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En entendant ces propos injustes sur la personne d'Abigail, le jeune homme reprit ses esprits et dit avec humilité :

Mon père, cette créature était une sainte ! Dieu ne l'a pas voulue en ce monde ! Peut- être que si elle était encore vivante, mon cerveau serait plus équilibré pour harmoniser ma nouvelle vie.

Son père n'a pas apprécié sa réponse, bien que l'objection ait été faite sur un ton d'obéissance et d'affection.

Nouvelle vie ? - a-t-il commenté irrité - que veux-tu dire par là ?

Saûl a séché ses larmes et a répondu résigné :

Je veux dire que l'épisode de Damas n'a pas été une illusion et que Jésus a transformé

ma vie.

Ne pourrais-tu voir en tout cela une vraie folie ? - a continué son père avec étonnement. - Ce n'est pas croyable ! Comment peux-tu abandonner l'amour de ta famille, les traditions vénérables de ton nom, les espoirs sacrés des tiens, pour suivre un charpentier inconnu ?

Saûl comprit la souffrance morale de son père quand il s'exprimait de la sorte. Il eut envie de se jeter dans ses bras aimants, de lui parler du Christ, l'aider à se faire une réelle opinion de la situation. Mais entrevoyant simultanément la difficulté à se faire comprendre, il l'observait résigné, tandis qu'il continuait les yeux larmoyants, révélant la peine et la colère qui le dominaient.

Comment cela peut-il être ? Si la maudite doctrine du charpentier de Nazareth impose une criminelle indifférence des liens les plus sacrés de la vie, comment nier sa nocivité et sa bâtardise ? Serait-il juste de préférer un aventurier mort parmi des malfaiteurs, à un père digne et travailleur qui a vieilli au service honnête de Dieu ?

Mais, père - disait le jeune homme d'une voix suppliante -, le Christ est le Sauveur promis !...

La furie d'Isaac sembla s'aggraver.

Tu blasphèmes ? - s'est-il écrié. - Comment ne crains-tu pas d'insulter la Providence divine ? Les espoirs d'Israël ne pourraient se reposer sur un front qui s'est évanoui dans le sang de la punition, entre des voleurs !... Tu es fou ! J'exige la reconsidération de tes attitudes.

Alors qu'il faisait une pause, le converti a objecté :

Il est vrai que mon passé est plein d'erreurs quand je n'ai pas hésité à persécuter les expressions de la vérité ; mais depuis trois ans, je ne me rappelle pas d'un acte quel qu'il soit qui ait besoin de reconsidération.

L'ancien a semblé atteindre le summum de la colère et s'exclama durement :

Je sens que les paroles généreuses ne conviennent pas à ta raison perturbée. Je vois que j'ai attendu en vain, pour ne pas mourir en haïssant quelqu'un. Malheureusement, Je suis obligé de reconnaître dans tes décisions actuelles, un fou ou un vulgaire criminel. Donc, pour définir nos attitudes, je te demande de faire un choix définitif, entre mol et le méprisable charpentier !...

À l'énoncé d'une telle intimation, la voix paternelle était étouffée, vacillante, démontrant une profonde souffrance. Saûl a compris et, en vain, il chercha un argument conciliateur. L'incompréhension de son père l'angoissait. Jamais il n'avait tant réfléchi et si Intensément, aux enseignements de Jésus concernant les lien» familiaux. Il se sentait fortement attaché au généreux vieillard, il aurait voulu le soutenir dans sa rigidité intellectuelle, adoucir ses impressions tyranniques, mais il comprenait les barrières qui se dressaient devant ses désirs sincères. Il savait avec quelle sévérité son propre caractère avait été forgé. Préjugeant de l'inutilité de ses appels affectifs, il a murmuré à la fois humble et anxieux :

Mon père, nous deux avons besoin de Jésus !...

Le vieil homme, inflexible, lui a adressé un regard austère et rétorqua avec rudesse :

Ton choix est fait ! Tu n'as plus rien à faire dans cette maison !...

Le vieillard tremblait. On voyait l'effort spirituel qu'il avait du faire pour prendre cette décision. Eduqué dans les concepts intransigeants de la Loi de Moïse, Isaac souffrait en tant que père ; et pourtant, il expulsait son fils dépositaire de tant d'espoirs, comme s'il accomplissait un devoir. Son être aimant lui suggérait la pitié, mais la raison de l'homme, incarcéré dans les dogmes implacables de sa race, étouffait son impulsion naturelle.

Silencieux, Saûl l'a dévisagé dans une attitude suppliante. Son foyer était le dernier espoir qui lui restait. Il ne voulait pas croire à cette dernière perte. Il a fixé l'ancien avec des yeux presque larmoyants et, après de longues minutes d'attente, il l'a imploré d'un geste émouvant qui ne lui était pas habituel :

Je manque de tout, mon père. Je suis fatigué et malade ! Je n'ai pas argent, j'ai besoin de la pitié de mon prochain.

Et soulignant sa douloureuse plainte :

Vous aussi vous m'expulsez ?...

Isaac sentit que cette supplique vibrait au plus profond de son cœur. Mais, jugeant peut-être que l'énergie était plus efficace que la tendresse, dans le cas présent, il a répondu sèchement :

Corrige tes impressions, parce que personne ne t'a expulsé. C'est toi qui as voué tes amis et tes affections les plus pures au suprême abandon !... Tu as des besoins ? Il est juste que tu demandes au charpentier les mesures appropriées... C'est lui qui a généré de telles absurdités, il aura suffisamment de pouvoir pour te secourir.

Une immense douleur suffoquait l'esprit de l'ex-rabbin. Les allusions au Christ lui faisaient plus mal que les reproches directs qu'il avait reçus. Sans réussir à réprimer sa propre angoisse, il sentit que des larmes ardentes roulaient sur ses joues brûlées par le soleil du désert. Il n'avait jamais éprouvé des sanglots aussi amers. Pas même dans sa cécité angoissante après sa vision de Jésus, il pleurait si douloureusement. Bien qu'oublié dans une pension sans nom, aveugle et prostré, il sentait la protection du Maître qui le convoquait à son divin service. Il avait l'impression d'être plus près du Christ. Il se réjouissait des douleurs les plus acerbes, du fait d'avoir reçu aux portes de Damas son appel glorieux et direct. Mais depuis, il cherchait en vain de l'aide auprès des hommes pour initier sa tâche sacrée. Ses meilleurs amis lui recommandaient de garder ses distances. Et finalement, son père était là, vieux et riche, à lui refuser sa main au moment le plus pénible de sa vie. Il l'expulsait. Il ressentait de l'aversion pour ses idées régénératrices. Il ne tolérait pas sa condition d'ami du Christ. Dans les larmes qui bouillonnaient de ses yeux, il s'est alors rappelé d'Ananie. Quand tous l'abandonnaient à Damas, est apparu le messager du Maître, lui rendant son allant. Son père lui avait parlé, ironiquement, des pouvoirs du Seigneur. Oui, Jésus ne le laisserait pas sans ressources. Il a lancé à son géniteur un regard inoubliable et lui dit humblement :

Alors, adieu, mon père !... Vous l'avez bien dit, je suis sûr que le Messie ne m'abandonnera pas !...

Le pas indécis, il s'est approché de la porte de sortie. Il a jeté un regard furtif sur l'ancienne décoration de la salle. Le fauteuil de sa mère était dans sa position habituelle. Il s'est rappelé du temps où les yeux maternels lisaient pour lui les premières notions de la Loi. Il crut voir son ombre lui envoyer un sourire aimant. Jamais il n'avait ressenti un vide aussi grand. Il était seul. Il eut peur de lui-même, car il ne s'était jamais retrouvé dans de telles circonstances.

Après cette pénible réflexion, il s'est retiré en silence. Il a regardé, indifférent, le mouvement de la rue, comme quelqu'un qui aurait perdu tout intérêt pour la vie.

Il n'avait fait que quelques pas vers son destin incertain qu'il entendit appeler avec insistance.

Il s'est retourné et remarqua qu'il s'agissait du vieux serviteur de son père qui courait à sa poursuite.

Peu après, le domestique lui donnait une lourde bourse en lui disant sur un ton amical :