Выбрать главу

— Michael, les types sont furieux : avec les sommes qui sont en jeu, il faut les comprendre !

Les ploucs de Chicago. Pleins aux as.

— Eddy : tu es mon meilleur, mon seul ami, dis-je. Il faut que tu me fasses confiance.

— Tu nous exposes à…

— Salut Eddy.

Je coupe mon portable, desserre le col de ma veste. J’ai sniffé une ligne longue comme un python dans les toilettes de l’aéroport, mais je n’ai pas pu me résoudre à jeter le reste. C’est elle qui me tient les nerfs. Tant pis si je prends un risque inutile : j’ai une chance sur mille de me faire fouiller par les douanes, et quand bien même les chiens renifleraient quelque chose, j’avalerais le sachet en deux secondes…

— Un rafraîchissement monsieur ?

L’hôtesse, une Afro-Américaine comme ils veulent qu’on les appelle, me regarde avec une bienveillance commerciale. Je n’ai pas desserré les mâchoires.

— Non… Ou plutôt si : donnez-moi un café.

Le portable sonne de nouveau : c’est toujours Eddy. Je laisse sonner dans le vide. L’hôtesse me tend un gobelet d’eau noire.

— Le vol aura combien de retard ?

— Le commandant de bord fait le maximum pour rattraper le temps perdu, assure la fille.

— Il a intérêt : vingt minutes à attendre en bout de piste : de qui se moque-t-on ?

Et si je rate la correspondance ? Si tout marche mais qu’à cause de ces incapables je rate la correspondance ?! J’ai prévu un long battement mais je redoute l’effet papillon, vingt minutes qui se transforment en trois heures et tout l’édifice qui s’écroule.

— Nous sommes désolés monsieur, il y avait des flamants roses à proximité et…

— Je me fous de vos flamants roses : vingt minutes, pour vous ce n’est rien, vous avez votre salaire à la fin du mois, mais nous, vous savez ce que ça peut nous coûter, à nous !?

— Ce n’est pas notre faute, monsieur, nous sommes désolés.

Je souffle, chasse la cocaïne de mon esprit. Après tout, cette Négresse a raison ; ça ne sert à rien de s’énerver. C’est juste l’attente qui me tape sur le système, la cocaïne qui me rend impatient, et tout ce pognon qui me tend les bras…

— Combien de retard au final ?

— Pas plus de dix minutes, répond l’hôtesse, aux dernières nouvelles…

Ça ne changera rien.

— Bon. Bon… Excusez mon emportement.

— Il n’y a pas de mal, ment-elle. Et vous n’oublierez pas d’éteindre votre téléphone portable avant l’atterrissage, ajoute l’hôtesse en me voyant composer un nouveau numéro.

— Oui oui…

Mais j’ai déjà la tête ailleurs.

Une femme décroche à la deuxième sonnerie :

— Mary Stenford, comptoir Air Mexico de Los Angeles Airport, j’écoute ?

— Bonjour mademoiselle : j’ai réservé un vol pour aujourd’hui…

— Oui. Vous êtes monsieur ?

— Parker. Michael Parker.

— Une seconde monsieur Parker… Je l’entends pianoter sur un clavier : Oui, dit-elle bientôt, j’ai une réservation à votre nom. Un aller simple, confirme-t-elle, pour une personne, à destination de Buenos Aires via Mexico…

— C’est ça.

Exit Charlotte. Trop vénale.

— Le billet est déjà réglé, ajoute l’employée, vous n’avez qu’à venir le chercher au comptoir environ deux heures avant le décollage.

— Je vous remercie mademoiselle.

— Au revoir monsieur Parker. Et bon voyage sur Air Mexico.

Buenos Aires, la Terre de Feu… L’Argentine est le pays idéal, à la fois riche et dévasté par les crises monétaires, où on n’est pas regardant sur la couleur de l’argent, un pays en banqueroute où tout est à vendre, même les parcelles de terrain à bâtir sur des sites historiques… Et puis il paraît que les étudiantes se louent l’été à des hommes d’affaires pour survivre : une poignée de dollars suffit à leur bonheur, alors un beau gringo comme moi avec cinquante millions de dollars en poche, ça augure d’autres perspectives que les îles Caïmans…

— Un autre café, monsieur ?

L’hôtesse afro m’a à la bonne.

— Non, merci. On arrive quand ?

— Oh… elle regarde sa montre. Il est huit heures quarante-cinq, on devrait atterrir d’ici une vingtaine de minutes…

Vingt minutes.

Dix-neuf.

Dix-huit.

Toujours pas de nouvelles de Charlotte.

Dix-sept.

Bon Dieu, qu’est-ce qu’elle fiche cette conne ? À l’heure qu’il est, O’Driscoll doit avoir passé la transaction : s’est-il passé quelque chose ?

Seize.

Un événement imprévu ?

Quinze.

Un million de dollars pour une ligne de coke.

Quatorze.

Mon téléphone portable sonne enfin : c’est elle. Bon Dieu…

— Charlotte ?

— Michael, chuchote-t-elle, je suis dans les bureaux d’O’Driscoll : la transaction vient de passer !

Mon cœur se soulève.

— C’est bon ?

— D’après O’Driscoll, l’argent est parti sur le numéro de compte que tu m’as donné. C’est tout ce qu’il m’a dit.

Le ciel est bleu par le hublot. Pas un nuage à l’horizon. Je suis devenu oiseau :

— Je savais que ça marcherait, murmuré-je dans le vide. Je le savais…

Il pleut des billets. Il pleut des feuilles d’or. Il pleut…

— Alors c’est vrai ? renchérit Charlotte.

Elle aussi semble avoir du mal à le croire.

— Oui. Nous sommes riches… Fabuleusement riches…

— Cinquante millions… Michael, j’ai du mal à y croire !

J’ai envie de crier. De hurler. De recracher la pression qui depuis des semaines me tenaille…

— Comment on fait maintenant ? demande Charlotte.

— Ne changeons rien : je serai là vers dix heures.

— Et moi ?

— Tu ne bouges pas. Il y aura une enquête, il ne faut surtout pas que tu te fasses repérer.

— Ça grouille de monde ici ! Comment veux-tu qu’on me remarque ?!

— Soyons prudents jusqu’au bout. Ce serait trop bête de laisser une trace derrière nous.

— En attendant, c’est moi la trace !

— Calme-toi. Respire. Va prendre un verre sur la terrasse, attends neuf heures et demie et rejoins-moi à La Guardia… Même avec des embouteillages, tu y es à onze heures. Le vol est à douze heures cinquante. On a tout notre temps…

Surtout moi.

Charlotte rêve en bloc :

— Les îles crocodiles…

Je ris doucement.

— Oh, merde ! s’esclaffe-t-elle : j’ai plus de batterie !

De fait, son portable bipe bizarrement.

— C’est pas grave, chérie.

— Ah ! peste Charlotte sans vraiment y croire. C’est mon beau-frère qui me l’a ramené de Thaïlande, soi-disant l’équivalent du haut de gamme : tu parles ! Il se décharge à toute vitesse !

Les bips se succèdent.

— Je t’en achèterai des caisses, dis-je : avec des touches en diamant si ça t’amuse.

Ça l’a fait ricaner, la gourde.

— Bon : retrouvons-nous au hall des départs vers onze heures. Et bois un verre à ma santé en attendant !

— Du champagne ! fait-elle joyeusement. Je trinquerai avec la tour jumelle !

— C’est ça !

— Dis donc, je n’avais jamais grimpé en haut du World Trade Center : tu verrais la vue qu’on a d’ici, c’est dément ! s’extasie-t-elle. Oh ! mon chéri, je suis tellement heureuse ! On est quel jour ?

— Le 11 : le 11 septembre.