Très bien - a répondu son compagnon -, entre Saûl et Paul il n'y a aucune différence, si ce n'est d'écriture ou de prononciation. La décision sera un bel hommage rendu à notre premier triomphe missionnaire auprès des gentils, tout en faisant référence à l'agréable souvenir d'un esprit si généreux.
Sur ce fait fut basé le changement d'une lettre du nom de l'ex-disciple de Gamaliel. Aux portes du christianisme naissant, avec son caractère intègre et énergique, le rabbin de Jérusalem, même transformé en modeste tisserand, ne voulut altérer sa fidélité innée. S'il avait servi Moïse en tant que Saûl, c'est avec le même nom qu'il devait servir Jésus-Christ. S'il avait commis des erreurs et avait été pervers dans sa condition première, il profiterai! de l'occasion offerte par les cieux pour corriger son existence et devenir un homme bon et juste dans la seconde. Pour cela , il n'accepta aucune suggestion de la part de ses amis. Il fut le premier persécuteur de l'institution chrétienne, le bourreau implacable du prosélytisme naissant, mais il voulait rester Saûl pour se rappeler de tout le mal qu'il avait fait et redoubler d'efforts pour faire tout le bien à sa portée. À cet instant, le souvenir d'Etienne effleura doucement son cœur. Il avait été son plus grand exemple dans sa marche spirituelle. C'était le Jezlel bien-aimé d'Abigail. Pour se retrouver, sans lu moindre hésitation, tous deux s'étaient promis de se chercher où que ce soit. Le frère et la sœur de Corinthe étalent tellement vivants dans son âme sensible qu'il ne pouvait effacer de sa mémoire les moindres événements de leur vie. La main de Jésus l'avait mené au proconsul, le libérateur de Jeziel des chaînes de la captivité ; l'ex- esclave était parti pour Jérusalem pour devenir disciple du Christ ! L'ex-rabbin se sentait heureux d'avoir été aidé par les forces divines devenant à son tour le libérateur de Serge Paul, asservi à la souffrance et aux illusions dangereuses du monde. Il était juste d'enregistrer dans sa mémoire le souvenir indélébile de celui qui avait été sa victime à Jérusalem et qui était maintenant un frère béni qu'il ne pouvait oublier dans les plus fugaces instants de sa vie et de son ministère.
À partir de là, le converti de Damas, en mémoire à l'inoubliable prêcheur de l'Évangile qui avait succombé aux lapidations, se fit appeler Paul jusqu'à la fin de ses jours.
La nouvelle de la guérison et de la conversion du proconsul remplit Neapaphos d'un grand étonnement. Les missionnaires n'eurent plus de repos. En dépit des protestations étouffées des Israélites, la communauté prit énormément d'ampleur. Concerné par les questions de santé, le chef provincial fournit le nécessaire pour réaliser la construction de l'église. Le mouvement était extraordinaire. Et les deux messagers de l'Évangile ne cessaient de rendre grâce à Dieu.
Le triomphe les entourait d'une profonde considération quand Paul reçut la visite de Barjésus qui souhaitait lui parler en privé. L'ex-rabbin n'a pas hésité. C'était une bonne occasion de prouver au vieil Israélite leurs intentions généreuses et sincères. Il le reçut donc avec courtoisie.
Barjésus semblait pris d'un grand embarras. Après avoir salué le missionnaire respectueusement, il s'est exprimé avec une certaine gêne :
Après tout, je dois éclaircir le malentendu concernant le proconsul. Personne, plus que moi, ne désirait la santé du malade, et par conséquent, personne n'est plus reconnaissant que moi de votre intervention qui le libéra d'une si triste maladie.
Je vous remercie de votre considération et je me réjouis de votre compréhension - a dit Paul, avec bonté.
Néanmoins...
Le visiteur se demandait s'il devait ou non exposer ses véritables intentions. Attentif à ses réticences mais sans présumer de leur cause, l'ex-rabbin a avancé spontanément.
Que désirez-vous dire ? Parlez avec franchise. Ne faites pas de cérémonies !
Il se trouve - a-t-il rétorqué plus confiant - que je caresse l'idée de vous consulter concernant vos dons spirituels. Je pense qu'il n'est pas de plus grand trésor pour triompher dans la vie...
Paul était confus, il ne savait pas le cours que prendrait la conversation. Mais se concentrant sur le point le plus délicat de ses prétentions, Barjésus a continué :
Combien gagnez-vous dans votre activité ?
Je gagne la miséricorde de Dieu - a dit le missionnaire, comprenant alors tout la portée de cette visite inattendue -, je vis de mon travail de tisserand et il ne serait pas licite de marchander ce qui appartient au Père qui est aux cieux.
C'est presque Incroyable ! a murmuré le mage écarquillant les yeux. - J'étais convaincu que vous portiez sur vous certains talismans que j'étais prêt à acheter à tout prix.
Et tandis que l'ex-rabbin le dévisageait plein de commisération pour son ignorance, le visiteur a continué :
Mais, est-il possible que vous fassiez de telles œuvres sans faire appel à des sortilèges ?
Le missionnaire l'a fixé plus attentivement et a murmuré :
Je ne connais qu'un sortilège efficace.
Quel est-il ? - a interrogé le mage d'un regard étincelant et avide.
C'est la foi en Dieu avec le sacrifice de nous-mêmes.
Le vieil Israélite sembla ne pas comprendre toute la signification de ces mots, et objecta :
Oui, mais la vie a des besoins urgents. Il est nécessaire de prévoir et d'amasser des ressources.
Paul a réfléchi une minute et a dit :
En ce qui me concerne, je n'ai rien qui puisse vous éclairer. Mais Dieu a toujours une réponse pour nos préoccupations les plus simples. Consultez ses éternelles vérités. Voyons quel est le message destiné à votre cœur.
Il allait ouvrir l'Évangile comme à son habitude quand le visiteur fit observer :
Je ne connais pas ce livre. Pour moi, il ne pourra donc mettre d'aucun conseil.
Le missionnaire a compris sa réticence et a souligné :
Que connaissez-vous alors ?
Moïse et les prophètes.
Il prit un rouleau de parchemins où la Loi Antique pouvait être lue et il le donna au vieux malicieux pour qu'il l'ouvre sur un passage au hasard selon la coutume de l'époque. Cependant avec une évidente mauvaise volonté, Barjésus a dit :
Je ne lis les prophètes qu'à genoux.
Tu peux lire comme il te convient car le fait de comprendre est ce qui nous intéresse avant tout.
Démontrant sa fierté pharisienne, le charlatan s'est agenouillé et a ouvert solennellement le texte, sous le regard serein et incisif de l'ex-rabbin. Le vieil Israélite est devenu pâle. Il a esquissé un geste pour se soustraire à la lecture ; mais Paul perçut ce mouvement subtil et, s'approchant, il lui dit avec une certaine véhémence :
Lisons le message permanent des émissaires de
Dieu.
Il s'agissait d'un passage des Proverbes que Barjésus prononça à voix haute profondément désappointé :
« Je te demande deux choses : Ne me les refuse pas, avant que je ne meure ! Éloigne de moi la fausseté et la parole mensongère. Ne me donne ni pauvreté, ni richesse. Accorde- moi le pain qui m'est nécessaire, de peur que dans l'abondance, je ne te renie et ne dise : Qui est Jéhovah ? Ou que dans la pauvreté, je ne dérobe et n'attaque au nom de mon Dieu. »15
15 Proverbes, chapitre 30, versets 7 à 9.
Le mage s'est levé embarrassé, le missionnaire lui-même était surpris.
Tu vois, l'ami ? - a dit Paul - la parole de la vérité est très éloquente. Voilà un puissant talisman dans notre existence que de savoir vivre avec nos propres recours sans augmenter les besoins de notre enrichissement spirituel.
Effectivement - a répondu le charlatan - ce procédé de consultation est très intéressant. Je vais sérieusement méditer sur l'expérience d'aujourd'hui.