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— On ne sait pas si ce sont les Éclaireurs qui l’ont prise, contesta Olivenko.

— Les Livres du Futur mentiraient sur les Nettoyeurs ? mit en doute Rigg.

— Je pense que les mensonges ne manquent pas dans cet entremur, mais que les Livres du Futur disent vrai, au contraire. Je suggérais juste une seconde piste de réflexion : le fait que le premier groupe de Terriens ait été baptisé Éclaireurs et le second, Nettoyeurs. Ne faut-il pas y voir un indice que les humains venus détruire le Jardin sont différents des premiers visiteurs ?

— Il y aurait deux groupes distincts équipés de vaisseaux interstellaires ? tenta de comprendre Umbo.

— Pas forcément, développa Olivenko. Mais comment savoir si, entre les deux voyages, un coup d’État – ou une guerre, ou une révolution – n’a pas eu lieu ? Tout est possible. On peut imaginer les Éclaireurs revenant avec un compte rendu dithyrambique sur les colonies, mais se heurtant à une opposition xénophobe soudain investie du pouvoir. Opposition qui aurait tout juste eu le temps d’envoyer ses Nettoyeurs avant de se faire renverser par un autre camp favorable au Jardin, et finalement chagriné par sa destruction.

— Mais bien embêtée pour faire des excuses publiques, compléta Param, vu qu’il ne restait plus personne sur le Jardin pour les recevoir.

— Exactement, approuva Olivenko. Ce qui a décidé du sort du Jardin, ce ne sont peut-être pas les observations des Éclaireurs, mais la conjoncture terrestre. La question est : la xénophobie peut-elle placer ses partisans au pouvoir ? »

Rigg acquiesça.

« Ce ne sont pas les mieux armés d’un point de vue technologique, en général, mais il existe certaines cultures de masse qui incitent à la haine de tous ceux qui débordent de leur cadre culturel. Ces extrémistes sont toutefois bien surveillés depuis des siècles par les cultures éclairées, qui disposent de tout l’attirail pour.

— Tu as bien dit “éclairées” ? intervint Miche. Qui se permet de juger, maintenant ?

— Moi, admit Rigg. En me basant sur la seule norme qui vaille : les gens éclairés sont ceux qui n’ont aucune envie de détruire le Jardin, et les Nettoyeurs sont des barbares incultes. Je pense que tout le monde sera d’accord avec moi ? »

Les définitions furent approuvées à l’unanimité.

« Nous sommes des barbares incultes, fit observer Param. Rappelle-toi la cruauté de Mère et du Général Citoyen, le comportement de Vadesh – et le nôtre à l’égard de son crocheface. Les humains passent leur temps à se juger les uns les autres. Et à se faire la guerre quand ils se croient supérieurs.

— Pas tous, nuança Rigg.

— Si, tous ! insista Param. Sans exception.

— Pas moi, estima Rigg. Ni toi.

— Tu ne tuerais pas quelqu’un qui te saute dessus pour t’étrangler ? le défia Param.

— Ça s’appelle de la légitime défense, écarta Rigg.

— Mais Jésus, Gandhi et plein d’autres déclarent que l’homme n’a aucun droit d’invoquer la légitime défense, quelles que soient les circonstances, argua Param.

— Vérifie tes sources, l’invita Rigg. Mais je suis heureux d’apprendre que tu t’es plongée dans les écrits terrestres, toi aussi.

— Je les ai survolés, avoua Param. Mais peu importe. La nature humaine n’a pas changé, point. Quelle importance que les Éclaireurs et Nettoyeurs soient un seul et même groupe, ou deux entités différentes ? Dans tous les cas, le Jardin meurt.

— Ce que je voulais dire, clarifia Rigg, c’est qu’il faut se préparer à accompagner les Éclaireurs sur Terre.

— Génial, ironisa Param. Soit ils nous tuent, soit on reste bloqués là-bas, sans savoir si nos pouvoirs y seront d’une quelconque utilité.

— Je n’ai pas mieux à proposer pour l’instant, s’excusa Rigg, qui refusait de clore cette conversation sur une note aussi pessimiste. Mon idée est de faire le voyage avec eux, au risque de mourir là-bas, mais aussi dans l’espoir de changer les choses.

— Qu’est-ce qui te fait penser que les Éclaireurs nous feront une place à bord ? s’enquit Miche.

— Et toi, qu’est-ce qui te fait penser le contraire ? s’interposa Umbo.

— On a appris à traverser un Mur, on trouvera bien le moyen de s’infiltrer dans un vaisseau spatial, positiva Rigg.

— On a appris à maîtriser le temps, mais pas encore à voler, fit remarquer Param.

— Nous pourrions peut-être téléporter quelque chose à bord en utilisant une machine des Enfants d’Odin ? proposa Umbo. Un virus, par exemple. Quelque chose qui les tuerait. On montrerait aux Éclaireurs présents sur le Jardin ce qui est advenu de leurs équipages puis on reviendrait sauver tout le monde. Juste pour leur foutre la frousse…

— En quoi est-ce que ça les convaincrait de nous laisser la vie sauve ? s’enquit Miche. Je ne te suis pas bien, là. Pour moi, c’est la garantie de voir rappliquer les Nettoyeurs dare-dare. »

Umbo haussa les épaules et alla bouder dans son coin. Rigg était las de ce comportement puéril. Umbo ne supportait pas la moindre remarque mais ne se privait pas pour critiquer les autres. Une seule chose leur avait permis de ne pas s’embrouiller dernièrement : ne pas se croiser.

« Ce n’est pas si stupide comme idée, jugea pour sa part Olivenko. Elle demande juste à être peaufinée.

— Il n’y a rien à peaufiner, l’arrêta Rigg. Dès que les sacrifiables auront vent de ce que l’on trame, les orbiteurs détruiront l’entremur. Je vous rappelle que nous avons interdiction formelle de développer des armes.

— J’ai parlé d’un virus, rectifia Umbo, pas d’une arme.

— Un virus envoyé dans un vaisseau pour supprimer son équipage, on appelle ça une arme, insista Rigg. Ils ne se feront pas prier pour nous réduire en poussière.

— Parce que monsieur est devenu expert en psychologie robotique, peut-être ? s’emporta Umbo.

— Non, mais toi, oui », riposta Rigg.

Umbo se mordit la joue pour ne pas en rajouter. D’autant plus qu’il savait, pour les avoir étudiés en détail, que les ordinateurs de bord des premiers vaisseaux ne se laisseraient pas berner par une rhétorique du genre « Ce n’est pas une arme, c’est un virus ».

« Prenons le temps d’approfondir la question, suggéra Param.

— Non, refusa Umbo. Et quelle question ? Car il y a plus important que de savoir si on pourra ou non revenir sur le Jardin une fois partis. Nos pouvoirs fonctionnent-ils seulement sur Terre ?

— Pourquoi pas ? s’enquit Olivenko.

— Pour une raison très simple, rétorqua Umbo. Parce que nos pouvoirs sont liés à la surface de la planète. C’est la seule chose dont on soit à peu près sûrs à propos de nos sauts temporels.

— Dans l’aéronef de Vadesh, on ne touchait pas le sol, fit observer Param.

— Non, mais on n’a pas essayé de voyager dans le temps non plus », écarta Umbo.

Param grimaça.

« Et lorsqu’on a sauté du rocher ? tenta la princesse. Tout a parfaitement fonctionné, si tu te souviens bien.

— On ne s’est jamais éloignés de plus de deux mètres de la roche ! argumenta Umbo.

— C’est une bonne question, concéda Rigg. Mais l’aéronef n’aurait pas été un test probant, de toute façon, car il reste lié au Jardin par la gravité. Le problème de fond est le suivant : comme toutes les planètes du système solaire, le Jardin est en orbite autour du soleil, donc en mouvement perpétuel. Admettons que l’on décide de revenir six mois en arrière. Au cours de cette période, le Jardin aura parcouru la moitié de son orbite pour aller se positionner de l’autre côté du soleil. Et pourtant, à chaque saut, quelle que soit la durée choisie, nous revenons à notre point de départ sur le Jardin. Ce qui indique que les sauts ne se basent pas sur un référentiel absolu dans l’espace, mais relatif à la surface du Jardin. Notre pouvoir y est intimement lié. La question d’Umbo – qu’arrive-t-il si l’on quitte la surface du Jardin pour une autre planète ? – en soulève en fait un tas d’autres. Notre pouvoir est-il seulement effectif ailleurs ? Reste-t-il relatif à la surface du Jardin ? Une fois sur Terre, en un point distant de millions de kilomètres du Jardin, un saut dans le passé s’effectue-t-il toujours en relation avec notre planète de départ ? La Terre et le Jardin suivent des orbites tellement différentes… Dans une telle hypothèse, on se retrouverait à flotter dans le vide intersidéral. Sans oxygène et dans un froid glacial. »