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Le fugitif de Damas est retourné calmement sur la voie publique tandis que le petit homme laissait libre cours à ses nerfs malades en claquant la porte avec fracas.

L'ex-disciple de Gamaliel se mit à réfléchir à l'amère réalité de cette première réception symbolique. Certainement que Jérusalem ne pourrait plus jamais le reconnaître. Malgré ce pénible sentiment, il ne se laissa pas dominer par le découragement. Il décida d'aller voir Alexandre, un parent de Caifa et son compagnon d'activités au Sanhédrin et au Temple. Très fatigué, il a frappé à sa celui-ci le recevait fraternellement. Il ne fallait pas le meurtrir. Néanmoins, il lui était impossible de déguiser la vérité.

Il sentit que ses yeux devenaient humides. Il devait donner le témoignage du Christ, à tout prix, même s'il devait perdre ses plus grandes affections en ce monde.

Alexandre - a-t-il dit humblement -, il est vrai que j'ai initié le grand mouvement de persécution du « Chemin » ; mais, maintenant, je dois vraiment admettre que je me suis trompé. Les apôtres galiléens ont raison. Nous sommes au seuil de grandes transformations. Aux portes de Damas, Jésus m'est apparu dans sa glorieuse résurrection et il m'a exhorté au service de son Évangile d'amour.

Ses mots étaient prononcés timidement, dépourvus du désir de blesser les croyances de son ami qui malgré tout laissait transparaître une profonde déception sur son visage livide.

Ne dis pas de telles absurdités ! - s'exclama-t-il ironique et souriant - malheureusement, je vois que le mal continue à miner tes forces physiques et mentales. La Synagogue de Damas avait raison. Si l'on ne te connaissait pas depuis ton enfance, on te donnerait maintenant le titre de blasphémateur et de déserteur.

Malgré son énergie virile, le jeune tarsien était désappointé.

D'ailleurs - a continué l'autre, en prenant des airs protecteurs -, dès le début de ton voyage, je n'étais pas d'accord avec le misérable cortège qui t'accompagnait. Jonas et Déméter sont presque des ignorants, et Jacob est atteint de caducité. Avec une telle compagnie, toute perturbation de ta part aurait causé de grands désastres moraux pour notre position.

Néanmoins, Alexandre - dit l'ex-rabbin quelque peu humilié -, je dois insister sur la vérité. J'ai vu de mes propres yeux le Messie de Nazareth ; j'ai entendu sa parole de vive voix. Comprenant les erreurs où je vivais dans ma défectueuse conception de la foi, je suis parti dans le désert. Là-bas, j'y suis resté pendant trois ans à effectuer des travaux rudes et de longues méditations. Ma conviction n'est pas superficielle. Je crois, aujourd'hui, que Jésus est le Sauveur, le Fils du Dieu vivant.

Alors ta maladie - répétait Alexandre hautain modifiant le ton amical de sa voix - a perturbé la vie de toute ta famille. Honteux face aux nouvelles qui arrivaient de Syrie, Jacques et Dalila ont quitté Jérusalem pour s'installer en Cilicie. Quand ils ont appris l'ordre d'emprisonnement lancé par le Sanhédrin contre toi, ta mère est décédée à Tarse. Ton père, qui t'a éduqué avec soins, attendant de ton intelligence les plus grandes récompenses de notre race, vit prostré et malheureux. Tes amis, fatigués de supporter les ironies du peuple à Jérusalem, vivent humiliées et à la dérobée après t'avoir cherché en vain. La vision de ce tableau ne te fait donc pas souffrir ? Une douleur comme celle-là ne suffit-elle pas pour te rendre ton équilibre mental ?

L'ex-docteur de la Loi était rongé d'angoisses. Tant de jours passés dans l'anxiété, tant d'amertumes vécues dans l'intention de trouver un peu de compréhension et de repos auprès des siens, il voyait, maintenant, que ce n'était qu'illusion et leurre. Sa famille désorganisée, sa mère morte, son père malheureux, ses amis qui l'exécraient, Jérusalem qui le raillait.

Le voyant dans une telle attitude, son ami se réjouissait au fond et attendait anxieusement l'effet de ses propos.

Après s'être concentré pendant une minute, Saûl a souligné :

Je déplore des incidents aussi tristes et je prends Dieu pour témoin que je n'ai pas intentionnellement coopéré à tout cela. Néanmoins, même ceux qui n'ont pas encore accepté l'Évangile devraient comprendre que selon l'Ancienne Loi, nous ne devons pas être fiers. Avec toute l'énergie de ses recommandations, Moïse n'a rien enseigné d'autre que la bonté. Les prophètes, qui lui ont succédé, ont été les émissaires de messages profonds pour notre cœur qui se perdait dans l'iniquité. Amos nous a incités à chercher Jéhovah pour réussir à vivre. Je déplore que ceux qui me sont chers se jugent offensés ; mais il faut se dire qu'avant d'écouter tout jugement oisif du monde, nous devons écouter la voix de Dieu.

Tu veux dire que tu persistes dans tes erreurs ? - a demandé Alexandre presque

hostile.

Je ne me sens pas trompé. Face à l'incompréhension générale - a commenté l'ex- rabbin dignement -, je me trouve aussi dans une pénible situation ; mais le Maître ne manquera pas de m'apporter son aide. Je me souviens de lui et je ressens un grand réconfort. Les affections de ma famille et la considération de mes amis étaient au monde mon unique richesse. Néanmoins, j'ai trouvé dans les annotations de Lévi le cas d'un jeune homme riche qui m'enseigne à procéder en cette heure12. Depuis mon enfance j'ai cherché à accomplir rigoureusement mes devoirs ; mais s'il faut que j'abandonne la richesse qui me reste pour atteindre l'illumination de Jésus, je renoncerai même à l'estime de ce monde!...

(12) Matthieu, chapitre 19, versets 16 à 23.

Alexandre sembla s'émouvoir au ton mélancolique de ces dernières paroles. Saûl donnait l'impression qu'il était prêt à pleurer.

Tu es profondément perturbé - a objecté Alexandre -, seul un fou pourrait procéder de la sorte.

Gamaliel n'était pas fou et il a accepté Jésus comme le Messie promis - a ajouté l'ex- docteur en évoquant la vénérable mémoire du grand rabbin.

Je ne le crois pas ! - dit l'autre d'un air supérieur.

Silencieux, Saûl a baissé son front. Quelle était grande l'humiliation de cette heure ! Après avoir été pris pour fou, il était considéré comme menteur. Malgré tout, au comble de sa perplexité, il se dit que son ami n'était pas en condition de le comprendre complètement. Il réfléchissait à la situation embarrassante quand Alexandre dit à nouveau :

Malheureusement, je dois être convaincu de l'état précaire de ton cerveau. Pour l'instant, tu pourras rester à Jérusalem autant que tu voudras, mais il vaudrait mieux ne pas augmenter le scandale de ta maladie avec de faux éloges du charpentier de Nazareth. La décision du Sanhédrin, que j'ai réussi à obtenir avec tant de sacrifices, pourrait être modifiée. Quant au reste - finissait-il comme pour le saluer -, tu sais que je suis à tes ordres si tu changes définitivement d'attitude, à tout moment.

Saûl comprit l'avertissement ; il n'était pas nécessaire de prolonger l'entrevue. Son ami l'expulsait avec de bonnes manières.

Deux minutes plus tard, il était à nouveau sur la voie publique. Il était presque midi, par une journée chaude. Il avait soif et faim. Il a regardé sa bourse, elle était presque vide. C'était le reste de ce qu'il avait reçu des mains généreuses du frère de Gamaliel en quittant Palmyre définitivement. Il a cherché la pension la plus modeste d'une des zones les plus pauvres de la ville. Puis après un repas frugal et avant que ne tombent les ombres caressantes de l'après-midi, il s'est dirigé plein d'espoirs vers la vieille demeure rénovée, où Simon Pierre et ses compagnons développaient leurs activités au profit de la cause de Jésus.

En chemin, il s'est souvenu du jour où il était allé entendre Etienne en compagnie de Sadoc. Comme tout, maintenant, se passait dans le sens inverse ! Le critique d'autrefois était maintenant le critiqué. Le juge était transformé en accusé, son cœur était plongé dans de singulières angoisses. Comment le recevraient-ils à l'église du « Chemin » ?