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Li Pût fut donc reçue à l’officine de Cat Street. Elle passa près de deux heures dans l’échoppe poussiéreuse où flottait une abominable odeur de poissons en décomposition. Fou Tû Kong ne la fit pas asseoir car il n’y avait qu’un seul siège dans sa boutique et il l’occupait. Elle endura, debout, soumise et attentive, le questionnaire du vieillard, répondant à ses questions avec toute la franchise dont peut être capable une femme lorsque ses intérêts sont en cause.

Ce qu’ils se dirent, nul ne le sut jamais. Ce fut un secret entre eux deux. Toujours est-il qu’en rentrant chez elle, Li Pût déclara à sa mère qu’elle renonçait à la médecine pour se consacrer à la prostitution.

Tieng Bong en conçut une légère déception, mais cette décision la flatta. Ce qui la ravit surtout, ce fut d’apprendre que Fou Tû Kong dirigerait lui-même la carrière de la petite. Il voulait, assurait-il, faire d’elle l’une des premières courtisanes du monde. Il avait tracé un programme concernant son apprentissage. Pour commencer, elle serait déflorée par Bi Tan Nôr, le meilleur pointeur chinois connu.

Bi Tan Nôr était un péripatéticien dont les dames de la bonne société se racontaient les prouesses autour du pot of tea. Sa science de la baise était telle qu’on venait des cinq continents pour le pratiquer. Son carnet de rendez-vous était plein douze ans à l’avance et l’on avait tourné des documentaires sur sa manière de faire l’amour. Il était célèbre et riche comme le plus grand des matadors ou des ténors. Une dame honorée par lui n’avait dès lors jamais plus le même comportement sexuel, même si leur étreinte avait été unique.

Donc, Bi Tan Nôr serait le premier. Et quel premier ! Ensuite, Li Pût passerait un an dans la meilleure école de prostitution de Bangkok, puis six mois à l’Institut des Langues Fourrées Orientales de Barbès-Rochechouart à Paris. Après quoi, elle serait confiée au professeur Kû Ra So, un mandarin éminent, détenteur de certains secrets millénaires concernant la sexualité.

Li Pût respecta ce programme à la lettre, devenant ainsi la putain number one du monde occidental.

Voici, succinctement tracé, le curriculum de mon héroïne, de sa naissance à sa vie professionnelle. Il ne me reste qu’un détail folklorique à ajouter : c’est au cours de son stage à Paris que ses condisciples françaises lui donnèrent son surnom, transformant ainsi Li Pût en Lili Pute.

SES DONS

— Vous reprendrez bien encore une larme de sherry, chérie ? demanda Lord Oldbarbon.

Lili Pute tempéra sa dénégation d’un sourire fabuleux.

Le vieux sir, qui était un triste sire, d’ordinaire, ressentit dans ses soubassements quelque chose qui ressemblait à de l’émoi et à de l’électricité sous-cultanné. Elle entrouvrit ses lèvres comme s’il se fût agi de celles de son sexe, sauf qu’on voyait ses dents éclatantes comme des perles.

— Un verre de plus et je serais ivre, très cher, dit-elle ; ce serait dommage pour vous car je perdrais alors une partie de mes moyens.

Le lord toussota derrière sa moustache grise, effilée des pointes comme des cornes de toro.

Il avait un visage noble, marqué de couperose, le regard clair et distant, des fanons en cascade sur le col immaculé de sa chemise.

Il « s’encoublait » dans sa bonne éducation ; chaque fois qu’il projetait de se respirer une gerce, les mots et les gestes appropriés lui faisaient défaut au moment de la charge héroïque. Au cours de son existence exemplaire, Lord Oldbarbon avait massacré du Noir, du Blanc, du Jaune, du bistre entre deux tasses de thé et sans se départir de son air d’aristocrate qui se fait chier. Par contre, les femelles lui avaient donné plus de fil à retordre que les panzer divisions ou les émeutiers de Calcutta ; principalement celles qui sont « faites exprès pour », c’est-à-dire les dames qu’on n’émeut pas avec le chant du rossignol, le coucher du soleil sur le Bosphore ou les lacs limpides du Connemara. Il raffolait des putes mais manquait du langage approprié pour communiquer avec elles. Il existe toujours, à un moment ou à un autre, une certaine brutalité d’expression dans la conversation avec une dame venue vous lécher les couilles et à qui il faut demander un devis pour cette opération.

Son vieux camarade, le colonel Mac Heuband, un incorrigible soudard, avait été plus qu’ébloui par les prestations de Lili Pute et la lui avait recommandée avec tant de lyrisme, lui qui ne parlait que par onomatopées, que Lord Oldbarbon s’était offert la croisière pour le septième ciel avec la Chinoise.

A présent, après un souper délicat en son domaine de Branlbit’s Castle, le moment était venu d’attaquer le vif du sujet.

Il avait beau se ramoner le gosier et s’offrir une rincelette de sherry supplémentaire, il ne trouvait à exprimer que des couacs. Certes, la fabuleuse Asiatique était venue « pour ça ». Il n’y avait donc pas plus de gêne à lui demander ses prix qu’à son boucher celui de l’entrecôte. Mais l’éducation du lord regimbait devant ce marchandage.

Heureusement, Lili Pute ne connaissait pas de l’homme que sa braguette ; elle possédait une psychologie de grand psychiatre. Devinant l’embarras de son « client », elle lui prit la main délicatement, se mit à la caresser et chuchota :

— Je sais que vous souffrez mille morts, Honorable, aussi je veux abréger vos affres. Vous allez me conduire dans une chambre discrète où nous nous livrerons à toutes les folies qui me passeront par la tête, et, croyez-moi, elles sont plus nombreuses que les autos regagnant London un lundi soir de Pâques. Au matin, si cette nuit vous a laissé un bon souvenir, vous m’en remettrez un dans une enveloppe, à votre convenance. J’accepte toutes les monnaies, sauf le zloty polonais, le leu roumain, le won nord-coréen, et le lek albanais ; je prends bien entendu les chèques, qu’ils soient au porteur ou nominatifs, et les cartes de crédit usuelles. Il m’est même arrivé d’être récompensée de mes prestations par des bijoux de famille, voire des œuvres d’art.

Ce langage direct, et néanmoins discret, dissipa la gêne de Lord Oldbarbon.

Ne voulant pas copuler dans sa chambre où il avait pratiqué sa défunte femme, engendrant de ce fait trois enfants, il emmena Lili Pute dans une pièce sous les combles, mansardée, tapissée de cretonne printanière et sans grand confort, mais dans laquelle il avait connu des instants délicats avec la gouvernante suisse de ses enfants, Fräulein Betty Müllener qui était blonde, confortable et sentait la charcuterie de luxe.

Lili Pute montrait trop de tact en toute circonstance pour se formaliser de la modestie du lieu et de son exiguïté. Elle n’ignorait point combien les mâles sont perméables à leurs fantasmes et se montrait d’une grande indulgence. Il lui était arrivé de faire l’amour dans une cabine téléphonique, souvent en voiture et même, une fois, dans un cercueil, ce qui réduisait par trop le champ des ébats.

Elle prétendit trouver la chambrette poétique et assura qu’elle incitait au dévergondage. Le lord en fut rasséréné ; décidément, Mac Heuband ne l’avait pas dupé : sa visiteuse était une catin de grand style. Sa délicatesse chinoise aplanissait la moindre difficulté.

— Ne nous déshabillons pas trop vite, Honorable, chuchota Lili Pute ; faisons d’abord plus ample connaissance, voulez-vous ?

Il voulait.

Elle diminua la lumière, ne conservant qu’une petite lampe de lecture à pince fixée à un barreau du lit de cuivre.