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Streiger en personne.

Mon pote, c’est le génie de la lampe d’Aladin. Il empoigne le bonhomme comme si c’était un paquet de coton hydrophile et le fourre à l’arrière de notre tire. Tout ça sans se presser. Evidemment, la foule forme le cercle. Pour du beau spectacle, c’est du beau spectacle. Tout juste si les Péruviens n’applaudissent pas. Ils regardent, fascinés. D’aucuns sourient. Abdulah leur fait un salut de la main et se coule à la place passager.

Je décarre, les badauds s’écartent pour nous laisser le passage.

La radio nous apporte la voix paisible de Duck.

— Tout va bien ? demande-t-elle.

— Au poil.

— Je suis très près de vous et j’ai assisté à l’opération. Empruntez la petite rue sur la droite et suivez-la jusqu’au bout. Elle donne sur une avenue, prenez à droite. A partir de là vous m’apercevrez. Doublez-moi et attendez mes instructions, moi je vous couvrirai.

— Entendu.

Abdulah sort son arme et s’octroie une nouvelle sniffée de coke.

Puis retombe dans ses torpeurs orientales.

CHAPITRE III

Duck se balançait mollement dans un rocking-chair en fumant un Davidoff gros comme une baguette de pain. Impec dans son smok à col châle, le nœud pap’ bien d’aplomb, les vernis rutilants comme des carapaces de scarabées noirs, le pli du futal tranchant comme un coutelas, il défrimait Streiger à travers la fumée odorante de son barreau de chaise.

L’ex-nazi est allongé sur un lit somptueux, capitonné soie, dans les tons parme. Le soleil filtre à travers les volets, illuminant la pièce de ses doigts d’or, ainsi que le mentionnait poétiquement Leprince-Ringuet dans une lettre à la princesse Ringuet, son épouse.

Il fait doux, grâce à l’air conditionné qui mouline du suave en zonzonnant.

Je pose la revue médicale dans laquelle je lisais un article consacré à la chaude pisse des gardes-barrières.

Streiger a repris conscience et, les yeux béants, s’imprègne de son environnement.

Evidemment, il ne pige pas. Tout a été si rapide ! Sa fuite, travesti en bonne femme, par le sentier de dégagement… Sa chute. Des hommes qui le ramassent et l’embarquent dans la grosse tire ricaine. Puis le coup de main au cours duquel il est envapé.

— Comment vous sentez-vous, monsieur Streiger ? s’informe Duck après avoir retiré son obus de sa bouche.

L’autre ne cille pas. Ses yeux clairs se posent sur son interlocuteur.

— Ç’a été moins une, n’est-ce pas ? continue Superman.

Streiger attend toujours. Son calme n’est qu’apparent, il pue la frousse. La trouille a toujours une odeur un peu acide. Je le trouve vieux, avachi, vaguement corrompu par son exil au soleil. Plus de quarante piges de traque, ça délabre un bonhomme. M’est avis qu’il doit biberonner, l’ancien nazi. Son foie, s’il connaît pas, les présentations vont pas tarder ; ça se lit sur son teint jaune et ses yeux couleur jonquille. La cirrhose rôdaille autour de lui, comme un chat autour d’une pièce d’eau bourrée de poissons rouges.

— Avez-vous une idée de ce qui vient de se passer, monsieur Streiger ? demande Duck.

L’autre décolle enfin sa langue de son palais.

— On m’a enlevé, fait-il d’une voix neutre.

Il parle l’anglais avec l’accent espagnol, cet Allemand, curieux, non ?

— Dans un premier temps, oui. Les services secrets israéliens étaient parvenus à vous retrouver et à vous kidnapper de manière assez vive ; seulement, dans un deuxième temps, je vous ai arraché de leurs griffes.

L’Allemand ne paraît pas rassuré pour autant.

— Pourquoi ? interroge-t-il.

Bonne question à cent sols[3].

Pas fou, le bourdon. Il se gaffe bien que nous n’avons pas pris de tels risques pour jouer Fort Apache en 16 millimètres.

— Pour vous arracher à une mort certaine, monsieur Streiger. Vous connaissez le processus avec les Israéliens ? On vous planque pendant un certain temps à l’ambassade, puis on vous drogue pour vous loger dans une malle diplomatique. Et c’est Jérusalem ! Tribunal, cage de verre, sentence, pendaison. Ils ont des circonstances atténuantes : six millions de morts, ça vous reste longtemps en travers de la gorge.

— Pourquoi ma vie vous intéresse-t-elle ? insiste Streiger.

Duck sourit.

— Parce qu’elle constitue une solide monnaie d’échange. Si vous avez eu le courage d’exister dans de telles conditions pendant près d’un demi-siècle, c’est que vous y tenez, soyons logiques.

— Et vous me l’échangeriez contre quoi ?

Duck se remet à tirer sur le Davidoff, en arrache une goulée de fumaga épaisse comme celle qui flottait au-dessus du Creusot jadis.

— Je vous fais un bref résumé de la situation : Berlin, 1945. L’Allemagne s’écroule, Hitler se suicide. C’est le sauve-qui-peut. En homme prévoyant, vous vous êtes préparé une fausse identité, mais vous savez qu’elle ne sera pas suffisante et que, si vous restez dans votre pays, dans les mois qui viendront vous serez démasqué, pris, jugé et exécuté. Alors, vous tentez le tout pour le tout. Sous votre faux nom, vous allez trouver les autorités américaines d’Occupation. Vous leur dites être en possession d’une certaine invention du docteur Karl Bruckner, chimiste réputé du Troisième Reich. Vous fournissez, comme preuves de ce que vous avancez, certains éléments qui convainquent les Ricains.

« Ils traitent avec vous, vous assurent le droit d’asile aux U.S.A. en échange de l’invention en question. Vous avez prétendu que ladite se trouvait déjà sur le sol américain et que vous seul pouviez l’y récupérer. Une fois en Amérique, vous blousez somptueusement les Amerloques et disparaissez. Beau travail d’évaporation. La souris qui tire un bras d’honneur au chat en lui filant d’entre les pattes ! Les Yankees ont beau mobiliser vingt bonshommes pour vous retrouver, c’est l’échec. Et le temps passe.

« Quelques années plus tard, les Israéliens ouvrent la chasse aux criminels nazis. Ils sont pugnaces. Le temps ne désamorce pas leur volonté. Vous êtes en bonne place sur la liste des gens à récupérer et ils vous retrouveront. Seule votre mort pourrait vous sauver, si je puis dire. Ils la prennent de vitesse et finissent par lever votre piste. C’est là que nous intervenons, nous, gens plus prosaïques. »

— Qui êtes-vous ?

— Des marginaux tout terrain auxquels certains gouvernements font appel pour régler des questions particulièrement délicates. En l’occurrence, comme nous avons un système d’information très poussé, nous avons su ce que les Israéliens préparaient contre vous. Alors nous les avons mis sous surveillance. Double enquête simultanée : eux s’occupaient de vous, et nous d’eux. Conclusion, vous voilà des nôtres.

Duck roule amoureusement son cigare entre ses doigts de chirurgien (ou de pianiste). C’est un jouisseur délicat.

— Quelle est votre proposition ? finit par s’inquiéter Streiger, de plus en plus mal à son aise.

— Vous l’avez déjà deviné : les travaux de Karl Bruckner contre votre peau.

— Je ne suis pas en mesure de vous les remettre et ne l’ai jamais été. Mon contact avec les Américains, en 45, c’était un coup de bluff. Je n’ai jamais disposé d’autre chose que des éléments que je leur ai soumis.

— En ce cas, dommage pour vous. Mais quoi, il faut bien faire une fin, monsieur Streiger. Quarante et quelques années de sursis, ce fut bon à prendre, n’est-ce pas ?

— Qu’allez-vous faire ?

— Vous reconduire à votre domicile.

Duck se tourne vers moi.

— Fausse manœuvre, mon cher, me dit-il. Inclinons-nous ! Vous allez avec Abdulah emmener M. Streiger chez lui.

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3

Le sol est l’unité monétaire péruvienne.