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Quand j'étais enfant - raconta Ananie avec plaisir -j'ai assisté à l'évasion d'un homme sur les murs de Jérusalem.

Et comme s'il se souvenait des détails présents dans sa mémoire fatiguée, il a demandé:

Saûl, aurais-tu peur de fuir dans un panier en osier ?

Pourquoi ? - a demandé le jeune homme souriant. - Moïse n'a-t-il pas commencé sa vie dans un panier sur les eaux ?

À cette allusion, le vieil homme fut agréablement surpris et lui expliqua son projet. Pas très loin de là, il y avait de grands arbres près des remparts de la ville. Ils montraient le fugitif dans un grand panier, et ensuite, avec de petits mouvements, ils le feraient descendre de l'autre côté, de sorte à commencer son voyage pour Jérusalem comme il le prétendait. L'ex- rabbin a ressenti une immense joie. Dans l'heure qui suivit, le propriétaire de la maison alla chercher l'aide de trois frères de confiance. Et quand le ciel se fit plus sombre, aux premières heures après minuit, un petit groupe se réunissait près de la muraille, à l'endroit le plus éloigné du centre. Saûl a baisé les mains d'Ananie presque en larmes. Il a salué ses amis à voix basse alors que l'un deux lui remettait un gros paquet de galettes d'orge. En haut de l'arbre touffu et sombre, le plus jeune attendait le signal, le jeune tarsien est entré dans son embarcation improvisée et l'évasion s'est déroulée au moment le plus calme de la nuit.

Une fois de l'autre côté, agilement, il est sorti du panier se laissant emporter par d'étranges pensées. Était-il juste de fuir ainsi ? Il n'avait commis aucun crime quel qu'il soit. N'était-ce pas lâche que de refuser de comparaître devant l'autorité civile pour des explications nécessaires ? En même temps, il se disait que sa conduite ne venait pas de sentiments puérils et inférieurs puisqu'il partait pour Jérusalem l'esprit tranquille, il chercherait à revoir ses anciens compagnons, leur parlerait ouvertement, et se dit finalement qu'il ne serait pas plus raisonnable de se livrer sans défense au fanatisme tyrannique de la Synagogue de Damas.

Aux premiers rayons de soleil, le fugitif était loin. Il emportait avec lui les galettes d'orge comme unique provision et l'Évangile offert par Gamaliel en souvenir de tant de solitude et de combats.

Le voyage fut difficile et laborieux. La fatigue l'obligeait à s'arrêter constamment. Plus d'une fois, il fit appel à la charité d'autrui sur son pénible trajet. Avec l'aide de chameaux, de chevaux ou de dromadaires, le voyage de Damas à Jérusalem n'exigeait pas moins d'une semaine de marche exhaustive. Saûl, lui, était à pied. Il aurait peut-être pu bénéficier du concours décisif de quelque caravane qui lui aurait donné l'aide nécessaire, mais il préféra mesurer sa puissante volonté avec les obstacles les plus durs. Quand la fatigue lui suggérait le désir d'attendre la coopération éventuelle d'autrui, il cherchait à vaincre son découragement, se mettait à nouveau en marche, se soutenait à des cannes improvisées.

Après de doux souvenirs sur les lieux où il avait eu la vision glorieuse du Messie ressuscité, il éprouva à nouveau de tendres émotions en pénétrant en Palestine, alors qu'il traversait lentement les vastes régions de la Galilée. Il voulait à tout prix connaître le théâtre des premières luttes du Maître, s'identifier aux paysages les plus chers, visiter Capharnaum et Nazareth, entendre la parole des enfants de la région. À ce moment-là, le brûlant apôtre des gentils désirait déjà connaître tous les actes afférents à la vie de Jésus, anxieux qu'il était de les coordonner avec assurance, de manière à léguer aux frères de l'humanité le plus grand nombre d'informations sur l'Émissaire divin.

Quand il arriva à Capharnaum, un crépuscule d'or déversait des merveilles de lumière sur le paysage bucolique. L'ex-rabbin descendit religieusement sur le rivage du lac. Il resta ainsi absorbé à la contemplation des eaux agitées. Tout en pensant à Jésus, au pouvoir de son amour, il se mit à pleurer, dominé par une singulière émotion. Il aurait voulu être un humble pêcheur pour capter les enseignements sublimes à la source de ses paroles généreuses et immortelles.

Pendant deux jours, il est resté là sous le coup d'un doux ravissement. Puis, sans dire qui il était, il est allé voir Lévi qui le reçut avec bonté. Il lui montra son dévouement et sa connaissance de l'Évangile, lui a parlé du caractère opportun de ses annotations. Le fils d'Alphée se réjouit en entendant ses propos intelligents et réconfortants. Saûl vécut à Capharnaum des heures délicieuses pour son esprit émotif. C'était le lieu de prédication du Maître ; un peu plus loin, il y avait la petite maison de Simon Pierre ; au-delà, son bureau de pûblicain où le Maître avait appelé Lévi à assumer un rôle important parmi les apôtres. Il a étreint des hommes forts de la localité qui avaient été des aveugles et des lépreux, tous guéris par les mains miséricordieuses du Messie ; il se rendit aussi à Dalmanutha où il connut Madeleine. Il a ainsi enrichi et influencé le monde de ses observations en récoltant des renseignements inédits.

De jour en jour, après s'être reposé à Nazareth, il se trouva là aux portes de la ville sainte des Israélites, exténué de fatigue par ses randonnées laborieuses, ses nuits d'éveil dont les souffrances très souvent lui semblaient sans fin.

À Jérusalem, cependant, d'autres surprises non moins pénibles l'attendaient.

Il était absorbé par d'inquiétantes interrogations. Il n'avait plus eu de nouvelles de ses parents, de ses amis, de sa chère sœur, de sa famille, tous toujours présents dans ses souvenirs. Comment ses compagnons les plus sincères allaient-il le recevoir ? Il ne pouvait pas s'attendre à une aimable réception au Sanhédrin. L'épisode de Damas lui laissait entrevoir l'état d'esprit des membres du Tribunal.

Il avait certainement été sommairement expulsé du cénacle le plus illustre de sa race. En compensation, il avait été admis par le Christ au cénacle infini des vérités éternelles.

Dominé par ces réflexions, il a traversé la porte de la ville se rappelant du temps où, dans une bige véloce, il sortait d'un autre endroit pour aller chez Zacarias, en direction de Joppé. Les réminiscences des heures les plus heureuses de sa jeunesse remplirent ses yeux de larmes. Les passants de Jérusalem étaient loin d'imaginer qui était cet homme maigre et pâle, portant une longue barbe, aux yeux profonds et qui passait se traînant de fatigue.

Après de grands efforts, il a atteint un édifice résidentiel qu'il connaissait, le cœur palpitant précipitamment. Comme un simple mendiant, il a frappé à la porte dans une angoissante attente.

Un homme au visage sévère l'accueillit sèchement.

Pouvez-vous me dire, s'il vous plaît - dit-il avec humilité -, si une dame du nom de Dalila habite encore ici ?

Non -, a répondu l'autre, rudement.

Ce regard dur ne laissait aucune place à d'autres questions, mais même ainsi, il a osé :

Pourriez-vous me dire, s'il vous plait, où elle est partie ?

Et bien ça alors ! - a répliqué le propriétaire de la maison irrité - pourquoi devrais-je rendre des comptes à un mendiant ? D'ici peu vous allez me demander si j'ai acheté cette maison ; ensuite vous me demanderez le prix, exigerez des dates, demanderez de nouvelles informations sur les anciens habitants, me ferez perdre mon temps avec mille questions futiles.

Et fixant sur Saûl ses yeux impassibles, il lui fit d'un seul coup :

Je ne sais rien, tu entends ? À la rue !...