Il est de temps à autre autorisé à voyager en dehors de la planète de temps en temps, même s’il ne peut raconter à personne ce qu’il a vu. Et, rêve inaccessible pour beaucoup, il aura l’opportunité, s’il montre l’exceptionnel potentiel de ses neurones et travaille dur, de signer un contrat pour quitter définitivement la Terre.
Aimez-vous la musique classique ? Non ? Dommage… De toute façon, vous ne connaissez probablement pas les chansons de Joan Manuel Serrât. Un humain, catalan, du XXe siècle… C’est bien ce qu’il me semblait.
Ses enregistrements, presque oubliés aujourd’hui, sont le clou de ma collection. L’une des petites choses que je regretterai de laisser derrière moi, si vous donnez suite à ma requête…
Une de ses chansons, « Pueblo blanco », dit… Non, n’ayez pas peur, je ne vais pas vous la chanter. Mon sens du rythme et de la mélodie est proche de zéro. Je vais vous en réciter un passage.
C’est-à-dire, l’Exode. Vous connaissez la Bible ? Un petit peu ? Oui, les Juifs. La Terre Promise, tout ça…
Lorsqu’il disait malade, le chanteur parlait de la terre, avec une minuscule. Mais aujourd’hui, avec une majuscule, ses couplets s’avèrent prophétiques. Cette Terre est malade…
L’époque où nous croyions que le futur nous appartenait est loin derrière nous. Aujourd’hui, nous ne sommes plus maîtres de notre présent et la gloire du passé ne suffit pas pour vivre.
Artistes, sportifs, scientifiques… Tous les humains possédant des capacités physiques ou intellectuelles espèrent qu’elles leur serviront à quitter la Terre et à réussir ailleurs, quelque part dans la galaxie. Jusqu’à ce qu’ils doivent ravaler leur orgueil et boire l’amer calice de l’exil et de l’humiliation par les autres espèces.
Les femmes rêvent d’être assez belles et effrontées pour devenir travailleuses sociales, dans l’espoir de rencontrer un xénoïde qui les emmènera loin de leur monde pour toujours. Certains hommes en rêvent aussi.
Et les plus désespérés, ceux qui ne sont ni jeunes ni beaux, et n’ont aucun don particulier, ceux qui ne voient aucune autre échappatoire, préfèrent s’en remettre à la roulette russe de l’espace. Et affronter l’infinité du cosmos avec leurs vaisseaux de bric et de broc, se condamnant peut-être à flotter pour l’éternité en rêvant d’atteindre, un jour, un endroit meilleur que leur planète.
C’est encore la même chanson. Mais, dans les deux strophes, il ne s’agit pas du même lui. Le premier lui, c’est vous. Le second lui, c’est nous.
Quel est le futur d’une planète que les habitants rêvent tous de quitter ?
L’Exode. Fuir. C’est aujourd’hui l’obsession de tout humain. Fuir, si possible pour toujours, de la Terre épuisée, soumise, vaincue, stérile, malade. Et vous, les vainqueurs xénoïdes, les maîtres de la galaxie, êtes les virus de cette maladie.
Et vous me demandez comment j’ai été contaminé ?
« Qu’est-ce qui vous fait croire que nous vous trouverons apte à mériter la citoyenneté adoptive ? »
Lorsqu’un homme veut rompre avec son passé pour commencer une nouvelle vie, il doit choisir avec soin le où, le comment et le quand. Et parfois de petits détails prennent une grande importance.
Je vous ai choisis pour des questions d’affinité biologique. Ni les Colossiens ni les Gordiens ne sont humanoïdes. Parmi eux, ma vie serait beaucoup plus dure qu’au milieu des Cétiens ou des Centauriens. Mais vous, vous êtes beaux…
Oh, je ne me fais aucune illusion quant à mon succès auprès de vos jolies représentantes du sexe féminin. Je vous ai déjà dit que, même chez moi, je ne suis pas considéré comme un bel homme. Et bien qu’il soit exceptionnel, mon cerveau n’est apprécié d’aucune femelle, quelle que soit son espèce… Du moins au premier abord.
En vérité, j’ignore pourquoi… Peut-être que je possède des tendances masochistes. J’ai toujours été un paria, un étranger, qui prend part au jeu mais sait qu’il n’en fait pas partie. Parfois, j’ai été tenté d’ignorer ma différence, mais la réalité m’a rappelé à l’ordre. Et, même si je vis ici, à Ningando, au milieu de tant de beauté, je crois que je ne pourrai plus jamais faire semblant de l’oublier. Je suppose que cela doit vous paraître étrange, ce désir de se sentir être la seule personne qui ne soit pas heureuse au paradis…
Je vous ai également choisis parce que je suis un incorrigible romantique, je ne vais pas le nier. J’imagine qu’il y a des milliers de bordels d’esclaves dans cette ville, et peut-être des centaines de Cauldar. Mais je les visiterai un par un. En dépit de tout, j’ai l’espoir de retrouver Yleka vivante. Je suis sûr qu’elle se souviendra de moi… Peut-être aurons-nous une seconde chance. Ne croyez-vous pas que nous la méritons ?
« Êtes-vous sûr qu’aucun autre scientifique terrien n’a eu connaissance de votre découverte ? »
Je sais parfaitement que la politique de Tau Ceti est de ne pas accorder la citoyenneté à un humain qui arrive à genoux en pleurnichant. Mais je crois que vous ferez une exception pour moi…
Je connais les lois de quarantaine techno-scientifique qui ont tant retardé la science et la technologie terrestres. Je comprends parfaitement leur but, derrière toute la démagogie altruiste : nous disqualifier. Vous assurer que nous soyons éternellement des clients et non des producteurs. Des acheteurs et non des vendeurs. Dépendants, en un mot. Vous voulez nous écarter de la lutte galactique pour le pouvoir.
C’est pourquoi vous ne nous permettez pas de connaître les mécanismes de la fission thermonucléaire contrôlée, ni le fonctionnement des systèmes antigrav, ni la théorie du vol hyper-spatial…
Eh bien, imaginez-vous ce qui arriverait au délicat équilibre inter-espèces si les humains développaient soudain un système universel de transport instantané. Le chaos qui se déchaînerait si toutes les flottes de vaisseaux hyper-spatiaux que possèdent les xénoïdes devenaient soudain obsolètes.
J’ai créé ce système. Basé sur le télé-transport classique… mais avec la capacité de translater instantanément des masses virtuellement infinies entre des points séparés par des distances galactiques.
Pour l’installer, il n’est pas nécessaire de recourir à des quantités astronomiques d’énergie ni d’avoir de grandes connaissances. Un équipement similaire au point d’arrivée n’est pas obligatoire non plus, comme dans les systèmes connus jusqu’à présent. Quoique, pour rentrer, un tel système est indispensable… Mais on peut également l’envoyer par télé-transport. Le système est, pardonnez-moi mon manque de modestie, simplement génial. Ou génialement simple, si vous préférez.
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