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Param entendait cette histoire pour la première fois ; il faut dire que, qu’il s’agisse de pierres ou de couteau, les garçons n’étaient pas très prêteurs avec elle.

« Une minute, l’arrêta Rigg. Vous me dites que vous n’avez rien laissé au hasard, mais qu’en est-il de Miche ?

— Un coup du sort, admit la femme. Tout comme l’apparition d’Olivenko. Mais vous avez su choisir vos compagnons. Vous n’auriez pu mieux faire, bravo. »

Si Miche resta de marbre, Olivenko fit immédiatement volte-face. Pour manifester son dépit mais aussi sous le coup de la surprise à cette inattendue flatterie, songea Param.

« Nous plaidons coupables, c’est vrai, poursuivit Saute-Nuages. Mais nous ne pouvions nous permettre d’attendre des années que vous tombiez par hasard sur quelqu’un capable de vous projeter dans le passé. Alors nous vous avons donné Umbo.

— Donné Umbo ? » s’exclama Rigg.

Param vit le principal intéressé virer à l’écarlate. De colère ? D’embarras ?

« Allez-y, dites ce que je suis, les défia le jeune cordonnier. Une expérience génétique, moi aussi ?

— Oui, mais d’un genre différent, répliqua Père-Souris. Votre mère était pétrie de talent, contrairement à votre père. »

Umbo acquiesça.

« Le jour de votre conception, nous avons donc remplacé sa semence par celle de notre meilleur téléporteur. »

De chaudes larmes se mirent à rouler sur les joues d’Umbo.

« Mon père n’est pas mon père, renifla Umbo.

— Tu n’as absolument rien hérité de lui, mon garçon, confirma Père-Souris.

— Et votre téléporteur… qui est-ce ?

— Il est mort, lui apprit Père-Souris. Nous sommes revenus dans le passé pour recueillir son sperme.

— Alors je suis à moitié… d’ici, conclut Umbo.

— Oui, attesta Saute-Nuages. Nous n’étions déjà plus tellement filiformes à l’époque de votre père. Mais pas encore des yahous. »

Umbo aurait aimé disparaître dans les hautes herbes. Il se pencha, prit appui des deux mains sur ses genoux, et fondit en larmes. Miche s’approcha et enroula un bras autour de ses épaules. Umbo se blottit contre lui.

« Umbo est donc le plus intelligent d’entre nous, fit remarquer Rigg.

— Il possède le potentiel d’un Enfant d’Odin, observa Père-Souris. Mais toi et ta sœur avez également hérité de notre intellect.

— Après neuf échecs en autant de tentatives, décision avait été prise de ne plus rien tenter par nous-mêmes, continua Saute-Nuages. Nous avons donc sélectionné quelques profils génétiques dans un entremur prometteur, le vôtre, et les avons croisés avec nos meilleurs gènes. Nous comptons aujourd’hui sur vous pour résoudre notre problème.

— J’aimerais que l’on se mette bien d’accord sur vos intentions, reprit Rigg. Votre problème, ce sont les Éclaireurs et l’image qu’ils auront de vous ?

— Vous avez tout compris, confirma Saute-Nuages.

— Nous ne sommes pas prêts. Combien de temps avons-nous avant leur arrivée ?

— Plus qu’il n’en faut, le rassura Saute-Nuages.

— J’avais cru entendre parler de deux ans… hésita Rigg.

— Exact. Mais renouvelables, grâce à votre pouvoir, le flatta la femme. Laissez les Éclaireurs venir – nous vous cacherons le temps de parfaire votre éducation. Ensuite, un petit saut temporel dans le passé et hop ! vous bénéficierez d’une petite rallonge dans votre préparation. Vous pourrez recommencer ainsi autant de fois que nécessaire. En prenant soin de ne pas croiser vos doubles, cela va de soi.

— Et en gardant aussi à l’esprit, les prévint Père-Souris, que plus vous vous démultiplierez, plus vous nous compliquerez la tâche. D’après les Livres du Futur, les Éclaireurs adorent fouiner et ne se laissent pas duper facilement. Et ils peuvent compter sur l’aide des sacrifiables.

— Voilà pourquoi nous agissons dans le plus grand secret avec Odsac. Nous ne lui mentons jamais, mais ne lui révélons pas non plus ce qu’il ne doit pas savoir. Il n’est pas au courant de votre présence ici.

— Mais Père sait tout sur nous, les alerta Rigg.

— Il en a su beaucoup jusqu’à sa mort, nuança Saute-Nuages. Après cela, il vous a perdus. Il avait beaucoup de projets pour vous tous, mais ne saura jamais s’ils se sont réalisés.

— Au risque de vous décevoir, reprit Rigg, c’est lui qui dictait les réponses du vaisseau de Vadesh lors de ma prise de commandes. »

Saute-Nuages manifesta son agacement d’un geste désabusé de la main.

« Quelqu’un l’aura prévenu. Je l’aurais parié.

— Nous savons de source sûre que les Éclaireurs ignorent tout des sauts temporels, reprit Père-Souris. Ils les croient impossibles à accomplir, du fait du caractère autodestructeur des boucles temporelles. C’est là que réside notre avantage. Tant qu’on restera en vie, on pourra les recevoir autant de fois qu’il le faudra. Jusqu’à trouver la solution.

— Ce que vous avez fait jusqu’à présent, fit observer Olivenko.

— Pas au sens strict, objecta l’homme. Nos pouvoirs se limitent à l’envoi de messages. Vous, vous pouvez agir sur le terrain, recommencer à l’infini. Comme Umbo et Miche l’ont prouvé dans cette banque à Aressa Sessamo.

— On a vu le résultat, débita Miche d’une voix calme. Les choses ont empiré jusqu’à devenir impossibles à démêler.

— Cela vous aura servi de leçon, le réconforta Père-Souris. »

Rigg soupira.

« Que sait Vadesh de tout cela ? »

La question provoqua l’hilarité de Saute-Nuages.

« Absolument rien. Du moins, rien qu’il n’ait vu. Tout cela le dépasse complètement. Il ne lui est pas venu à l’esprit un seul instant qu’en vous déposant ici il vous ramenait à la maison.

— Comment pouvez-vous en être si sûre ? questionna Rigg.

— Notre sacrifiable lui ment, expliqua l’homme. Comme tous les autres.

— Il a tout raté, voyez-vous, enchérit Saute-Nuages. La gestion des humains de son entremur a été une catastrophe.

— Pas tout, contesta Miche en pointant du doigt son crocheface.

— Vous avez raison, ironisa Père-Souris. Un regard sur vous, et les Éclaireurs prendront toutes les mesures pour sauvegarder à tout prix le Jardin.

— Insinuez-vous que je doive rester à l’écart de notre petite… mission ? le questionna Miche.

— Je n’insinue rien de tel, se défendit l’homme. Nous ne vous avions pas prévu dans notre plan, pour la simple et bonne raison que nous n’en avons pas. Vous avez toute latitude pour en élaborer un. Nous nous ferons un plaisir d’arranger pour vous ce qu’il faudra pour le mener à bien.

— Nous avons cependant un petit conseil à vous donner, si vous permettez, ajouta Saute-Nuages.

— Tu as un petit conseil à donner, se défila Père-Souris.

— Soit, j’ai un petit conseil à vous donner, reprit Saute-Nuages. Ne tardez pas trop. Limitez-vous à quelques cycles. Vous pourrez répéter ces deux années de préparation autant de fois que nécessaire, mais vous vieillirez aussi de deux ans chaque fois. Et je pense préférable d’agir tant que vous êtes jeunes.

— Jeunes ? s’esclaffa Miche en se tournant vers Olivenko. Pour nous, il est déjà trop tard.

— Vous peut-être, mais Rigg, Param et Umbo ne sont encore que des adolescents. Regardez comme ils paraissent inoffensifs… Qui irait se méfier d’eux ? Et si vous et Olivenko leur obéissez comme il faut, alors peut-être y gagnerez-vous quelques années et un peu de confiance. Un peu de sympathie. Quelque chose, quoi qu’il en soit. J’espère. Je le crois sincèrement. Ce que je veux dire, c’est que vous ne pouvez plus apprendre grand-chose et ne pouvez rien anticiper. À leur retour, d’ici un an ou plus, vous y verrez plus clair. Peut-être l’issue de notre monde aura-t-elle changé – ce sera la surprise –, auquel cas vous serez même exemptés d’intervenir. Mais si les Nettoyeurs viennent pour la dixième fois, alors suivez vos amis dans le passé et essayez d’en apprendre davantage, en vous basant sur vos propres observations et expériences. Vous me suivez ? Évitez juste de le faire trop souvent. Et n’attendez pas de vieillir avant d’agir.