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Comme un double ruban la caravane ondoie, Bruit étrangement, et par le ciel déploie Son grand triangle ailé qui va s'élargissant.
Mais leurs frères captifs répandus dans la plaine, Engourdis par le froid, cheminent gravement. Un enfant en haillons en sifflant les promène, Comme de lourds vaisseaux balancés lentement. Ils entendent le cri de la tribu qui passe, Ils érigent leur tête ; et regardant s'enfuir Les libres voyageurs au travers de l'espace, Les captifs tout à coup se lèvent pour partir. Ils agitent en vain leurs ailes impuissantes, Et, dressés sur leurs pieds, sentent confusément, À cet appel errant se lever grandissantes La liberté première au fond du cœur dormant, La fièvre de l'espace et des tièdes rivages. Dans les champs pleins de neige ils courent effarés, Et jetant par le ciel des cris désespérés Ils répondent longtemps à leurs frères sauvages.

Découverte

J'étais enfant. J'aimais les grands combats, Les Chevaliers et leur pesante armure, Et tous les preux qui tombèrent là-bas Pour racheter la Sainte Sépulture.
L'Anglais Richard faisait battre mon cœur Et je l'aimais, quand après ses conquêtes Il revenait, et que son bras vainqueur Avait coupé tout un collier de têtes.
D'une Beauté je prenais les couleurs, Une baguette était mon cimeterre ; Puis je partais à la guerre des fleurs Et des bourgeons dont je jonchais la terre.
Je possédais au vent libre des cieux Un banc de mousse où s'élevait mon trône ; Je méprisais les rois ambitieux, Des rameaux verts j'avais fait ma couronne.
J'étais heureux et ravi. Mais un jour Je vis venir une jeune compagne. J'offris mon cœur, mon royaume et ma cour, Et les châteaux que j'avais en Espagne.
Elle s'assit sous les marronniers verts ; Or je crus voir, tant je la trouvais belle, Dans ses yeux bleus comme un autre univers, Et je restai tout songeur auprès d'elle.
Pourquoi laisser mon rêve et ma gaieté En regardant cette fillette blonde ? Pourquoi Colomb fut-il si tourmenté Quand, dans la brume, il entrevit un monde.

L'oiseleur

L'oiseleur Amour se promène Lorsque les coteaux sont fleuris, Fouillant les buissons et la plaine ; Et chaque soir sa cage est pleine Des petits oiseaux qu'il a pris.
Aussitôt que la nuit s'efface Il vient, tend avec soin son fil, Jette la glu de place en place, Puis sème, pour cacher la trace, Quelques brins d'avoine ou de mil.
Il s'embusque au coin d'une haie, Se couche aux berges des ruisseaux, Glisse en rampant sous la futaie, De crainte que son pied n'effraie Les rapides petits oiseaux.
Sous le muguet et la pervenche L'enfant rusé cache ses rets, Ou bien sous l'aubépine blanche Où tombent, comme une avalanche, Linots, pinsons, chardonnerets.
Parfois d'une souple baguette D'osier vert ou de romarin Il fait un piège, et puis il guette Les petits oiseaux en goguette Qui viennent becqueter son grain.
Étourdi, joyeux et rapide, Bientôt approche un oiselet : Il regarde d'un air candide, S'enhardit, goûte au grain perfide, Et se prend la patte au filet.
Et l'oiseleur Amour l'emmène Loin des coteaux frais et fleuris, Loin des buissons et de la plaine, Et chaque soir sa cage est pleine Des petits oiseaux qu'il a pris.

L'aïeul

L'aïeul mourait froid et rigide. Il avait quatre-vingt-dix ans. La blancheur de son front livide Semblait blanche sur ses draps blancs. Il entr'ouvrit son grand œil pâle, Et puis il parla d'une voix Lointaine et vague comme un râle, Ou comme un souffle au fond des bois.
Est-ce un souvenir, est-ce un rêve ? Aux clairs matins de grand soleil L'arbre fermentait sous la sève, Mon cœur battait d'un sang vermeil. Est-ce un souvenir, est-ce un rêve ? Comme la vie est douce et brève ! Je me souviens, je me souviens Des jours passés, des jours anciens ! J'étais jeune ! je me souviens !
Est-ce un souvenir, est-ce un rêve ? L'onde sent un frisson courir À toute brise qui s'élève ; Mon sein tremblait à tout désir. Est-ce un souvenir, est-ce un rêve, Ce souffle ardent qui nous soulève ? Je me souviens, je me souviens ! Force et jeunesse ! ô joyeux biens ! L'amour ! l'amour ! je me souviens !
Est-ce un souvenir, est-ce un rêve ? Ma poitrine est pleine du bruit Que font les vagues sur la grève, Ma pensée hésite et me fuit. Est-ce un souvenir, est-ce un rêve Que je commence ou que j'achève ? Je me souviens, je me souviens ! On va m'étendre près des miens ; La mort ! la mort ! je me souviens !

Désirs

Le rêve pour les uns serait d'avoir des ailes, De monter dans l'espace en poussant de grands cris, De prendre entre leurs doigts les souples hirondelles, Et de se perdre, au soir, dans les cieux assombris.