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— Longford et Christie sont déjà partis de Chicago.

— Il faut que tu leur expliques que ce contretemps n’est pas lié au contrat, ni à leurs prestations, ni rien : dis-leur qu’un deuil brutal m’a frappé, que le cabinet leur paie le meilleur hôtel de Boston, qu’ils peuvent faire venir leur famille, ou des putes, nous couvrons tous les frais. Dis-leur. Je t’en prie. C’est une question… C’est une question de vie ou de mort.

Mes veines battent contre mes tempes.

— Écoute Michael, je suis ton associé : tu te rends compte du risque que tu me fais prendre ?

— Oui.

— Imagine qu’ils se vexent. Qu’ils sentent le coup fourré. Qu’ils retirent leur mise ?!

— Évidemment que j’ai songé à tout ça ! Dis-leur d’attendre demain matin, de prendre un peu de bon temps… Je te le demande, Eddy : à toi. Je ne t’ai jamais rien demandé.

— C’est de la folie.

— Si je pouvais faire autrement, crois-moi que je le ferai.

Un frisson climatisé passe dans l’air de la Pontiac. Eddy gamberge à l’autre bout des ondes.

— Moi aussi je joue ma peau sur ce coup-là, dit-il.

— C’est pour ça qu’on est amis, Eddy : les risques, on les a toujours pris ensemble.

C’est vrai.

C’est ma seule chance.

Eddy Price bougonne enfin, en guise d’assentiment.

— Je te rappelle dès que j’en sais plus, conclus-je.

Je raccroche, le cœur comme un tambour. La sueur coule toujours le long de mon dos. Ça va marcher… La Pontiac prend de la vitesse sur l’autoroute. Profitant de l’élan, je compose un nouveau numéro.

— Allô Helen ?

— Ah, Michael !

— Comment vas-tu, ma chérie ?

— Hum ! s’étire-t-elle dans un long miaulement qui sent encore les draps chauds. À vrai dire, je me réveille… Il est quelle heure ?

— Sept heures et demie, à peine.

— Hou !

Helen est architecte d’intérieur. Elle aime les expos d’art contemporain, les vernissages, l’argent, les vins fins et le sexe ; s’il faut me traîner jusqu’à ses toiles pleines de vomi, ses jambes d’araignée vorace m’ont toujours tiré des râles de premier ordre.

— Excuse-moi de te téléphoner si tôt, mais il y a un contretemps pour ce midi.

— Quoi ?

Helen n’est pas du matin. Elle a du mal à reprendre ses esprits mais ça ne durera pas.

— Un gros client qui vient de se déclarer, je poursuis avec aplomb. Le gars est pressé, il vient de Milwaukee, le genre bouseux plein aux as qui rêve de dividendes et de petites pépés : bref, je suis obligé de déjeuner avec lui.

— Hein ?!

— C’est une grosse occasion à saisir ; vis-à-vis de mes collaborateurs et des actionnaires, je ne peux pas refuser ça.

— Michael, c’est nos cinq ans…

— Je sais, ma chérie.

Mais la tigresse qui sommeille sous ses draps fait un retour tonitruant :

— Ça fait dix jours que j’ai réservé chez Vicente ! Michael, je vais avoir l’air de quoi, avec mes cinq années d’amour sous le bras ?

Helen a le sens de la formule et un tempérament de feu : l’exact opposé de cette pauvre Margaret…

— Je suis vraiment désolé, chérie. On ira manger italien un autre jour.

— Oui, seulement ce ne sera plus l’anniversaire de notre rencontre, dit-elle. Et ce soir ? Pourquoi on ne peut pas se voir ce soir ? Hein ?

— Tu sais bien que ce n’est pas possible : Margaret a invité le neveu du sénateur et sa truffe de femme. Impossible d’y couper.

— La salope, siffla Helen.

— Bah… laisse tomber. Margaret est plutôt à plaindre, avec ses chiens baveux et sa crème de champignon sur la gueule.

— N’empêche que tu restes avec elle. Pourquoi ? Hein ? Qu’est-ce que tu lui trouves, à ta vieille femme ? J’en ai marre de cette situation, Michael : cinq ans, ça fait beaucoup de promesses.

— Time is money.

— Tu dis toujours ça !

— Je tiendrai mes promesses, chérie.

— Tu divorceras ?

— Bien sûr. Si tu m’aimes toujours…

— Ne biaise pas, fait-elle, agacée, tu sais bien que oui : alors ?

— Oui.

— Quand ?

— Oh ! je t’en prie, chérie, ce n’est pas le moment.

— Ce n’est jamais le moment. C’est quand le moment ?

Helen va avoir quarante ans. Deux ans que j’en entends parler :

— Un jour, je réponds. Bientôt. Tu sais que ce n’est pas facile.

— Rien n’est facile.

— Au départ, sans l’argent de Margaret, je ne suis rien.

— À l’arrivée non plus.

Je sens la colère monter dans sa gorge.

— Ne deviens pas cassante, Helen. Mon job me met sur le gril, il y a toujours un nouvel élément à gérer, tout ça me prend…

— Oui, tu as un boulot stressant, coupe-t-elle. Eh bien quoi, tu aimes ça, non ? Ne viens pas m’endormir avec tes discours de néo-con !

Helen s’affiche comme farouchement démocrate lors des vernissages, ce qui lui donne l’impression de résister. À quoi, c’est une autre affaire.

— J’essaie simplement de t’expliquer, dis-je.

— M’expliquer que tu préfères déjeuner avec un gros bouseux de Milwaukee plutôt qu’avec la femme de ta vie ?

— Ne sois pas idiote, ça ne te va pas.

— Tu croyais quoi ? Que j’allais te féliciter pour ton déjeuner de ploucs ?!

— Je suis désolé.

Helen soupire tristement. Elle rêve à de beaux lendemains. Pourquoi faut-il que les choses, avec elle, soient toujours si compliquées ?

— Partons, dit-elle. Quittons cette ville de merde… Changeons de vie. Allons nous installer à New York.

— Si tu savais comme j’y pense, acquiescé-je, un œil dans le rétroviseur.

— Eh bien arrête d’y penser, et fais-le ! se reprend Helen. Tant pis pour l’argent de ta femme. Ça fait cinq ans qu’on est ensemble, Michael, j’en ai marre d’être la seconde, la femme qu’on cache. J’en ai marre de passer après les bouseux de Milwaukee !

— Helen…

— Parfaitement ! Tu as assez d’argent, Michael. Même en divorçant. Je préfère vivre ailleurs avec ce qu’on a plutôt que de rester à Boston dans l’ombre de ta femme. Ici il y aura toujours un bouseux, un dîner avec ta vieille, un week-end de com’ à Acapulco, dit-elle entre ses dents. Tant pis pour l’argent.

— Il m’en faut encore un peu : j’en ai caché une partie mais il m’en faut encore un peu…

— Tu dis toujours ça.

— Je veux qu’on parte en beauté.

— Ouais, eh bien en attendant moi je me fane. J’ai trente-neuf ans, Michael. Quarante ans le mois prochain. Tu vois où je veux en venir ?

Toujours les mêmes rengaines.

— Je te promets que sitôt partis, on fait un enfant.

— Quand ?

— Attends au moins qu’on fasse l’amour !

Helen pouffe malgré elle.

— L’année prochaine, chérie, dis-je. On part l’été prochain. C’est la vérité. Je te demande encore quelques mois de patience.

— T’es chiant.

— C’est comme ça que tu m’aimes, non ?

Helen finit par céder :

— Bon, alors, on se voit quand ?

— Eh bien, ce soir ce n’est pas possible… Ce week-end Margaret est là, je suis obligé de rester…

— Même pas un petit golf ?

Elle a repris sa voix d’enfant pas sage.

— J’ai déjà eu du mal à ne pas l’accompagner à Las Vegas le week-end dernier, ironisé-je, ce week-end, c’est impossible. On va être obligés d’attendre lundi.