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D'autres voudraient pouvoir écraser des poitrines En refermant dessus leurs deux bras écartés ; Et, sans ployer des reins, les prenant aux narines, Arrêter d'un seul coup les chevaux emportés.
Moi, ce que j'aimerais, c'est la beauté charnelle : Je voudrais être beau comme les anciens dieux, Et qu'il restât aux cœurs une flamme éternelle Au lointain souvenir de mon corps radieux.
Je voudrais que pour moi nulle ne restât sage, Choisir l'une aujourd'hui, prendre l'autre demain ; Car j'aimerais cueillir l'amour sur mon passage, Comme on cueille des fruits en étendant la main.
Ils ont, en y mordant, des saveurs différentes ; Ces arômes divers nous les rendent plus doux. J'aimerais promener mes caresses errantes Des fronts en cheveux noirs aux fronts en cheveux roux.
J'adorerais surtout les rencontres des rues, Ces ardeurs de la chair que déchaîne un regard, Les conquêtes d'une heure aussitôt disparues, Les baisers échangés au seul gré du hasard.
Je voudrais au matin voir s'éveiller la brune Qui vous tient étranglé dans l'étau de ses bras ; Et, le soir, écouter le mot que dit tout bas La blonde dont le front s'argente au clair de lune.
Puis, sans un trouble au cœur, sans un regret mordant, Partir d'un pied léger vers une autre chimère. – Il faut dans ces fruits-là ne mettre que la dent : On trouverait au fond une saveur amère.

La dernière escapade

I

Un grand château bien vieux aux murs très élevés. Les marches du perron tremblent, et l'herbe pousse, S'élançant longue et droite aux fentes des pavés Que le temps a verdis d'une lèpre de mousse. Sur les côtés deux tours. L'une, en chapeau pointu, S'amincit dans les airs. L'autre est décapitée. Sa tête fut, un soir, par le vent emportée ; Mais un lierre, grimpé jusqu'au faîte abattu, S'ébouriffe au-dessus comme une chevelure, Tandis que, s'infiltrant dans le flanc de la tour, L'eau du ciel, acharnée et creusant chaque jour, L'entr'ouvrit jusqu'en bas d'une immense fêlure. Un arbre, poussé là, grandit au creux des murs, Laissant voir vaguement de vieux salons obscurs, Chaque fenêtre est morne ainsi qu'un regard vide. Tout ce lourd bâtiment caduc, noirci, fané, Que la lézarde marque au front comme une ride, Dont s'émiette le pied, de salpêtre miné, Dont le toit montre au ciel ses tuiles ravagées, À l'aspect désolé des choses négligées.
Tout autour un grand parc sombre et profond s'étend ; Il dort sous le soleil qui monte et l'on entend, Par moments, y passer des rumeurs de feuillages, Comme les bruits calmés des vagues sur les plages, Quand la mer resplendit au loin sous le ciel bleu. Les arbres ont poussé des branches si mêlées Que le soleil, jetant son averse de feu, Ne pénètre jamais la noirceur des allées. Les arbustes sont morts sous ces géants touffus, Et la voûte a grandi comme une cathédrale ; Il y flotte une odeur antique et sépulcrale, L'humidité des lieux où l'homme ne va plus.
Mais sur les hauts degrés du perron qui dominent Les longs gazons qu'au loin de grands arbres terminent, Des valets ont paru, soutenant par les bras Deux vieillards très courbés qui vont à petits pas. Ils traînent lentement sur les marches verdies Les hésitations de leurs jambes roidies, Et tâtent le chemin du bout de leur bâton. Très vieux, – l'homme et la femme, – et branlant du menton, Ils ont le front si lourd et la peau si fanée Qu'on ne devine pas quel pouvoir enfonça Aux moelles de leurs os cette vie obstinée. Affaissés dans leurs grands fauteuils on les laissa, Pliés en deux, tremblant des mains et de la tête. Ils ont baissé leurs yeux que la vieillesse hébète, Et regardent tout près, par terre, fixement. Ils n'ont plus de pensée. Un long tremblotement Semble seul habiter cette décrépitude, Et s'ils ne sont pas morts, c'est par longue habitude De vivre à deux, tout près l'un de l'autre toujours, Car ils n'ont plus parlé depuis beaucoup de jours.

II

Mais un souffle de feu sur la plaine s'élève. Les arbres dans leurs flancs ont des frissons de sève, Car sur leurs fronts troublés le soleil va passer. Partout la chaleur monte ainsi qu'une marée Et, sur chaque prairie, une foule dorée De jaunes papillons flotte et semble danser. Épanouie au loin la campagne grésille, C'est un bruit continu qui remplit l'horizon, Car, affolé dans les profondeurs du gazon, Le peuple assourdissant des criquets s'égosille. Une fièvre de vie enflammée a couru, Et rajeuni, tout blanc dans la chaude lumière, Ainsi qu'aux premiers jours d'un passé disparu, Le vieux château reprend son sourire de pierre.
Alors les deux vieillards s'animent peu à peu : Ils clignotent des yeux et, dans ce bain de feu, Les membres desséchés lentement se détendent ; Leurs poumons refroidis aspirent du soleil, Et leurs esprits, confus comme après un réveil, S'étonnent vaguement des rumeurs qu'ils entendent. Ils se dressent, pesant des mains sur leur bâton. L'homme se tourne un peu vers son antique amie, La regarde un instant et dit : « Il fait bien bon. » Elle, levant sa tête encor tout endormie Et parcourant de l'œil les horizons connus, Lui répond : « Oui, voilà les beaux jours revenus. » Et leur voix est pareille au bêlement des chèvres. Des gaietés de printemps rident leurs vieilles lèvres ; Ils sont troublés, car les senteurs du bois nouveau Les traversent parfois d'une brusque secousse, Ainsi qu'un vin trop fort montant à leur cerveau. Ils balancent leurs fronts d'une façon très douce Et retrouvent dans l'air des souffles d'autrefois. Lui, tout à coup, avec des sanglots dans la voix : « C'était un jour pareil que vous êtes venue Au premier rendez-vous, dans la grande avenue. » Puis ils n'ont plus rien dit ; mais leurs pensers amers Remontaient aux lointains souvenirs du jeune âge, Ainsi que deux vaisseaux, ayant passé les mers, S'en retournent toujours par le même sillage. Il reprit : « C'est bien loin, cela ne revient pas. Et notre banc de pierre, au fond du parc, – là-bas ? » La femme fit un saut comme d'un trait blessée : « Allons le voir », dit-elle, et, la gorge oppressée, Tous deux se sont levés soudain d'un même effort !