Выбрать главу

Éprouvé par sa faiblesse organique, la fatigue, l'abandon de ses amis, les plus âpres désillusions, le jeune homme de Tarse s'est retiré chancelant.

Dans la soirée et conformément à ce qu'il avait décidé, avec son admirable bon sens, Simon Pierre s'est réuni avec ses compagnons les plus proches. En plus des apôtres galiléens, étaient présents les frères Nicanor, Prochore, Parménas, Timon, Nicolas et Barnabe, ce dernier avait rejoint le groupe d'assistants les plus directs de l'église pour ses grandes qualités de cœur.

Avec l'autorisation de Pierre, Jacques a initié les débats en se prononçant contre toute espèce d'aide immédiate au converti de la dernière heure. Jean leur fit remarquer que Jésus avait le pouvoir de transformer les esprits les plus pervers, comme de relever les plus désertés par la chance. Prochore a donné ses impressions concernant l'obstiné persécuteur de l'Évangile, soulignant la compassion que son état de santé éveillait chez les plus insensibles. Une fois venu son tour, Barnabe a déclaré qu'avant son transfert définitif pour Jérusalem, alors qu'il était encore à Chypre, il a entendu quelques Lévitas décrire le courage avec lequel le converti avait parlé à la Synagogue de Damas, peu après sa vision de Jésus.

Impressionné par son opinion, l'ex-pêcheur de Capharnaùm a demandé des détails à ce compagnon. Barnabe a expliqué tout ce qu'il savait, et manifesta son désir qu'ils résolvent la question avec la plus grande bienveillance.

Percevant l'atmosphère de bonne volonté qui se créait autour du personnage de l'ex- rabbin, Nicolas objecta avec sa rigueur de principes :

Il est bon que nous n'oubliions pas les estropiés qui se trouvent dans cette maison, victimes de l'odieuse truculence des partisans de Saûl. Il est bien noté dans les Écritures que l'on doit faire attention aux loups qui pénètrent dans la bergerie déguisés en moutons. Le docteur de la Loi, qui nous a fait tant de mal, a toujours préféré les grandes manifestations spectaculaires contre l'Évangile au Sanhédrin. Qui sait s'il ne nous prépare pas actuellement un nouveau piège de grande ampleur ?

À une telle question, le gentil Barnabe a plié le front en silence. Pierre a remarqué que la réunion se divisait en deux groupes. D'un côté il y avait lui et Jean qui soutenaient les avis favorables ; de l'autre, Jacques et Philippe qui étaient pour le mouvement contraire. Après avoir entendu l'avertissement de Nicolas, il s'est exprimé avec douceur :

Mes amis, avant de prononcer tout point de vue personnel, il conviendrait de réfléchir à la bonté infinie du Maître. Au cours de ma vie, avant la Pentecôte, j'admets que toutes sortes d'erreurs sont apparues sur mon chemin d'homme fragile et pécheur. Je n'hésitais pas à lapider les plus malheureux et j'en suis même arrivé à conseiller le Christ d'en faire autant ! Comme vous le savez, j'ai été de ceux qui l'ont nié à l'heure extrême. Néanmoins, depuis que nous est arrivée la connaissance par l'inspiration céleste, il ne serait pas juste d'oublier le Christ dans toutes nos initiatives. Nous devons nous dire que si Saûl de Tarse cherche à se valoir de telles mesures expéditives pour affliger de nouveaux coups aux serviteurs de l'Évangile, alors il est devenu encore plus malheureux qu'avant quand il nous tourmentait ouvertement. Étant pour autant un nécessiteux comme les autres, je ne vois pas de raisons suffisantes pour lui refuser nos mains fraternelles.

Percevant que Jacques se préparait à défendre l'avis de Nicolas, Simon Pierre a continué, après une courte pause :

Notre frère vient de se rapporter au symbole du loup qui apparaît sous la peau d'un mouton généreux et humble. Je suis d'accord avec cette expression de zèle. C'est pourquoi, conformément à la responsabilité qui m'a été confiée, je n'ai pas pu accueillir Saûl quand aujourd'hui il a frappé à notre porte. Je n'ai rien voulu décider sans votre concours, le Maître nous a enseigné qu'aucune œuvre utile ne pourra se faire sur terre sans la coopération fraternelle. Mais profitant de l'avis énoncé, examinons avec sincérité le problème imprévu qui nous est posé. En vérité, Jésus nous a avertis contre le ferment des pharisiens en nous disant que le disciple devra posséder en lui la douceur des colombes et la prudence des serpents. Nous sommes d'accord sur le fait que Saûl de Tarse peut être le loup symbolique. Mais même ainsi, pourvus de cette connaissance hypothétique, nous aurions une profonde question à résoudre. Si nous fleurons pour la paix et l'amour, que faire du loup après l'avoir effectivement identifié ? Le tuer ? Nous savons que cela n'entre pas dans notre ligne de conduite. Ne serait-il pas plus raisonnable de réfléchir à la possibilité d'une domestication ? Nous connaissons des hommes rudes qui réussissent à dominer des chiens féroces. Où serait alors l'esprit que Jésus nous a légué en tant que patrimoine sacré, si par des craintes mesquines nous cessions de pratiquer le bien ?

La parole concise de l'apôtre eut un effet singulier. Jacques lui-même semblait désappointé par ses précédentes réflexions. En vain, Nicolas chercha de nouveaux arguments pour formuler d'autres objections. En observant le pesant silence qui s'était fait, Pierre a dit calmement :

En conséquence, mes amis, je propose de demander à Barnabe de rendre personnellement visite au docteur de Tarse, au nom de cette maison. Lui et Saûl ne se connaissent pas et profiteront d'autant mieux de cette occasion, car en le voyant, le jeune tarsien ne se rappellera pas de son passé à Jérusalem. Si c'était l'un de nous qui lui rendait visite pour la première fois, peut-être serait-il gêné, jugeant nos propos comme s'il s'agissait de quelqu'un qui lui demanderait des comptes.

Jean applaudit cette idée chaleureusement. En raison du bon sens révélé par les suggestions de Pierre, Jacques et Philippe se dirent satisfaits et tranquilles. Ils se mirent d'accord pour que Barnabe lui rende visite le lendemain. Ils attendraient Saùl de Tarse avec intérêt. Si sa conversion était vraiment réelle, ce serait d'autant mieux.

Le diacre de Chypre se démarquait par sa grande bonté. Son expression affectueuse et humble, son esprit conciliateur, contribuaient dans l'église à trouver des solutions pacifiques sur tous les points.

Dans la matinée du lendemain, c'est avec un sourire généreux que Barnabe a étreint l'ex-rabbin dans la pension où il était logé. Aucun trait de sa nouvelle personnalité n'accusait ce persécuteur célèbre qui avait amené Simon Pierre à convoquer ses amis pour décider de son accueil. L'ex-docteur de la Loi était toute humilité et il était malade. Une évidente fatigue transparaissait de ses moindres gestes. Sa physionomie ne cachait pas une grande souffrance. Il répondait aux paroles amicales de son visiteur avec un sourire triste et timide. On pouvait voir, néanmoins, la satisfaction que sa visite lui causait, il était sensible au geste spontané de Barnabe. À sa demande, Saûl lui a raconté son voyage à Damas et la glorieuse vision du Maître qui était un moment inoubliable dans sa vie. À ces paroles, l'auditeur n'a pas

dissimulé sa sympathie. En quelques heures, il se sentait aussi proche de ce nouvel ami que s'il l'avait connu de longue date. Après leur conversation, Barnabe trouva un prétexte pour aller voir le propriétaire de l'auberge et payer les dépenses du logement. Ensuite, il a invité Saûl à l'accompagner à l'église du « Chemin ». Saûl n'a pas manqué d'hésiter, tandis que l'autre insistait.

Je crains - a dit le jeune tarsien un peu indécis -, d'avoir déjà trop offensé Simon Pierre et les autres compagnons. Ce n'est que par la miséricorde du Christ que j'ai obtenu une étincelle de lumière pour ne pas perdre complètement mes jours.

Voyons ! - s'exclama Barnabe en lui tapotant l'épaule avec bonhomie - qui n'a pas commis d'erreur dans sa vie ? Si Jésus nous a tous estimés, ce n'est pas parce que nous le méritions, mais parce que devant notre condition de pécheurs nous en avions besoin.

Quelques minutes plus tard, ils étaient en chemin, alors que l'émissaire de Pierre remarquait le pénible état de santé de l'ancien rabbin. Très pâle et abattu, il semblait marcher difficilement, ses mains tremblaient, il le sentait fiévreux. Il se laissait guider comme quelqu'un qui reconnaissait son besoin de soutien. Son humilité émouvait l'autre qui avait entendu tant de réflexions désobligeantes à son sujet.