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Rigg scruta les environs : ils étaient arrivés au sommet d’une colline de pierraille.

« J’ai déjà vu plus confortable, observa Param. Tu dormais là-dessus quand tu étais trappeur ?

— Sur un sol dur comme ça, non, jamais.

— L’idée n’était pas de nous trouver un petit coin douillet ? l’interrogea à son tour Olivenko.

— Ma première idée était de sortir de la ville, plaida Rigg. Je n’avais aucun lieu précis en tête.

— En tout cas, tu avais l’air de savoir où tu allais, nota Umbo. Sinon on ne t’aurait pas suivi.

— Partons, trancha Rigg. Il y a des pierres partout, ici. Sans parler des courants d’air.

— Quel sens de l’observation, ironisa Miche.

— Et tu faisais quoi, au juste ? Tu marchais les yeux fermés ? chercha à savoir Param.

— Désolé, marmonna Rigg. C’est la faute des traces… je n’ai pas pu m’empêcher de les suivre.

— Les traces ? Il y a cinq minutes, tu disais qu’il n’y en avait pas !

— Pas de récentes, précisa Rigg. J’essayais juste d’interpréter les anciennes.

— D’il y a dix mille ans », traduisit Umbo.

Rigg jugea préférable de revenir à leurs moutons plutôt que de tenter d’expliquer l’inexplicable.

« Il y a une rangée d’arbres là-bas, indiqua-t-il. À première vue, le sol paraît accueillant. Et en cas de bourrasques, Miche nous servira de paravent.

— Très drôle », apprécia ce dernier.

Une idée mit soudain un peu d’ordre dans l’esprit de Rigg, où régnait depuis leur arrivée une belle pagaille.

« Quelque chose me dit qu’ils sont morts, lâcha-t-il sans plus d’explications.

— Les arbres ? s’étonna Param.

— Les habitants de la ville, développa Rigg. S’ils étaient partis, tranquillement, à leur rythme, alors les traces les plus récentes quitteraient la ville par la route. Toutes celles que je vois ne font qu’y entrer.

— Il existe peut-être une autre sortie », hasarda Olivenko.

La seule autre sortie possible s’appelle la mort, songea Rigg.

« Vadesh ne m’inspire aucune confiance, reprit-il. Umbo, j’aimerais suivre une trace jusque dans le passé, juste pour voir.

— Pour voir quoi exactement ? s’enquit Miche.

— Si je le savais…

— Une seconde, temporisa Umbo. Nos sauts temporels nous ont servi à quoi, jusqu’à présent ?

— À rester en vie, commença Miche.

— À me libérer… À me sauver, aussi, poursuivit Param.

— Cette histoire d’exode remonte à dix mille ans, rappela Olivenko.

— S’ils ne sont pas tous morts, insista Rigg. Une épidémie les a peut-être emportés.

— Les cités, aussi, ne vivent qu’un temps, philosopha Olivenko. Ainsi va le monde.

— Je ne voudrais pas jouer les rabat-joie, mais… on se le trouve, notre petit nid douillet ? les pressa Miche. Quelle guigne d’avoir perdu nos chevaux ! On serait déjà loin d’ici.

— Et de notre seule source d’eau potable », lui rappela Param.

Ils partirent s’installer sous les arbres en discutant de choses et d’autres. Rigg se retourna par hasard au moment où Umbo se penchait vers le sol pour ramasser un objet, qu’il empocha prestement. À cette distance, Rigg ne pouvait se permettre un « Hé, c’était quoi ? » ou « Tu as laissé tomber un truc ? » sans attirer l’attention. D’autant qu’Umbo ne lui devait aucune explication.

En même temps, son escamotage et son coup d’œil à la dérobée avaient été pour le moins furtifs. Umbo n’avait pas vérifié si Rigg ou les autres l’observaient, non : il avait semblé chercher quelqu’un du regard. Quelqu’un qui aurait perdu quelque chose ? Rigg se mit instinctivement à la recherche de traces. Aucune ne s’était aventurée ici depuis l’abandon de la ville ; et à cette époque, le taillis qu’ils avaient choisi pour la nuit ne devait même pas exister.

Les traces d’animaux, en revanche, ne manquaient pas. Une, en particulier, toute fraîche, semblait indiquer que l’un d’eux était venu fureter récemment dans le boqueteau. Rigg la reconnut d’emblée.

« Nous avons de la visite », annonça-t-il.

Les autres lancèrent des regards perplexes tous azimuts.

« Notre ami à plume, dévoila Rigg. Notre guide pendant la traversée du Mur.

— Je croyais que le Mur l’avait rendu fou lors de notre retour dans le présent ? s’étonna Miche.

— Il faut croire que non. Je vois sa trace sautiller de branche en branche jusqu’ici.

— Il n’avait rien d’un chimpanzé, pourtant… fit remarquer Miche.

— Ni d’un écureuil volant, ajouta Umbo.

— Que savez-vous de ce à quoi il ressemble ? observa Olivenko. Aucune créature ne lui ressemble de près ou de loin dans notre entremur.

— En tout cas, il n’a pas pu aller bien loin, estima Rigg. Il était ici il n’y a pas trente minutes.

— Vous savez, je m’interroge à propos de cette eau… s’inquiéta soudain Olivenko. Qui à part Vadesh nous dit qu’elle est potable ?

— Ce n’est pas un menteur, affirma Rigg.

— Ah bon, et d’après qui ? Lui ? poursuivit le garde. “Hé au fait, je ne suis pas un menteur !” N’importe quel arracheur de dents commencerait par là.

— Il ressemble à Père, expliqua Rigg, et Père ne mentait jamais.

— On ne peut pas dire qu’il t’ait révélé tous ses secrets non plus… argua Miche.

— Il ne t’a même pas parlé de moi ! s’insurgea Param.

— Si, quand il est… », hésita Rigg avant de se rendre compte que non, « mort » ne convenait pas : Père s’était juste caché sous un arbre en prétendant s’être fait piéger dessous. Il lui avait donc menti.

Rigg se couvrit les yeux d’une main.

« Je continue à vivre dans le monde qu’il a bricolé autour de moi. Tous ses enseignements, ses longs discours, et je ne suis même pas capable de distinguer le faux du vrai.

— Bienvenue chez les adultes, mon garçon ! s’exclama Miche.

— Je ne suis pas un adulte, rejeta Rigg.

— Vraiment ? Pour moi, tu te débrouilles très bien tout seul, donc tu es un adulte, commenta Umbo.

— Elle est bien bonne, celle-là, pouffa Miche.

— Je connais quelques soi-disant “adultes” qui ne seraient pas mécontents de savoir faire la moitié de ce qu’on fait avec Rigg ! » se défendit Umbo.

Un renâclement se fit soudain entendre à une petite dizaine de mètres. Le groupe se déploya en cercle autour de la zone suspecte, à pas lents… mais incroyablement bruyants ! Rigg lança des regards effarés à Umbo ; la discrétion de leurs camarades n’était décidément pas leur fort. En même temps, la bête faisait un boucan à couvrir une fanfare.

Il s’agissait bien de leur ami aux plumes barbelées, bien décidé, semblait-il, à déraciner un arbre à coups de tête. Rigg osa quelques pas supplémentaires dans sa direction : une masse boueuse lui couvrait le front, juste au point d’impact avec le tronc.

De la boue ? Non, plutôt… une chose vivante ! Une chose dont Rigg pouvait désormais suivre la trace, ténue, parallèle à celle du barbailé, de l’orée du bois jusqu’à eux.

Miche et Umbo, habitués aux animaux, avaient avancé de quelques mètres ; Olivenko et Param, en bons citadins, gardaient leurs distances.

« Pas trop près, les mit en garde Rigg.

— C’est quoi, là, sur son crâne ? s’interrogea Miche.

— Il a dû boire au ruisseau, supputa Umbo.

— C’est aussi mon avis, acquiesça Rigg.

— Vous voulez dire qu’il a attrapé ce parasite ? Le crochetruc ? s’enquit Olivenko.