Espère ! - a-t-elle encore dit, avec un geste d'une tendre sollicitude, comme si elle désirait expliquer que l'âme doit être prête à répondre au programme divin, en toute circonstance, loin des caprices personnels.
À l'entendre, Saûl se dit que l'espoir avait toujours été la compagne de ses jours les plus âpres. Il saurait attendre l'avenir avec les bénédictions du Très-Haut. Il confierait en sa miséricorde. Il ne dédaignerait pas les opportunités du service rédempteur. Mais... et les hommes ? De toute part, la confusion grandissait dans les esprits. Il reconnaissait qu'en fait, l'acceptation générale autour des enseignements du Maître Divin représentait l'une des réalisations les plus difficiles pour diffuser l'Évangile ; mais au-delà de cela, les créatures semblaient également désintéressées de vérité et de lumière. Les Israélites s'accrochaient à la Loi de Moïse, intensifiant le régime des hypocrisies pharisiennes ; les partisans du « Chemin » se rapprochaient des synagogues, fuyaient les gentils, se soumettaient rigoureusement aux pratiques de la circoncision. Où était la liberté du Christ? Où étaient les vastes espoirs que son amour avait apportés à l'humanité entière, sans exclure les enfants des autres races ? Il reconnaissait qu'il était nécessaire d'aimer, de travailler, d'espérer ; toutefois, comment agir dans un contexte de forces aussi hétérogènes? Comment concilier les grandes leçons de l'Évangile avec l'indifférence des hommes ?
Abigail lui serra les mains avec plus de tendresse, lui faisant ses adieux, et souligna doucement :
Pardonne !...
Ensuite, son ombre lumineuse a semblé se diluer comme si elle était faite de fragments d'aurore.
Enthousiasmé par cette merveilleuse révélation, Saûl s'est retrouvé seul sans savoir comment coordonner les expressions de son enchantement. Dans la région, qui se couronnait de clartés infinies, on pouvait sentir des vibrations d'une mystérieuse beauté. À ses oreilles ne cessaient d'arriver les échos distants de sublimes harmonies sidérales qui semblaient traduire des messages d'amour, venant de lointains soleils... Il s'est agenouillé et a prié ! Il a remercié le Seigneur de l'émerveillement de ses bénédictions. Quelques instants plus tard, comme si des énergies impondérables le reconduisaient à l'ambiance de la terre, il a, à nouveau, senti le dur lit improvisé entre les pierres. Incapable d'expliquer ce fabuleux phénomène, Saûl de Tarse a contemplé les cieux, ivre d'émerveillement.
Le bleu infini du firmament n'était pas un abîme où au fond brillaient des étoiles... À ses yeux, l'espace acquérait une nouvelle signification ; il devait être plein d'expressions de vie que l'homme ordinaire ne pouvait comprendre. Y aurait-il des corps célestes, comme il y en avait des terrestres. La créature n'était pas abandonnée, et surtout pas par les pouvoirs suprêmes de la création. La bonté de Dieu dépassait toute intelligence humaine. Ceux qui s'étaient libérés de la chair retournaient au plan spirituel consoler ceux qui étaient restés à distance. Pour Etienne, il avait été un bourreau cruel ; pour Abigail, un fiancé ingrat. Et pourtant, le Seigneur permettait que tous deux reviennent au paysage ténébreux du monde, ranimer son cœur. Dans ses profondes élucubrations, l'existence planétaire avait un nouveau sens. Personne ne serait abandonné. Les hommes les plus misérables avaient au ciel ceux qui les accompagnaient avec un dévouement infini. Aussi dures que seraient les expériences humaines, la vie, maintenant, revêtait une nouvelle expression d'harmonie et de beauté éternelle.
La nature était calme. Le clair de lune resplendissait en haut dans des vibrations d'enchantement indéfini. De temps en temps, le vent murmurait légèrement, répandant des messages mystérieux. Des rafales caressantes calmaient le front du penseur qui s'abreuvait du souvenir immédiat de ses merveilleuses visions du monde invisible.
Éprouvant une paix jusqu'alors inconnue, à cet instant il crut naître à une nouvelle existence. Une singulière sérénité effleurait son esprit. Une compréhension différente l'exaltait pour le recommencement de son séjour en ce monde. Il garderait la devise d'Abigail pour toujours. L'amour, le travail, l'espoir et le pardon seraient ses compagnons inséparables. Plein de dévouement pour tous les êtres, il attendrait les occasions que Jésus lui accorderait en s'abstenant de provoquer des situations, et alors, il saurait tolérer l'ignorance ou la faiblesse d'autrui, conscient que lui aussi portait un passé condamnable qui en rien n'avait mérité la compassion du Christ.
Ce n'est que beaucoup plus tard quand les brises légères de l'aube annonçaient le jour, que l'ex-docteur de la Loi réussit à trouver le sommeil. Quand il s'éveilla, la matinée était déjà bien avancée. Très loin, Tarse avait repris son agitation habituelle.
Il s'est levé plus stimulé que jamais. Son entretien spirituel avec Etienne et Abigail avait renouvelé ses forces. Il s'est souvenu, instinctivement, de la bourse que son père lui avait envoyée. Il la retira pour calculer les possibilités financières dont il pouvait disposer pour de nouvelles entreprises. Le cadeau paternel avait été abondant et généreux. Néanmoins, il n'arrivait pas à trouver la décision appropriée à prendre.
Après avoir beaucoup réfléchi, il décida d'acquérir un métier à tisser. Ce serait le recommencement de la lutte. Afin de consolider ses nouvelles dispositions intérieures, il jugea utile d'exercer à Tarse l'activité de tisserand, vu que là, sur sa terre natale, il s'était exhibé comme un intellectuel de valeur et un fameux athlète.
Peu de temps après, il était reconnu par ses compatriotes comme un humble tapissier.
La nouvelle eut de désagréable répercussion sur le foyer familial et provoqua des changements chez le vieil Isaac qui, après l'avoir ostensiblement déshérité, avait déménagé dans une de ses propriétés au bord de l'Euphrate auprès d'une de ses filles où il attendit la mort incapable de comprendre son fils aine tant aimé.
Et c'est ainsi que pendant trois ans, le tisserand solitaire des alentours du Taurus donna l'exemple de l'humilité et du travail, attendant avec dévouement que Jésus le convoque au témoignage.
PREMIERS TRAVAUX APOSTOLIQUES
Transformé en un rude ouvrier, Saûl de Tarse présentait une différence physionomique notable. Son apparence d'ascète s'était accentuée. Ses yeux, néanmoins, dénonçaient l'homme prudent et résolu, et révélaient également une paix profonde et indéfinissable.
Comprenant que la situation ne lui permettait pas d'Idéaliser de grands projets de travail, il se contentait de faire ce qui était possible. Il ressentait du plaisir à afficher son changement de conduite à ses anciens camarades de gloire à l'occasion des festivités tarsiennes. Il était presque fier de vivre du modeste revenu de son laborieux travail. Souvent, il traversait lui-même les places les plus fréquentées, portant de gros ballots de laine caprine. Ses compatriotes admiraient son humble attitude qui était maintenant son trait de caractère dominant. Les illustres familles le dévisageaient avec pitié. Tous ceux qui l'avaient connu à la phase dorée de sa jeunesse ne cessaient de déplorer cette transformation. En majorité, il le traitait comme un aliéné pacifique. De sorte que pour le tisserand des alentours du Taurus, les commandes ne manquaient jamais. L'affection de ses concitoyens, qui ne comprendraient jamais intégralement ses nouvelles idées, avait la vertu de multiplier ses efforts, augmentant ainsi ses modestes revenus. Quant à lui, il vivait tranquille et satisfait. Les conseils d'Abigail étaient en permanence présents dans son cœur. Tous les jours, il se levait et cherchait à aimer tout ce qui l'entourait et tout le monde ; pour suivre le droit chemin, il travaillait activement. S'il lui arrivait de ressentir de l'anxiété, de vouloir intensifier ses activités en dehors des temps appropriés, il lui suffisait d'espérer ; si certains avaient pitié de lui, d'autres le disaient fou, le surnommaient de déserteur ou de fantaisiste, mais il cherchait à oublier l'incompréhension d'autrui en pardonnant sincèrement, se disant que lui aussi très souvent avait offensé les autres par ignorance. S'il n'avait pas de doux compagnons, il n'avait pas non plus à craindre les souffrances venant des amitiés infidèles vu qu'il était sans proches, sans affections, à supporter seul les désenchantements de la solitude. Il cherchait à trouver le précieux collaborateur qui ne se soustrairait pas au labeur du jour. Avec lui, il tissait des tapis compliqués et des tentes, s'exerçant à la patience indispensable aux autres travaux qui l'attendaient encore aux carrefours de la vie. La nuit était pour lui la bénédiction de l'esprit. L'existence courait sans autres détails d'une plus grande importance, quand un jour, il fut surpris par la visite inattendue de Barnabe.