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— Sur les déclarations de Saute-Nuages, qui vous considère comme tel.

— Mais cette personne n’est pas humaine.

— Plus que vous », fit remarquer Odsac.

Umbo souleva un pan de chemise et exhiba le manche incrusté de pierres de la dague.

« Reconnaissez-vous ce couteau ?

— Oui, admit Odsac.

— Ces gemmes reproduisent-elles fidèlement les pierres de commande ?

— Oui.

— Fidèlement, mais en plus petit ?

— Oui.

— Fonctionnent-elles de la même manière ?

— Oui.

— Le fait de les posséder pourrait-il faire de moi le commandant de ce vaisseau ?

— Si la place était vacante.

— Ce n’est pas le cas ?

— Rigg Sessamekesh commande tous les vaisseaux du Jardin, les orbiteurs et les sacrifiables.

— Donc ces pierres ne me servent à rien.

— Tant qu’il est en vie, non », confirma Odsac.

Une pensée macabre traversa l’esprit d’Umbo. Il la chassa rapidement.

« L’une de ces pierres permet de contrôler ce vaisseau-ci en particulier, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Imaginons que je ne contredise pas les ordres de Rigg Sessamekesh. Pourrais-je le suppléer au commandement de ce vaisseau ?

— S’il y consent.

— Mais il n’est pas humain, rappela Umbo.

— Ce statut n’est pas obligatoire pour commander ce vaisseau. »

Voilà déjà une faille intéressante. Continuons.

« Je suis un descendant de Ram Odin.

— Après onze mille années d’endogamie, tous les habitants des entremurs de Ram Odin le sont plus ou moins.

— Ram Odin était-il humain ?

— Oui.

— Ses enfants l’étaient-ils ?

— Oui.

— Comment s’appelaient-ils ? »

Odsac déclina l’identité des fils du commandant.

« Je vois où vous voulez en venir, déclara le sacrifiable.

— Leurs enfants étaient-ils humains ? reprit Umbo.

— Oui. Je vois où vous voulez…

— À partir de quelle génération ont-ils cessé de l’être ? le coupa Umbo.

— Je vois où vous voulez en venir.

— Acceptez-vous de les définir comme des humains ? Au regard de votre première définition ? » enfonça Umbo.

Une pause.

« Oui.

— Donc l’argument de continuité génétique prévaut sur l’argument de la souche mère déviante.

— Tout à fait, admit Odsac.

— Puis-je monter à bord maintenant ?

— Je vous en prie. »

Umbo s’engagea à pas comptés sur le pont, puis pressa l’allure.

Il ne perçut pas tant les pas du sacrifiable derrière lui que le déplacement d’air l’annonçant dans son dos. En revanche, il sentit très distinctement deux mains se plaquer dans son dos et le bousculer vers le vide !

Il rembobina en catastrophe le cours du temps de quelques secondes. Il se tenait désormais à l’endroit où le sacrifiable le saisirait par-derrière. Odsac apparaissait deux mètres derrière lui, avant qu’il ne s’élance, et le Umbo du présent un mètre devant tout le monde, visiblement surpris par l’apparition subite de son double.

Le sacrifiable ne l’était pas moins, malgré son air impassible.

« Lequel de nous deux préférez-vous tuer ? » lui lança Umbo.

Le premier Umbo se retourna pour faire face au sacrifiable. Puisque Odsac ne le poussait plus dans le vide, il n’avait plus besoin de revenir dans le passé. Les deux Umbo coexistaient côte à côte sur le pont.

Le Umbo revenu en arrière – le « vrai », comme il plaisait au jeune cordonnier de s’appeler dans de telles circonstances – recula de deux pas et se dédoubla à nouveau. Devant lui se tenaient désormais ses deux doubles, tous deux face à Odsac.

« Est-ce ainsi que Ram Odin s’est dupliqué ? poursuivit Umbo. Sacrifiable, n’obéissez à personne d’autre qu’à moi ! »

Odsac se figea.

Umbo en profita pour filer vers le sas d’entrée du vaisseau.

Une fois à l’intérieur, il se mit à courir.

Il connaissait par cœur le plan du vaisseau, savait exactement comment se rendre à la salle des commandes et, de la bouche de Rigg, comment utiliser les pierres. Laquelle était la bonne, en revanche, il l’ignorait.

Il s’avança dans le faisceau de contrôle, le manche du couteau brandi devant lui.

« La pierre de commande est-elle présente ?

— Affirmatif, résonna la voix du vaisseau.

— Rigg Sessamekesh m’a remis ce couteau, poursuivit Umbo. Je le supplée au commandement de ce vaisseau. »

La réponse se fit attendre.

« Rigg a-t-il avalisé cette procédure ?

— Est-ce la pierre de commande ?

— Affirmatif.

— Rigg Sessamekesh me l’a-t-il remise par le biais de ce couteau ?

— Affirmatif.

— Je le supplée au commandement de ce vaisseau », répéta Umbo.

Nouvelle hésitation.

« Suppléance confirmée.

— Ordonnez à tous les sacrifiables de ce vaisseau de m’obéir et de ne me faire aucun mal.

— Ordre transmis.

— Le sacrifiable est-il toujours sur le pont en compagnie des deux copies de moi-même ?

— Négatif, l’informa la voix. Il les a poussées dans le vide et se dirige à présent vers la salle de commandes. »

Umbo frissonna.

« Ordonnez-lui d’y pénétrer à reculons. Il ne doit pas me voir. »

Quelques secondes plus tard, Odsac entra en marche arrière dans la pièce.

« Stop », ordonna Umbo.

Le sacrifiable s’arrêta.

« Ce vaisseau ainsi que tous ses modules autonomes comprendront désormais par être humain : “Tout organisme descendant en droite ligne des colons du ou des vaisseaux commandés par Ram Odin lors de leur voyage interstellaire.” Est-ce clair ?

— Oui, répondit le sacrifiable.

— Affirmatif, confirma le vaisseau.

— Suis-je humain ?

— Oui, acquiescèrent les deux voix à l’unisson.

— Qui est autorisé à modifier cette définition ?

— Vous, répondirent de concert le vaisseau et le sacrifiable.

— Une seule réponse à la fois », exigea Umbo.

Un grésillement s’échappa de l’un des haut-parleurs, signalant la désactivation du synthétiseur vocal du vaisseau.

« Vous et Rigg Sessamekesh pouvez modifier cette définition, déclara Odsac.

— Qui d’autre ?

— Personne d’autre. »

Umbo savait qu’il n’en était rien. Mais il savait aussi que les ordinateurs ne pouvaient pas mentir.

« Existe-t-il une procédure permettant une telle modification sans l’aval de Rigg ?

— Oui, plusieurs.

— Pouvez-vous rendre ces procédures caduques ?

— Non.

— Le puis-je ?

— Oui », confirma le sacrifiable.

Ces réponses courtes ne rassuraient pas Umbo.

« Quelles seraient les conséquences d’un tel acte ?

— L’orbiteur exterminerait toute forme de vie à la surface du Jardin. »

Umbo soupira.

« Je m’en abstiendrai, dans ce cas. »

Odsac ne répondit rien.

« Odsac, tournez-vous et regardez-moi », ordonna Umbo.

Le sacrifiable se retourna.

« Vous m’avez déjà tué deux fois aujourd’hui.

— J’ai tué des copies non indispensables de vous-même, précisa Odsac. Elles ne devaient leur présence sur ce pont qu’à vos sauts temporels. Votre apparition a changé le cours des événements, en les empêchant de prendre l’initiative de tels sauts et donc de disparaître à leur tour.

— L’existence de ces copies est-elle limitée dans le temps ? s’enquit Umbo.