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— Quel discours, ma chère, la félicita Père-Souris avec ostentation. Aussi émouvant qu’inutile : ils décideront par eux-mêmes.

— Donner matière à méditer n’est jamais inutile, estima pour sa part Saute-Nuages. Et maintenant, si tu leur montrais ta bibliothèque ? »

Chapitre 13

À la bibliothèque

La bibliothèque, pourtant enfouie à des dizaines de mètres sous terre, au bas d’un escalier interminable, était agréablement aérée. Une brise légère y soufflait dans chacun de ses couloirs. Aux murs s’étalaient fresques et peintures. Des sculptures ornaient les angles de chaque pièce – quand elles n’emplissaient pas carrément tout l’espace. Des tables basses et fauteuils moelleux étaient baignés d’une lumière douce invitant à la lecture.

Seul hic : les livres. Il n’y en avait aucun.

« Nous sommes bien dans une bibliothèque ? s’interrogea Rigg.

— Ici est entreposé tout ce que les entremurs ont jamais produit en matière d’écrits, confirma Saute-Nuages.

— Sans mentionner les ouvrages terrestres arrivés dans les bagages des premiers Terriens, ajouta Père-Souris, et une collection complète de créations artistiques. Nous n’en avons d’ailleurs exposé qu’un échantillon, faute de place.

— Je ne vois aucun livre », insista Umbo.

Père-Souris afficha un sourire modeste et Saute-Nuages éclata de rire.

« Allez, Père-Souris, montre-nous tes bébés.

— Venez, les enfants », ordonna l’homme.

Au même instant, des arcades miniatures s’ouvrirent dans les plinthes de la pièce et des dizaines de souris de toutes les couleurs en jaillirent. Des blanches, des brunes, des noires, des jaunes, des rouges… Elles inondèrent le sol et envahirent les tables.

« Nous désirons voir les sculptures grecques antiques », lança Père-Souris.

Rigg se demanda bien à qui il s’adressait. Toujours est-il que, dans la seconde qui suivit, aux quatre coins de la salle, les sculptures prirent soudain des couleurs vives, des formes humaines et l’apparence du marbre. Il tendit une main pour toucher… et la vit ressortir de l’autre côté !

« Illusion d’optique, comprit Olivenko.

— Supercherie », estima Param.

Miche pouffa d’aise.

« Tu savais ? comprit Rigg.

— Moi non, mais le crocheface oui, répondit le tavernier. Il a tout de suite distingué le faux du vrai.

— Cela ne vous empêche pas d’apprécier la beauté de l’œuvre, au moins ? s’enquit Saute-Nuages.

— Autant qu’avant, sans mon masque, ironisa le tavernier. Je garde toujours un goût immodéré pour la beauté artificielle !

— J’en déduis que l’art ne vous parle guère, reprit Père-Souris.

— Le vôtre me parle bien, si, avec vos souris savantes, démentit Miche. Elles ne comprennent que vous, je me trompe ?

— Elles apprendront votre langue en un temps record, continua l’homme.

— Votre système est ingénieux. Les Éclaireurs auront beau chercher, ils ne trouveront rien. »

Père-Souris acquiesça de la tête et esquissa un sourire encore plus discret que la première fois, si cela se pouvait.

« À moins de savoir parler aux souris. Elles seules connaissent l’accès aux livres, aux lithographies, aux sculptures et aux cartes stockées dans nos archives.

— Mais… si quelqu’un les tue ? souleva Umbo. L’accès sera condamné ?

— Vous devez bien avoir un autre moyen, soupçonna Olivenko. Une clé quelque part…

— Un mécanisme… suggéra Miche.

— Rien de tout cela, infirma Saute-Nuages. Les portes dérobées et trappes secrètes finissent toujours par être découvertes, les mécanismes aussi. Non, les souris, rien que les souris !

— Nous sommes conscients des risques de perte, concéda Père-Souris.

— Il joue les modestes, le taquina Saute-Nuages. Mais ses créatures offrent un florilège génétique d’une diversité unique. Plus de trois mille espèces, toutes différentes les unes des autres. Une épidémie qui exterminerait toutes les espèces répertoriées de l’entremur laisserait la plupart de ces petites bêtes intactes.

— S’il y a trois mille espèces, s’interrogea Olivenko, je suis curieux de savoir combien il y a de souris.

— On ne s’est pas amusés à compter, confia Père-Souris. Elles se reproduisent normalement et se transmettent les secrets de la bibliothèque de nichée en nichée. Les grandes prairies de l’entremur fleurissent de milliers d’espèces végétales qui servent de base à leur alimentation. On estime leur population à plusieurs centaines de milliards.

— Donc là où vivaient autrefois des milliards d’hommes… commença Olivenko.

— Prospèrent aujourd’hui le centuple de souris. Et les hiboux, renards et fouines qui s’en nourrissent, et les faucons, aigles et loups que ces derniers nourrissent, compléta Père-Souris. Ajoutez à cela les ruminants qui endiguent la prolifération en éclaircissant les prairies, les grands félins qui se repaissent des ruminants et les hyènes et autres charognards qui s’invitent au festin et vous obtenez un véritable éden parsemé de ruines de notre ancienne civilisation et de quelques poches de yahous arboricoles, témoins d’une lointaine présence humaine.

— Un joli travail de camouflage, salua Rigg.

— Mais qui n’a servi à rien, rappela Père-Souris. D’où votre présence ici, dans notre bibliothèque. En espérant que vous y trouverez de quoi faire mieux que nous.

— Si j’ai bien compris, ce sont les souris qui nous apportent les livres ? demanda Olivenko.

— Annoncez simplement à voix haute un sujet d’étude, une source, un titre, un auteur, ou posez une question. Ensuite, attendez accoudé à une table – ou adossé à un mur ou même debout, en marchant. Le livre apparaîtra devant vous.

— Père-Souris est notre meilleur libraire, le loua Saute-Nuages.

— Disons le meilleur encore en vie, nuança le principal intéressé. Nos ancêtres m’ont mâché le travail. Conception du bâtiment, construction, collecte des œuvres, tout avait déjà été pensé et réalisé à mon arrivée, dans les moindres détails.

— Donc les souris savantes comme système d’accès, c’est un peu votre touche de finition ? ironisa Olivenko.

— J’aimerais voir un livre », annonça Rigg.

Et un livre prit forme sur la table. Puis un deuxième, puis un troisième, et ainsi de suite en continu, comme autant de sculptures exhibées l’une après l’autre, juste le temps d’un regard.

« Celui-ci ! » désigna Olivenko en fourrant son doigt dans l’un d’eux.

Le livre se mit immédiatement à léviter à distance confortable de lecture. Il s’ouvrit à la première page.

« Voyages dans des contrées lointaines, lut Rigg. De Jonathan Swift.

— Ou Les Voyages de Gulliver, déclara Père-Souris. Quatrième partie, chapitre 1, dans lequel Gulliver rencontre les yahous.

— Vous espérez nous faire avaler que ce titre est sorti au hasard ? » tiqua Miche.