensions à Jérusalem afin d'attester de ma transformation radicale. Je demanderai pardon aux offensés pour la folie de mon ignorance, mais en aucune façon, je ne pourrai fuir l'opportunité qui m'est donnée d'affirmer le caractère sincère et authentique de ma démarche. Cela servirait-il le Maître que je m'humilie devant les explorations inférieures ? Jésus a combattu autant qu'il l'a pu et ses disciples ne peuvent agir différemment.
Le bon vieillard accompagnait ses propos avec des signes affirmatifs. Après l'avoir réconforté en l'approuvant, il lui a recommandé la plus grande prudence. Il ferait mieux de s'éloigner aussi vite que possible de sa chaumière. Les Juifs de Damas connaissaient le rôle qu'il avait joué dans sa guérison. À cause de cela, très souvent, il avait dû supporter les injures et la dérision. Ils viendraient certainement le chercher là pour l'arrêter. Aussi, était-il d'avis qu'il ferait mieux de se rendre chez une consœur blanchisseuse où ils avaient l'habitude de prier et d'étudier l'Évangile. Elle saurait l'accueillir avec bonté.
Saûl accepta son conseil sans hésiter.
Trois heures plus tard, le vieil Ananie était recherché et interpellé. Vu sa conduite discrète, il fut jeté en prison pour des interrogatoires ultérieurs.
Le fait est que lorsqu'il fut interrogé par l'autorité religieuse, il répondit seulement :
Saûl doit être avec Jésus.
Face à ses scrupules, le généreux vieillard se disait que, de cette manière, il ne mentait pas aux hommes ni ne compromettait un ami fidèle. Après avoir été emprisonné pendant vingt-quatre heures sans pouvoir se communiquer avec quiconque, sa liberté lui fut rendue après de douloureuses punitions. Vingt coups de bastonnade avaient gravement blessé son visage et ses mains. Néanmoins, dès qu'il s'est vu libre, il a attendu la nuit et, avec précaution, il est allé à la modeste hutte où se réalisaient les prêches du « Chemin ». En retrouvant son ami, il lui exposa le plan qui allait remédier à la situation.