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La Foudre ! Tu as raison. Il faut que tu saches. En vérité, si je n'avais vécu tout cela, je crois que j'aurais peine à y croire moi-même. Mais nous sommes dans une époque terrible...

Le récit de ce qui s'était passé à Montsalvy, puis à Paris, à Chinon et à Tours fut rapide, aisé. Catherine commençait à en prendre l'habitude. Tout ce qui, dans la vie de la jeune femme, avait précédé le siège, Landry l'avait appris d'Ermengarde. Mais ce fut plus pénible quand on en vint à la soirée précédente. Pour évoquer le village supplicié, la jeune femme avait du mal à trouver les mots et il lui était dur de les prononcer car chacun d'eux évoquait une image affreuse.

— Je sais comment cela se passe, coupa le moine. Ce n'est malheureusement pas pour moi un spectacle nouveau et plusieurs fois, déjà, j'ai failli périr dans des aventures analogues.

— Plusieurs fois ?

Il eut un haussement d'épaules désabusé. Sa bouche se plissa tristement.

— Mais oui. Il paraît que c'est ça la guerre ! Continue, je t'en prie...

— Continuer ? Le plus difficile reste à dire, mon ami...

Sans oser le regarder, elle évoqua, presque bas, la maison envahie, l'homme torturé, la femme violée puis, cachant brusquement son visage dans ses mains :

— C'est alors que j'ai vu celui qui commandait... Le capitaine La Foudre... mon époux ! Arnaud !... Lui !...

Un silence s'établit. Landry ne disait rien. Gauthier et Bérenger s'étaient retirés par discrétion à l'autre bout de la pièce, presque cachés par les rideaux du lit, et ils s'efforçaient même de retenir leur souffle.

Au bout d'un moment, le moine se pencha, toucha du doigt le genou de son amie d'enfance.

— Qu'as-tu éprouvé, alors, Catherine ?

Elle écarta ses mains, lui livrant un regard malheureux.

Je ne sais pas... Je ne sais plus très bien. De l'horreur, oui, et puis une déception... Oh ! Ce n'est pas le mot et je ne peux pas traduire. C'était atroce, tu comprends... Un peu comme le soir où Caboche a tué Michel devant chez nous. As-tu vu ce que la foule en avait fait quand Legoix a donné le coup de grâce ? Quelque chose qui n'avait plus de nom, une bouillie sanglante dont la vue est entrée dans ma tête comme une flèche. Eh bien, quand j'ai trouvé Arnaud hier, j'ai ressenti quelque chose de semblable. Il était là, devant moi, tout semblable à l'image familière et cependant il me semblait que cette image, elle aussi, on l'avait massacrée. Je crois que j'ai eu mal, mais je n'ai pas eu beaucoup de temps pour m'appesantir sur ce mal car, tout de suite, cela a été la bataille. Nous nous sommes disputés, déchirés, comme si nous étions des étrangers, des ennemis. J'ai essayé de lui faire comprendre ce que j'éprouvais, mais il était au-delà de tout raisonnement, presque au-delà de toute évidence ! On aurait dit qu'une puissance inconnue l'habitait, une espèce de force hostile. A travers elle, j'ai compris aussi qu'Arnaud n'avait aucune espèce de confiance en moi...

— Tu as compris, dis-tu ? Es-tu certaine de ne pas l'avoir su depuis longtemps ?

Elle réfléchit un instant puis, honnêtement, elle approuva :

— Tu as raison. Depuis toujours, je crois bien, il se méfie de moi.

J'ai d'abord été pour lui une fille Legoix et cela suffisait pour que je lui fisse horreur. Ensuite il y a eu mes... relations avec le duc Philippe qu'il a toujours considéré comme son ennemi majeur.

— Tous ceux qui servent le roi Charles avec quelque fidélité pensent ainsi, remarqua Landry. Seulement, chez ton époux, la haine politique se double d'une haine particulière, une haine d'homme. Cette force mauvaise dont tu parlais à l'instant, ne crois-tu pas qu'elle s'appelle d'abord jalousie ?

— C'est par jalousie qu'il a incendié un village, violé une femme, torturé un homme ? Lorsque j'évoque cela, je sens revenir la rancune.

Parce que toi aussi tu es jalouse. Ce que tu lui pardonnes le moins, n'est-ce pas, c'est son admiration insolite pour l'aventurière de Saint-Privey... la fille qui se fait passer pour la Pucelle, et... le viol de la femme ! Une femme qui était blonde comme toi, m'as-tu dit ?

Landry tourna les yeux vers le gisant du lit et le considéra un instant avec attention.

— J'aurais aimé qu'il ne fût pas au-delà de la confession, soupira-t-il. Les âmes de cette trempe, où l'orgueil règne plus que Dieu, ont des replis étranges, obscurs comme tous les replis. Une jalousie forcenée, un profond dégoût de l'homme... ou de la femme, quand on l'a quelque peu idéalisée, peuvent les mener aux pires excès dont le besoin de détruire n'est qu'une réaction, celui de faire souffrir un apaisement ! Je sais des exemples... Mais, dis-moi, Catherine, avant le combat de tout à l'heure, qu'avais-tu décidé de faire ?

Elle n'eut pas une seconde d'hésitation.

— Je voulais voir ma mère. Aucune force humaine n'aurait pu m'en empêcher parce que c'était tout naturel et que c'était mon droit absolu. J'avais fait tout ce chemin uniquement dans ce but. En outre, l'ultimatum d'Arnaud était inique, odieux...

— Pas à son point de vue ! Lui, je crois, n'avait devant les yeux qu'une image, insupportable : toi, sa femme, franchissant l'enceinte du château et retrouvant derrière, les bras tendus, l'homme qu'il exècre le plus au monde : ton ancien amant. Il ne voyait que ça. Rien d'autre !

Et il le voyait encore lorsqu'il s'est jeté si follement au-devant de la mort...

— Veux-tu dire... qu'il l'a cherchée ?

Non pas ! Il était, comme tu dis, au-delà de tout raisonnement. Vois-tu, j'essaie de t'aider, d'expliquer. Ne va pas croire que j'excuse ou que j'admets les excès de ces hommes élevés avec le goût du sang, mais à force de fouiller les âmes, j'ai appris bien des choses contradictoires. Quant à celui-ci, en lui donnant l'absolution ira articulo mortis, je lui ai pardonné au nom du Seigneur ! Et d'ailleurs, c'est toi qui m'intéresses et que je veux comprendre. Qu'en est-il de toi, Catherine ? La pensée de trouver là-haut Philippe de Bourgogne était elle pour quelque chose dans ton irréductible désir d'entrer à Châteauvillain, même au risque de te couper à jamais de ton foyer ?

Une lente rougeur envahit les joues et le cou de la jeune femme, tandis qu'elle réalisait la signification exacte des paroles de Landry.

Mais elle ne détourna pas les yeux.

— Tu veux savoir si j'éprouvais... une joie quelconque à l'idée de revoir le duc ? Non, Landry, aucune ! Sur mon salut éternel, je te le jure ! Je n'ai jamais eu pour lui de véritable amour. Je voulais seulement embrasser ma mère... et protester contre la violence qui m'était faite. Je hais les contraintes et Arnaud n'avait aucun droit de...

— Si ! Il les avait tous ! dit fermement Landry. Et tu le sais parfaitement ! Même celui de t'interdire purement et simplement l'entrée du château, même celui d'employer la force pour t'obliger à obéir. Il est ton époux devant Dieu et devant les hommes d'où viennent toutes lois.

— Je sais tout cela, fit Catherine amèrement. Les hommes ont tous les droits et ne nous en laissent qu'un seul : celui d'obéissance inconditionnelle. Et tant pis pour nous s'ils en abusent ! C'est ce qu'a fait Arnaud et c'est ce que je ne lui pardonnais pas !

— Et maintenant ?

— Maintenant ?

Les yeux de Catherine s'emplirent de larmes lourdes qui débordèrent en même temps que sa douleur.

— Il n'y a plus de maintenant pour moi. Comment pourrais-je ne pas lui pardonner à l'heure où je vais le perdre pour toujours ? C'est moi, peut-être, qui aurai besoin de pardon si ma révolte a causé sa mort... Je l'aime, Landry, je l'aime toujours autant, même si maintenant j'en ai peur, et cet amour, c'est toute ma vie. On n'arrache pas sa vie quand un rêve s'achève...

Le moine se leva, alla jusqu'au lit, se pencha sur le blessé, prit sa main et le considéra longuement, sourcils froncés, cherchant apparemment quelque chose qu'il ne trouvait pas. Puis, il hocha la tête.