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Père-Souris parut peiné.

« Je n’oserais pas. Olivenko aurait pu choisir n’importe quel livre, c’est celui-ci qui serait sorti.

— On est obligés de lire ça en premier ? grimaça Param.

— Vous n’êtes obligés de rien, souligna Saute-Nuages. Vous êtes libres de choisir ce qui vous intéresse, et cela ne marchera que dans ce cas d’ailleurs. Bien entendu, vos résultats seront meilleurs, d’après nos prévisions, si vous vous plongez dans l’étude des principaux instigateurs des colonies, nos chers Terriens.

— Et si je préfère étudier l’histoire de l’entremur de Ram ? discuta Param.

— Et moi de celui où a péri Knosso ? s’empressa d’ajouter Olivenko.

— Personne n’a rien écrit à ce sujet, j’en ai peur, le débouta sèchement Père-Souris. Et nous ne recueillons pas les témoignages oraux des autres entremurs, car nos machines ne sont pas équipées pour. Nous ne conservons que les productions matérielles.

— Et si moi, je préfère visiter tranquillement votre entremur ? s’immisça Miche.

— Faites, l’encouragea Saute-Nuages. Mais restez sur vos gardes. Ici, les prédateurs nous prennent pour des humains, donc pour des morceaux de viande. En outre, vous n’avez pas d’arme.

— Ne vous inquiétez pas pour moi, j’ai ce qu’il faut.

— Et comment vous défendrez-vous face à une meute de loups, une horde de lions ou un clan d’hyènes affamés ? insista Père-Souris en secouant la tête. Bien entendu, si vous servez de repas à l’un d’eux, vos amis pourront toujours faire un saut dans le passé pour récupérer vos restes. Mais ce serait une perte de temps et d’énergie.

— Je pars à la chasse aux papillons, pas aux lions, le rassura Miche. J’aimerais voir cette prairie que vous décriviez.

— Vous en aurez vite fait le tour, le prévint Père-Souris. Mais vous êtes ici chez vous et libres d’aller où bon vous semble, tant que cela vous paraît utile avant l’arrivée des Éclaireurs. Ou même par simple curiosité. Tous nos plans ont échoué, nous n’avons pas de conseil à vous donner, seulement notre aide à proposer.

— Dans ce cas j’aimerais en savoir plus sur le fonctionnement de ces vaisseaux interstellaires, annonça Umbo. Et sur leurs systèmes de commandes.

— Certains n’ont pas eu assez d’une vie pour cela, observa Saute-Nuages.

— Et ils ont vécu plus longtemps que vous ne vivrez jamais, rappela Père-Souris.

— Je n’ambitionne pas d’en construire un avec mes petites mains, insista Umbo. Mais ce que je me dis, c’est que les vaisseaux des Éclaireurs se baseront forcément sur des technologies de conception similaire, grosso modo, à celles du vaisseau mère. Les Éclaireurs dépendent de ces machines, un peu comme vous. Plus que vous, même. N’est-ce-pas ? »

Umbo épata Rigg sur ce coup-là. Sacré projet. Et brillante démonstration. D’autant qu’Umbo ne connaissait rien aux sciences ni aux technologies. Il lui souhaitait bien du courage : son apprentissage avec Père en forêt représentait une masse de travail énorme, et avec un professeur hors pair.

Une telle conclusion ne serait pas venue à l’esprit de Rigg s’il ne considérait Umbo comme moins capable que lui. Or était-ce vraiment le cas ? Umbo était à moitié fils d’Odin, Rigg et Param, seulement un quart. Si les ancêtres de Père-Souris et Saute-Nuages avaient réellement développé des gènes d’une intelligence supérieure, alors Umbo pouvait prétendre à un QI plus élevé que les deux rejetons de la famille royale.

Des préjugés de classe typiques des Sessamides, songea Rigg. Je n’ai pas perdu de temps. Persuadé d’être le fils de Père, j’ai d’abord présumé avoir hérité de son intelligence. Sauf que le puits de science s’est avéré être une machine et son fils adoré, le prince d’une famille royale déchue. Et à peine ai-je fini de prendre la grosse tête, comme tout bon héritier à la Tente de Lumière, que j’apprends qu’à nouveau j’ai tout faux.

Sur toute la ligne. Et qui me dit que mon présent ne me ment pas, lui aussi ? Laissons Umbo se pencher sur ces vaisseaux. Il apprendra aussi vite que moi, sinon plus.

Tout le monde eut bientôt les bras chargés de livres, sauf Miche, qui insista élégamment pour explorer l’entremur. Il réclama un aéronef et obtint satisfaction. Trois jours plus tard, il était de retour à bord de sa réplique exacte du véhicule de Vadesh, sans guère d’observations à faire partager. Il s’installa ensuite dans la même routine que ses compagnons : des heures à lire assis, debout, immobile ou en marchant, les livres que les souris faisaient promptement apparaître, disparaître puis réapparaître à la demande, à la page exacte de la précédente consultation.

Leur quotidien ne se limitait pas aux seules lectures. Ils mangeaient aussi et échangeaient pendant – et entre – les repas. Umbo et Olivenko se montraient les plus enthousiastes, comme deux étudiants communiquant leur passion des études avec force gestes et paroles. Rigg aurait certainement fait de même si, plus jeune, Père n’avait calmé ses ardeurs. Au fond de la forêt, à quoi bon s’exciter seul face à son professeur ?

Il se sentait parfois agacé par les exclamations de ses deux fougueux camarades, mais prit conscience peu à peu du bénéfice qu’il avait, lui aussi, à tirer de leurs lectures, questions et conclusions. Il ne pouvait prétendre maîtriser leurs sujets sur le bout des doigts, mais connaissait en tout cas la teneur de leurs discussions sur certaines questions précises, et il enregistrait tout, si bien qu’il pourrait les questionner plus tard et se faire une idée de ce qu’eux savaient ou pas.

Param, de son côté, travaillait en silence et le faisait savoir quand on l’ennuyait. Rigg demanda un jour en secret à l’une des souris de lui apporter la dernière lecture de sa sœur. Il s’agissait de l’histoire des Sessamides. En fouinant un peu, le jeune curieux découvrit qu’elle avait aussi compilé l’avant et l’après de la dynastie ; en fait, toute l’histoire de l’entremur de Ram. Un monde dont elle avait été privée jusqu’ici et qui se dévoilait à elle par le récit de son histoire et de sa géographie.

En bon élève, Olivenko s’était immergé dans l’étude de la culture terrestre, mais bien antérieure à l’époque des Éclaireurs. Il avait focalisé ses recherches sur l’évolution de la race humaine, des premiers hommes à la naissance des nations en passant par les invasions barbares en réponse à un « besoin de savoir pourquoi les humains sont devenus ce qu’ils sont », à l’en croire…

Rigg nota que le garde parlait toujours des humains à la troisième personne du pluriel. Certes, les Enfants d’Odin étaient plus proches du singe, avec leurs jambes courtes terminées par des pieds préhenseurs, que de l’homme. Mais à leur arrivée, les Éclaireurs les classeraient tous sans hésitation dans la catégorie « humains ». Tous, sauf peut-être Miche, à cause de son parasite sur la tête. Mais Olivenko ne comptait dans son arbre généalogique aucun aïeul issu d’une branche un tant soit peu dévoyée de l’humanité, comme les tripoteurs de temps dont faisait partie Rigg. C’était donc un humain pur cru ; comment pouvait-il en douter ?

Et avec du recul, les yahous aussi. Il fallait un peu de temps pour se faire à leur morphologie ; à leurs foulées plus courtes, leurs courses plus lentes, leur allonge et leur force simiesque, avec lesquelles seul Miche pouvait rivaliser. Mais ils parlaient, pensaient, mangeaient et se comportaient, dans leurs relations tribales et réactions propres, comme des humains. Ils possédaient l’instinct de survie, mais aussi le sens du sacrifice dans l’intérêt de tous ; de la fierté et de l’ambition, mais bien cachées, pour ne pas se faire exclure du groupe. Des actes, pensées et règles de gouvernance en société en tout point identiques à celles des hommes, songea Rigg.