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Le voyage fut long et se passa sans incidents notoires, sauf quelques chaudes alertes quand, lors d’un contrôle de police, on visita la cargaison à coups de baïonnette (Tieng Bong eut son corsage troué), et aussi à l’arrivée, quand il fallut que la chère maman de Li Pût fasse une pipe au contremaître chargé du déchargement (ça tombait bien, en somme !).

Les deux femmes passèrent un mois à Canton. Tieng Bong subsistait en se livrant à une discrète prostitution. Ce lui fut aisé compte tenu de ce qu’elle avait fait sa préparatoire avec les gentils routiers.

La prostitution mène à tout, à condition d’y rester. En très peu de temps, Tieng Bong eut, grâce à ses fesses, de l’argent et des relations, et mon vieux, crois-moi, avec ces deux atouts, pour peu que tu aies, en sus, la santé et ta carte du parti communiste en poche, t’es vachement paré pour affronter la suite.

Grâce à la complicité d’un chef de train, elle put prendre celui qui unit la Chine Populaire aux Nouveaux Territoires et passer la frontière avec Li Pût, toutes deux cachées dans une caisse contenant des canards en roseau peint, si décoratifs dans les séjours des maisons de vacances européennes. Les deux femmes parvinrent à Hong Kong sans coup férir ni trop d’encombre et encore moins barguigner ou ambages, voire espoir de retour. Ouf !

Une fois dans l’île, au cœur des gratte-ciel, Tieng Bong comprit que l’avenir lui appartiendrait pendant un certain temps.

Continuant, sur sa lancée, à user d’un cul que le veuvage lui avait rendu disponible, elle poursuivit l’exploitation de cette chère vieille industrie, l’enrichissant de tout ce que les techniques anciennes et modernes proposent à la femme surdouée pour faire reluire ses contemporains. Cela allait de la poudre de cantharide mélangée à des testicules de pigeon, jusqu’au bloc complet de vibromasseurs performants, à fiches adhésives, courant à basse tension, ailettes de sustentation, godemiché à pénétration différée, j’en passe et des presque meilleures !

Dans cette cité tentaculaire où la vie ne s’interrompt jamais, où les chantiers, la nuit, sont mieux éclairés que des terrains de football, le jour, Tieng Bong se fit rapidement une forte réputation parmi : la colonie britannique, les hommes d’affaires chinois, les diplomates internationaux.

Rapidement, elle dut agrandir son fonds de commerce, non pas en usant d’une bitte d’amarrage, mais en engageant d’exquises créatures qu’elle dressait patiemment. Elle eut bientôt un cheptel d’une douzaine d’adolescentes triées sur le plumard, toutes plus ravissantes l’une que l’autre, qu’elle menait à la braguette à la baguette. Ces jeunes filles, représentatives des principales races de la planète, savaient tout et davantage sur le bigoudi farceur et la manière de faire pleurer le borgne.

Ainsi donc — ô merveilleux conte de fées ! — , cette pauvre femme naguère résignée, battue, brimée, qui s’étiolait contre un bol de riz dans sa teinturerie géante, devint, en quelques années, une dame appréciée, riche et adorée des flics qu’elle arrosait copieusement, comme un jardinier marocain arrose les massifs du bon roi Hassan II.

Elle possédait un appartement de huit cents mètres carrés au sommet d’un building de grand standinge, des domestiques, une Rolls couleur bronze dont la portière avant droite portait son monogramme. Elle achetait ses toilettes chez les grands couturiers français et italiens, ses bijoux chez Cartier ou Bulgari et ses poudres aphrodisiaques dans une humble boutique du quartier le plus populeux, tenue par un Chinois vétuste, à barbe blanche en pointe, à lunettes cerclées de fer, si parcheminé et si vénérable qu’il paraissait éternel.

L’homme s’appelait Fou Tû Kong. Il joua un grand rôle dans l’existence de mon héroïne et c’est pourquoi le grand romancier que je suis va s’attarder quelque peu sur ce personnage hors du commun.

Il y aurait un livre à écrire sur la vie de Tieng Bong à Hong Kong, mais comme on dit à Privas : écrire c’est l’art des choix. Je m’en tiendrai donc à celle de Li Pût puisque nos deux existences furent amenées à se croiser, et même à s’entremêler quelque peu.

Mais assez de boniment à la graisse de cheval mécanique : revenons au vénérable Fou Tû Kong.

Sa minable officine où s’empilaient des fioles, des boîtes et d’extraordinaires denrées de sorcières, était située au bout d’une ruelle donnant dans Cat Street. Elle mesurait tout juste trois mètres sur deux et ressemblait au cauchemar d’un drogué. Derrière la vitre opacifiée par la crasse, on apercevait des serpents, des crapauds et des chauves-souris desséchés. Des tiroirs minuscules étaient emplis de petites langues d’on ne savait trop quels animaux, également desséchées (ce qui est triste pour une langue, Béru te le dira !). Et je te passe la partie plantes, la partie insectes réduits en poudre, de même que des liquides aux teintes verdâtres qui ne laissaient rien présager de bon. Le vieillard était plus desséché que le plus desséché de ses produits.

Il portait un costume chinois noir et jaune et passait son temps assis à l’intérieur de son échoppe, le nez chaussé de fines lunettes cerclées d’or, à lire des grimoires qu’il annotait parfois à l’aide d’un long crayon. Il avait peu de clients. Ceux-ci étaient variés. Cela allait de la vieille femme édentée et loqueteuse en quête d’un vésicatoire pour son eczéma, à l’homme d’affaires cossu descendu de sa Mercedes et que son chauffeur attendait en double file pendant qu’il faisait l’emplette d’aphrodisiaques efficaces.

Les recettes journalières de Fou Tû Kong n’excédaient jamais dix HK$ et, pourtant, ce vieillard parcheminé, presque momifié, possédait seize buildings, dont le plus petit comportait vingt étages, deux hôtels de luxe, une compagnie d’aviation privée, une flottille de sampans, et un portefeuille d’actions se montant grosso modo à cinq cents millions de dollars américains.

Car la minable boutique para-pharmaceutique n’était qu’une façade, si l’on peut dire, l’antre au sein duquel M. Fou Tû Kong dirigeait un tong très puissant ayant des ramifications jusqu’aux U.S.A. Cette organisation se consacrait à deux activités très différentes : le trafic de la drogue et l’espionnage. La seconde permettait au Sou Pô Lai Tong d’organiser la première avec un maximum de sécurité.

Au début de ses visites au vieux mec, Tieng Bong lui acheta des denrées propres à ranimer, voire à simplement stimuler les ardeurs de ses habitués.

Lorsque sa réputation fut solidement établie, Fou Tû Kong eut avec elle une conversation « en profondeur » d’où il ressortit qu’il lui enverrait certains clients auxquels elle devrait faire absorber certaines poudres pour, ensuite, leur faire poser certaines questions dont certains appareils sophistiqués enregistreraient les réponses.

Tieng Bong accepta, compte tenu des « primes » qui lui étaient garanties. Elle s’en trouva bien. Son boxon connut alors un essor qui en fit le premier lupanar de Hong Kong et, de loin, le mieux achalandé. Elle devint une reine de l’île. Bravo !

Tandis qu’elle faisait carrière dans le pain de fesses, sa fille grandissait et étudiait. Li Pût était une adolescente ravissante et surdouée. Son intelligence impressionnait autant que sa beauté. Elle connaissait les activités de sa petite maman et ne s’en formalisait pas, ayant l’esprit pratique. Elle appréciait le luxe et trouvait bons tous les moyens permettant de l’obtenir.

Ses examens ne furent que de simples formalités. Lorsqu’elle atteignit l’âge de dix-huit ans, la question de sa carrière se posa. Elle envisageait la médecine et cette inclination ravissait Tieng Bong. Les parents rêvent tous d’avoir un enfant docteur. Pourtant, avant que Li Pût prenne son inscription à la fac, sa mère tint à ce qu’elle fasse la connaissance du vieux Fou Tû Kong. Tieng Bong vénérait cet homme puissant et humble ; elle le tenait pour un sage et ne prenait jamais de grandes décisions sans lui demander conseil. Le bonhomme la guidait toujours avec une grande sûreté car ses jugements étaient chaque fois pertinents.