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L'existence, pour l'ex-rabbin, ne pouvait être plus tranquille, ni plus belle. Le jour était plein des marques harmonieuses d'un travail digne et constructif ; la nuit venue, il se retrouvait à l'église en compagnie de ses frères et se livrait avec plaisir aux questions sublimes de l'Évangile.

L'institution d'Antioche était, alors, bien plus attrayante que l'église de Jérusalem. On y vivait dans un environnement d'une pure simplicité, sans s'inquiéter des rigoureuses coutumes du judaïsme. Il y avait de la richesse parce que le travail ne manquait pas. Tous aimaient les obligations diurnes, et attendaient le repos de la nuit lors des réunions de l'église qui étaient une bénédiction de Dieu. Les Israélites, loin des exigences pharisiennes, coopéraient avec les gentils, se sentant tous unis par des liens souverains fraternels. Rares étaient ceux qui parlaient de circoncision et, comme ils représentaient une faible minorité, ils étaient amicalement incités à la fraternité et à l'union. Les assemblées étaient dominées par de profonds ascendants d'amour spirituel. La solidarité se pratiquait sur des bases divines. Les douleurs et les joies des uns appartenaient à tous. L'union de pensées autour d'un seul objectif donnait l'occasion à de belles manifestations de spiritualité. Certaines nuits, il y avait des phénomènes de « voix directes ». L'institution d'Antioche fut l'un des rares centres apostoliques où de telles manifestations réussirent à atteindre une culminance indéfinissable. La fraternité régnante justifiait cette concession du ciel. Les jours de repos, la petite communauté organisait des études évangéliques à la campagne. L'interprétation des enseignements de Jésus se faisait dans quelque coin doux et solitaire en pleine nature, presque toujours sur les bords de l'Oronte.

Saûl avait trouvé dans tout cela un monde différent. Sa permanence à Antioche était interprétée comme une aide de Dieu. La confiance réciproque, les amis dévoués, la bonne compréhension, étaient les aliments sacrés de l'âme. Il cherchait à profiter de cette occasion pour enrichir son for intérieur.

La ville était pleine de paysages moraux bien moins dignes, mais l'humble groupe des disciples anonymes augmentait toujours ses valeurs spirituelles légitimes.

L'église était devenue prestigieuse pour ses œuvres de charité et pour les phénomènes qui en firent l'organe central.

Des voyageurs illustres la visitaient avec intérêt. Les plus généreux voulaient à tout prix soutenir les œuvres de bienveillance sociale. C'est ainsi qu'un beau jour est apparu un très jeune médecin, du nom de Luc. De passage en ville, il s'est approché de l'église animée, motivé par un désir sincère d'apprendre quelque chose de nouveau. Son attention s'est fixée, de manière spéciale, sur cet homme à l'apparence presque rude qui préparait les opinions avant que Barnabe n'entreprenne l'ouverture des travaux. Les attitudes de Saûl, qui démontraient son généreux souci d'enseigner et d'apprendre simultanément, l'impressionnèrent à tel point qu'il se présenta à l'ex-rabbin, désireux de l'entendre plus souvent.

Bien sûr - a dit l'apôtre satisfait -, ma tente est à votre disposition.

Et tant qu'il resta en ville, tous deux s'engageaient quotidiennement dans des débats salutaires concernant les enseignements de Jésus. Reprenant, peu à peu, son pouvoir d'argumentation, Saûl de Tarse ne tarda pas à inculquer dans l'esprit de Luc les plus saines convictions. Depuis leur première entrevue, l'hôte d'Antioche n'a plus perdu une seule de ces assemblées simples et constructives. La veille de son départ, il fit une remarque qui allait modifier pour toujours la dénomination des disciples de l'Évangile.

Barnabe avait fini les commentaires de la soirée, quand le médecin prit la parole pour faire ses adieux.

C'est avec émotion qu'il a parlé et, finalement, il considéra avec justesse :

Frères, en vous quittant, j'emporte avec moi le projet de travailler pour le Maître, employant à cela tout le potentiel de mes faibles forces. Je n'ai aucun doute quant à l'extension de ce mouvement spirituel. Pour moi, il transformera le monde. Néanmoins, je remarque le besoin de donner une plus grande expression d'unité à ses manifestations. Je fais référence aux titres qui identifient notre communauté. Je ne vois pas dans le mot « chemin » une désignation parfaite qui traduise notre effort. Les disciples du Christ se font nommer de « voyageurs », « pèlerins », « promeneurs ». Mais il y a des voyageurs et des routes en tous genres. Le mal tient aussi à leurs chemins. Ne serait-il pas plus juste de nous appeler -chrétiens - entre nous ? Ce titre nous rappellera la présence du Maître, nous donnera de l'énergie en son nom et caractérisera de manière parfaite nos activités en accord avec ses enseignements.

La suggestion de Luc fut approuvée à la joie générale. Barnabe lui-même l'embrassa tendrement remerciant sa Judicieuse remarque qui venait satisfaire certaines aspirations de la communauté entière. Saûl vint conforter ces excellentes impressions concernant cette vocation supérieure qui commençait à s'extérioriser.

Le lendemain, le nouveau converti salua l'ex-rabbin avec des larmes de reconnaissance aux yeux. Il partait pour la Grèce, mais il voulait se le rappeler dans tous les détails de sa nouvelle tâche. De la porte de sa vieille tente, l'ex-docteur de la Loi regardait la figure de Luc qui disparaissait au loin et retourna à son métier à tisser, les larmes aux yeux. Profondément ému, il reconnaissait qu'en pratiquant l'Évangile, il avait appris à être un ami fidèle et dévoué. Il comparait ses sentiments d'à présent avec ses idées du passé et remarquait de profondes différences. Autrefois, ses relations se limitaient à des rapports sociaux, ses amitiés venaient et partaient sans laisser de traces marquantes dans son vibrant esprit ; maintenant que son cœur s'était rénové en Jésus-Christ, il était devenu plus sensible au contact avec le divin, les sentiments sincères se gravaient en lui pour toujours.

La suggestion de Luc se répandit rapidement dans tous les groupes évangéliques, Jérusalem inclus, qui l'a reçue avec une attention toute spéciale. Rapidement, de toute part, le mot « christianisme » remplaça le mot « chemin ».

L'église d'Antioche ne cessait d'offrir les plus belles expressions évolutives. De toutes les grandes villes affluaient de sincères collaborateurs. Les assemblées étaient toujours pleines de révélations. Inspirés par le Saint-Esprit14, de nombreux frères prophétisaient. C'est là qu'Agabus, sous l'influence des forces du plan supérieur, reçut le message afférent aux tristes épreuves dont Jérusalem serait victime. Les orienteurs de l'institution furent très impressionnés. À la demande insistante de Saûl, Barnabe envoya un messager à Simon Pierre pour l'avertir des nouvelles et l'exhorter à la surveillance. L'émissaire revint avec un message de l'ex-pêcheur qui manifestait sa surprise et les remerciait de leurs généreux avertissements.

14 Personne n'ignore que l'expression Saint-Esprit désigne la légion des Esprits sanctifiés dans la lumière et dans l'amour qui coopèrent avec le Christ depuis les premiers temps de l'humanité. - (Note d'Emmanuel)

Et en effet, plusieurs mois plus tard, un porteur de l'église de Jérusalem arrivait précipitamment à Antioche avec des nouvelles alarmantes et pénibles. Dans une longue lettre, Pierre disait à Barnabe les derniers faits qui l'accablaient. Il écrivait à la date où Jacques, fils de Zébédée, avait souffert de la peine de mort lors d'un grand spectacle en public. Hérode Agrippa n'avait pas toléré ses prêches pleins de sincérité et de justes appels, le frère de Jean venait de Galilée avec la franchise naturelle des annonces du nouveau Royaume. Inadapté au conventionnalisme pharisien, il avait poussé très loin le sens de ses exhortations profondes. Il se produisit une parfaite répétition des événements qui avaient marqué la mort d'Etienne. Les juifs étaient exaspérés par les notions de liberté religieuse. Son attitude, sincère et simple, fut prise pour de la révolte. D'énormes persécutions ont éclaté sans trêve. Le message de Pierre disait aussi les grandes difficultés de l'église. La ville souffrait de faim et d'épidémies. Tandis que la persécution cruelle resserrait son étreinte, d'innombrables affamés et malades frappaient à leurs portes. L'ex-pêcheur sollicitait toutes aides possibles venues d'Antioche.