L'ex-lévite de Chypre se trouvait à Antioche où il avait assumé de sérieuses responsabilités. L'église qui avait été fondée en ces lieux recherchait la coopération de serviteurs intelligents. Il y avait d'innombrables difficultés spirituelles à résoudre et beaucoup de travail à assurer. L'institution avait été créée à l'initiative des disciples de Jérusalem sur les généreux conseils de Simon Pierre. L'ex-pêcheur de Capharnaum s'était dit qu'ils devaient profiter de la période de calme, dans le contexte des persécutions, pour multiplier les liens au nom du Christ. Antioche était l'un des plus grands centres ouvriers. Les contribuables ne manquaient pas et sauraient participer aux dépenses des œuvres car l'entreprise grandiose avait eu des répercussions dans les milieux ouvriers les plus humbles ; néanmoins, de vrais travailleurs de la pensée faisaient défaut. Là encore, la compréhension de Pierre est intervenue pour que le tisserand de Tarse ne rate pas l'occasion qu'il attendait. Examinant les difficultés, après avoir indiqué Barnabe pour la direction du centre du « Chemin », il lui avait conseillé d'aller voir le converti de Damas afin que ses capacités abordent un nouveau domaine d'exercice spirituel.
Saûl reçut cet ami avec une immense joie.
Voyant que ses frères éloignés se souvenaient de lui, 11 eut l'impression de trouver un nouvel élan.
Son compagnon lui exposa le noble plan de l'église qui demandait son concourt fraternel, l'augmentation des services, la collaboration constante dont ils pourraient disposer pour la construction des œuvres de Jésus-Christ. Barnabe exaltait le dévouement des hommes humbles qui coopéraient avec lui. L'institution, néanmoins, demandait des frères dévoués qui connaissent profondément la Loi de Moïse et l'Évangile du Maître afin de ne pas porter préjudice au devoir d'illumination intellectuelle.
L'ex-rabbin fut impressionné par la narration de son compagnon et il ne douta pas devoir répondre à cet appel.
Il ne présentait qu'une condition, pouvoir continuer son métier, de manière à ne pas être un poids pour ses confrères d'Antioche. Il n'accepterait aucune objection venant de Barnabe dans ce sens.
Empressé et serviable, Saûl de Tarse s'est rapidement installé à Antioche où il se mit à coopérer activement avec ses amis de l'Évangile. Pendant de longues heures du jour, il réparait des tapis ou s'affairait au travail du tissage. De cette manière, il gagnait ce dont il avait besoin pour vivre, devenant un modèle au sein de la nouvelle église. S'utilisant de ses nombreuses expériences déjà acquises dans les luttes et les souffrances du monde, jamais il n'occupait les premières places. Dans les Actes des apôtres, quand on se rapporte aux collaborateurs de Barnabe, on voit toujours son nom mentionné en dernier. Saûl avait appris à attendre. Dans la communauté, il préférait le travail le plus simple. Il se sentait bien à s'occuper des nombreux malades. Il se rappelait Simon Pierre et cherchait à accomplir ses nouveaux devoirs avec bonté et sans prétention, bien qu'imprimant en tout les marques de sa sincérité et de sa franchise presque âpre.
L'église n'était pas riche, mais la bonne volonté de ses composants semblait la pourvoir de grâces abondantes.
La ville cosmopolite d'Antioche était devenue un foyer de grandes débauches. Dans son paysage décoré de marbres précieux, qui laissaient entrevoir l'opulence des habitants, proliféraient toutes les espèces d'abus. Les fortunés se livraient aux plaisirs licencieux de manière effrénée. Dans les jardins artificiels se réunissaient des assemblées galantes où une tolérance criminelle caractérisait toutes les intentions. La richesse publique offrait de grandes possibilités aux extravagances. La ville était pleine de négociants qui se combattaient sans trêve, d'ambitions inférieures, de drames passionnels. Mais quotidiennement, la nuit venue, dans la maison simple où fonctionnait la cellule du « Chemin » se concentraient de grands groupes de maçons, de misérables soldats, de pauvres agriculteurs, tous anxieux d'entendre le message d'un monde meilleur. Les femmes de condition modeste comparaissaient également en grand nombre. La majorité des personnes présentes désiraient recevoir des conseils et entendre des consolations, trouver un remède pour les plaies de leur corps et de leur esprit.
En règle générale, Barnabe et Manahen étaient les prédicateurs les plus remarqués qui enseignaient l'Évangile aux assemblées hétérogènes. Saûl de Tarse se limitait à coopérer. Lui- même avait remarqué que Jésus lui avait recommandé l'absolu recommencement de ses expériences. Un beau jour, il fit son possible pour conduire les prédications générales, mais il n'arriva à rien. Si prendre la parole lui était si facile en d'autres temps, elle semblait lui avoir été retirée de la gorge à présent. Il comprit qu'il était juste de souffrir des tortures du recommencement, en vertu de l'occasion qu'il n'avait pas su valoriser. En dépit des barrières qui se levaient dans ses activités, jamais il ne se laissait dominer par le découragement. S'il occupait la tribune, il avait une extrême difficulté à interpréter les idées les plus simples. Parfois, il en arrivait à rougir de honte devant le public qui attendait ses conclusions avec un brûlant intérêt vu sa renommée de prédicateur de Moïse au Temple de Jérusalem. De plus, le sublime événement de Damas l'entourait d'une noble et juste curiosité. Barnabe lui-même, à plusieurs reprises, avait été surpris par sa dialectique confuse dans l'interprétation des Évangiles et réfléchissait à son expérience passée de rabbin qu'il n'avait pas connu personnellement, et à la timidité qui l'assaillait juste au moment de conquérir le public. De ce fait, il fut discrètement éloigné de la prédication et fut mis à profit dans d'autres activités. Saûl, quant à lui, comprenait et ne se décourageait pas pour autant. S'il n'était pas possible de retourner rapidement au travail de prêche, il se préparerait, à nouveau, à cela. Raison pour laquelle, il retenait des frères humbles dans sa tente de travail, et pendant que les mains tissaient avec assurance, il entamait des conversations sur la mission du Christ. La nuit, il promouvait des conférences dans l'église avec la coopération de tous ceux qui étaient présents. Tandis que ne s'organisait pas la direction supérieure du travail des assemblées, il s'asseyait avec les ouvriers et les soldats qui comparaissaient en grand nombre. Il s'intéressait à la condition des blanchisseuses, des jeunes malades, des humbles mères. Il lisait, quelquefois, des morceaux de la Loi et de l'Évangile, il faisait des comparaisons, provoquait de nouvelles idées. Dans le cadre de ces activités constantes, la leçon du Maître semblait toujours touchée d'une lumière progressive. Bientôt, l'ex-disciple de Gamaliel était devenu un ami aimé de tous. Saûl se sentait immensément heureux. Il avait une énorme satisfaction chaque fois qu'il voyait sa pauvre tente pleine de frères qui venaient le voir, pris de sympathie. Les commandes ne manquaient pas. Il avait toujours assez de travail pour ne pas devenir un poids. Là, il connut Trophime qui lui serait un compagnon fidèle dans bien des moments difficiles ; c'est là aussi qu'il a étreint Tite pour la première fois, à l'époque où ce dévoué collaborateur sortait à peine de l'enfance.