Выбрать главу

Et alors, le Mastar s’emporte.

C’est moi qui le reçois ! A la pointe du bouc, je le comprendrai plus tard. Pour l’instant, tout est dark, black, noir, schwartz. K.-o. impec d’une netteté impressionnante. Faut dire que ce gros lâche, dans l’état où je me trouve, a eu tout loisir de l’assurer. Ça dure peu, du moins en ai-je l’impression. Mon premier mot est :

— Fumier !

— D’accord, on lu écrira ! ricane le Gros.

Pour m’indiquer à quel point il prend cette insulte en considération, il trouve une rime au pet par lequel il a décliné son identité naguère.

— Un conseil qu’j’te donne, Bébé rose : arrête d’énergumer, qu’autr’ment sinon, je te fais rebelote !

La voix bêlante de Pinaud se joint à celle du Monstrueux :

— Ne t’agite pas, Antoine ; tout va bien aller, je te promets !

— Tout va bien aller ! Alors qu’on va bousiller le Président des Etats-Unis.

— Complètement dans les vapes, soupire Béru. Tu crois qu’j’y remets une aut’ dose d’osselets, César ?

— Ah ! non, ça suffit ! Vous n’allez pas passer votre temps à vous massacrer mutuellement ! égosille la Pinasse.

Bérurier ronchonne. Moi, je m’efforce au calme.

— Ou allons-nous ? demandé-je.

— On a loué un coinceteau pépère, répond Alexandre-Benoît. Une ancienne usine de crevettes.

— C’est pour cela que tu pues le crustacé !

— J’voye pas pourquoi t’est-ce j’puererais le crustacé étant donné qu’y s’agissait d’crevettes ! T’es vraiment à la masse !

Réalisant que cet infâme goret me juge dingue et qu’il ne demande qu’à me biller dessus, je décide de la boucler et de récupérer l’usage de ma vue.

Mon mouchoir m’y aide, de même que mes larmes purificatrices.

Je suppose que Li Pût doit se rendre à l’ambassade américaine toute seule, malgré que ce soit moi qui aie le carton d’invitation. Elle va leur déballer une fable expresse, là-bas. Comme ils ont la liste des invités, les gars chargés du filtrage la conduiront probablement jusqu’à Hasse et Dorothy qui l’accueilleront.

Il va y avoir tout un bigntz dans le grand salon, avant le repas. Les présentations, les salamalecs. Champagne et bourbon pour tout le monde ! Ensuite, la bouffe. Et puis les toasts, les jactances… Des heures avant d’en arriver au café et de pouvoir décemment allumer une cigarette. J’ai le temps. Pas d’affolement, Antoine. L’Amérique te regarde au fond des châsses.

Un portail de fer rouillé. Des bâtiments de briques noircies, couverts de verrières saccagées. Et l’odeur ! Dieppe, Fécamp olfactivement regroupés dans ces immenses locaux promis aux bulldozers à très courte échéance.

Je recommence à voir clair, ce qui est façon d’exprimer car la nuit, cette fois, est à pied d’œuvre et il fait sombre dans ces ruines comme dans des catacombes.

Les deux portières arrière de mon véhicule s’ouvrent. Je descends, soutenu par Béru.

Alors, à travers le brouillard ténu qui continue à m’ouater les gens et les choses, comme l’écrivait si bien Baudelaire à sa concierge, je distingue une forme gracieuse qui s’approche de moi. Et puis deux bras se nouent à mon cou. Une voix passionnée s’écrie :

— Oh ! mon amour, mon amour, comme tu es long à revenir quand tu vas rendre visite à une dame.

« Une fois mort, on se nourrit de soi-même », comme le dit mon cher Scutenaire, qui aura fait davantage pour la Belgique que le roi Boudin et Eddy Mec réunis. Et il dit encore, ce cher vieux génie belge : « L’âge use la laideur, comme il use la beauté. »

Et tu me croiras pas ou t’iras te faire engoncer chez les Zoulous, mais c’est à lui que je pense au moment somptueux où Marie-Marie se plaque à moi ; à lui qui « se désintéresse passionnément de tout ». A lui, le grand sage à la bienveillance féroce qui règne sur Bruxelles, et les Bruxellois l’ignorent. La meilleure histoire belge, je vais te la dire, c’est la plus terrifiante de toutes : « Il est une fois Scutenaire et les Belges n’en savent rien. » Et les Français non plus. On est juste une poignée avec Isy Brachot qui fait l’essentiel puisqu’il le publie. Il dit tout, mais par brèves giclées, Scut. Il sait la vie, la mort, l’avant, l’après, ma bite, la tienne, l’amère patrie, le surréalisme, les frites, les cons, les mœurs, les larmes et la façon dont, chez lui, il doit éteindre au rez-de-chaussée avant d’éclairer au premier pour ne pas faire sauter le compteur électrique.

Quelle idée de te parler de lui à cet instant culminant de mon action épatante ? T’amener un génie dans mes calembredaines, je te jure, faut pas craindre !

Et donc, en refermant mes bras sur le dos de Marie-Marie, ça fait comme le bateau qui arrive à quai et dont le flanc comprime les gros pneus formant buttoirs. Qui chantera un jour la seconde vie des pneus ayant cessé de rouler ! Ces pneus lisses, fendus, meurtris qui, après avoir été souvent les auteurs d’effroyables chocs, finissent leur carrière en amortissant ceux des autres !

Et donc, reprends-je, je la retrouve contre moi, cette obstinée amoureuse, cette éperdue de tendresse, cette folle de moi, cette intrépide de la passion aveuglée, portée, galvanisée par l’amour farouche qu’elle me porte depuis son âge tendre. O Marie-Marie, ma Musaraigne impertinente, ma gouailleuse, ma walkyrie ! Je te retrouve.

Mon émotion est si forte que je pleure, ce qui ne m’est guère difficile avec la saloperie que son con d’oncle m’a vaporisée dans les carreaux.

— Je savais, je savais, balbutie-t-elle. Je savais que ce serait comme ça. Que tu étais en état second, drogué ou envoûté, je ne sais, mais plus du tout toi-même.

Bon, elle savait. Je n’ai donc pas à ajouter grand-chose. Oui : je prenais des dragées chinoises. Mais, par un effort de mon subconscient, j’ai cessé de les avaler, triché. Et puis je me suis récupéré. Mais j’ai continué de « faire semblant » car il se prépare un très vilain sale coup : on va buter le Président des U.S.A. Il faut interviendre ! Vite ! Fissa ! Quickly ! Se manier le pot, se grouiller, se bouger les meules ! Le compteur tourne ! Attendez, bougez plus, fermez vos gueules, je gamberge. Le moyen d’éviter le drame ? Sans aller au caca ! Le moyen de… Bon ! J’ai trouvé. Ecoute, Marie-Marie… Voilà ce que tu vas faire…

J’achève de me tamponner les lotos. Ma vue est redevenue potable, ma gamberge tourne à cinq mille tours. Bérurier sort une bouteille d’alcool de riz de sa poche. Un gros flacon plutôt rond, avec une étiquette chamarrée où c’est rédigé non seulement en chinois, mais de surcroît en doré, ce qui va bien ensemble. Les chichines, le noir laqué, le lie-de-vin et le doré constituent leurs couleurs de prédilection.

Sa Majesté s’entifle une rasade de docker, clape fort et assure :

— Au début, ça a l’goût d’la merde, mais on s’y fait. Je t’off’un’rincelette, l’artiss ?

L’artiss’ remercie. Non, non. Pas le moment de biberonner. Par contre, le père Pinuche tend la main. Il a remarqué que ça ne chahute pas son ulcère, l’alcool de riz ; lui qui, cependant, ne supporte bien que le muscadet.

Alexandre-Benoît me donne une bourrade.

— J’sus t’heureux d’te retrouver en ord’d’marche, Tonio. Toujours t’fout’ sur la gueule, ça d’venait une cure d’ciné ! C’t’sauteuse qui t’a rendu pincecorné, j’la tiendrerais, j’y f’rais enfler la gogne à coups d’mandales ! Un mec comm’ toi, av’c un’ fille comme elle…

— C’est horrible ! complété-je.

— Textuel, gars !