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— Par quel moyen ? Vous seriez repris avant le milieu du jour et je ne sais trop ce qu'il adviendrait de vous. Croyez-moi, le château est votre seule chance. Là, vous serez à l'abri et vous pourrez attendre que les Écorcheurs se lassent ou bien qu'un secours arrive.

Devant cette perspective, les deux garçons eurent grand-peine à faire taire leur joie et leur enthousiasme, mais Catherine, elle, ne disait rien. Elle avait suivi silencieusement les explications de Landry, jeté un coup d'œil au réduit, puis elle était déjà revenue vers le lit et entourait de ses mains l'une des colonnes, comme si elle voulait s'y accrocher.

— Je ne peux pas ! Je ne peux pas partir, balbutia-t-elle. Ne comprenez-vous pas que je veuille demeurer avec lui jusqu'au bout ?

Partez, vous, les garçons ! C'est Bérenger qui est en danger. Une fois qu'il ne l'aura plus sous la main, le Damoiseau ne pourra plus me contraindre.

— Crois-tu ? fit Landry durement. Tu veux, dis-tu, rester jusqu'au bout ? Jusqu'au bout de quoi ?

— Mais... de sa vie ?

— Il n'est pas encore mort et peut-être ne le sera-t-il pas demain.

Comment crois-tu que réagira le Damoiseau quand il s'apercevra de la fuite des garçons ? Il te fera mettre à la torture ?... Non pas ! Le démon est plus malin que ça ! C'est ton époux, tout blessé qu'il est, qui remplacera Bérenger ! Te sens-tu le cœur de le voir étendu sur un gril

?

Le cri jaillit qu'elle ne put retenir :

— Non !...

Puis, plus bas :

— ...Il n'oserait pas. C'est son frère d'armes !

— Pauvre idiote ! Tu n'as encore rien appris ! Entre cette vue de l'esprit et le gros château de Dame Ermengarde, ce genre d'homme n'hésite pas. Je ne suis pas certain qu'il y ait un seul sentiment humain dans ce beau démon ! Mais si tu te sens le courage de courir le risque...

Catherine baissa la tête et lâcha la colonne. Elle n'avait pas la force de répondre et se contenta de faire signe que non. Elle était vaincue.

Landry avait raison : il lui fallait partir avec les autres, laissant derrière elle celui qu'elle aimait sans même la possibilité de savoir ce qu'il adviendrait de lui. Ce n'était pas elle qui recueillerait son dernier soupir ou, si Dieu accordait l'improbable grâce, qui recueillerait son premier regard...

Si lourde était sa peine, si pesant son cœur douloureux, qu'elle ne put s'empêcher de tenter un ultime effort.

— Qui m'assure qu'ils ne le tueront pas quand nous serons partis ?

Je ne peux pas le laisser seul, Landry... je ne peux pas l'abandonner sans défense aux mains de ces brutes !

— Il ne sera pas seul : je reste, moi.

— Tu es fou. Ils te massacreront.

— Je ne crois pas ! Ce garçon qui a la langue si bien pendue va me bâillonner et me ficeler convenablement avec des liens qu'il obtiendra en déchirant les rideaux. Et même, il m'assommera un peu pour que cela fasse plus vrai. La suite me regarde.

Déjà Gauthier et Bérenger, pressés de passer à l'action, décrochaient deux rideaux, les déchiraient en longues bandes qu'ils tordirent comme des torons de chanvre. En un rien de temps, le moine fut convenablement ligoté, tandis que Catherine éperdue regardait sans pouvoir se résigner à leur apporter la plus petite aide.

Elle avait pris la main de son époux et la serrait contre sa poitrine.

Elle était brûlante, cette main, mais elle vivait toujours et c'était le sang de l'homme qu'elle aimait qui y battait lourdement. Elle s'agenouilla, y posa sa joue humide, puis ses lèvres qui tremblaient.

Elle savait que dans un moment elle ne le verrait plus, qu'il ne lui était plus possible de s'opposer à la marche inexorable du destin... que ce regard, cette caresse étaient les derniers...

— Mon amour... chuchota-t-elle... Je voudrais tant rester, rester toujours avec toi... jusque dans le tombeau. Je voudrais tant mourir aussi ! Mais il y a les petits, nos petits... Ils ont besoin de moi, tu sais.

Il faut que je retourne là-bas... chez nous... pour eux. Il faut que je m'en aille... que je te laisse, mon amour...

Elle enfouit sa tête contre cette main, souhaitant éperdument mourir là, à cette seconde, ne plus se relever jamais.

— Dame Catherine, fit la voix rauque de Gauthier, il faut partir, nous sommes prêts.

Elle les regarda. Il y avait des larmes dans leurs yeux, mais aussi une résolution farouche.

Landry, ficelé étroitement, était toujours debout et sa bouche était encore libre.

— Je veux te dire au revoir avant que l'on me bâillonne, fit-il doucement. Aie confiance, Catherine ! Va sans crainte dans le chemin qui t'attend. Tu sais bien que je suis ton frère et que je t'ai toujours aimée tendrement.

Alors, elle se jeta au cou du moine, l'étreignit farouchement et l'embrassa plusieurs fois.

— Veille sur toi, mon Landry, hoqueta-t-elle. Veille aussi sur lui et prie Dieu qu'il ait pitié de nous...

— Vite ! s'impatienta Landry qui ne voulait pas se laisser gagner par l'émotion. Il ne faut plus perdre de temps. Le bâillon, maintenant... puis un coup d'escabeau. Mais tâche de ne pas me tuer, garçon ! Je prierai pour vous tous. Adieu, Catherine...

Un instant plus tard, le moine qui s'était appelé Landry Pigasse gisait sur le dallage, proprement assommé par Gauthier. Un peu de sang perlait sur la peau brune de son crâne tonsuré.

Il aura une bosse énorme, constata le jeune homme, mais il respire normalement et j'ai fait de mon mieux. Filons, maintenant.

Arrachant Catherine presque de force du corps inerte de son mari où elle était revenue irrésistiblement, il la traîna vers le réduit.

La dernière vision qu'elle eut d'Arnaud fut, dans la lumière jaune d'une chandelle, un profil qui lui parut figé pour l'éternité sous des linges ensanglantés...

La longue nuit s'acheva. Quand le jour se leva sur les grandes forêts d'alentour, à l'appel de quelques coqs enroués, le ciel, où s'attardaient des étoiles brillantes, devint gris-bleu, puis mauve... puis rose. L'aurore éclata, triomphante, annonçant une très belle journée, et les trois fugitifs, tapis sous les ronces et les cornouillers, regardèrent grandir la lumière...

Ils étaient las, transis de froid dans leurs vêtements mouillés que la fraîcheur du petit matin avait glacés. La traversée de la rivière avait été dure, à cause du flot rapide, et l'escalade de la motte féodale, à travers fourrés et éboulis, ne l'avait pas été moins. En arrivant au pied des formidables murailles, ils s'étaient jetés sous les buissons comme dans un havre. Ils y étaient invisibles, presque en sûreté. Pourtant, ils attendaient avec impatience que le château, enfin, s'ouvrît pour eux.

Le village, en bas, paraissait tout petit, privé d'importance et cependant, parmi tous ces toits couleur de terre, Catherine parvenait à en distinguer un : celui sous lequel reposait l'époux qu'elle avait dû abandonner.

Respirait-il encore ou bien la mort, si habile à se glisser dans les corps épuisés des malades, aux heures noires du petit matin, avait-elle fait son œuvre ? Landry était-il revenu de son évanouissement ?

Avait-on découvert leur fuite ?

Le village était tranquille, presque trop. Sur la place, quelques soldats à moitié nus se dirigeaient vers la fontaine pour y effacer les brumes de la nuit, tandis que d'autres s'en allaient, en armes, relever les sentinelles. Un peu de fumée voltigeait à la cheminée de la maison du notaire...

Contre sa joue, Catherine sentit le souffle de Bérenger et vit que le page, lui aussi, regardait le village et qu'il avait les larmes aux yeux.

Émue, elle demanda :

— Vous pleurez, Bérenger ?

Il tourna vers elle sa petite figure fatiguée où la lassitude et l'angoisse ramenaient l'enfance. Mais la tristesse des yeux bruns était celle d'un homme. En quelques jours, Bérenger avait vieilli, même s'il n'avait toujours que quatorze ans.