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Marie-Marie revient de la cabine téléphonique, songeuse.

— Tu as pu avoir Swan, l’ambassadeur ? j’y demande.

— Non. On m’a répondu qu’il était impossible de le déranger.

— Alors ?

— Alors j’ai demandé à parler au chef de la sécurité du Président. Et là, j’ai eu un type qui prétendait être son adjoint.

— Que lui as-tu dit ?

— Qu’un énorme gâteau représentant la Maison-Blanche avait été livré dans l’après-midi à l’ambassade et qu’il fallait immédiatement le faire passer sous l’arc de détection. Il m’a répondu que la chose avait été faite et a voulu savoir qui j’étais. Je lui ai répondu que je tenais à garder l’anonymat et je l’ai supplié de refaire subir le test au gâteau, en lui jurant qu’il y allait de la vie du Président.

— Et alors ?

— Il m’a dit qu’il ne pouvait prendre en considération un appel anonyme.

— Et ralors ?

— Je lui ai objecté que, pour les alertes à la bombe, on paralysait le trafic d’un aéroport sans que le correspondant ait besoin de préciser son identité.

— Et reralors ?

— Il a raccroché.

— Tu penses qu’il ne t’a pas crue ?

— Je suppose qu’il estime avoir affaire à des farceurs, le côté gâteau, tu comprends ?

— Alors, il faut que j’aille là-bas.

Marie-Marie joint ses deux mains.

— Oh ! non, Antoine ! Si tu retournes auprès de cette femme, je ne te reverrai plus. C’est le démon en personne. Et puis, ils vont passer à table. Tu ne peux arriver en retard dans un dîner officiel de ce niveau, ça ne se fait pas ! On a dû d’ailleurs retirer ton couvert.

Je la biche aux épaules et plante mes châsses dans les siens.

— Je viens de sortir du tunnel, Marie-Marie, le rêve dans lequel on m’avait embarqué a cessé, je suis tout à fait lucide, crois-moi. Lucide au point de savoir où est mon devoir et de vouloir l’accomplir coûte que coûte.

Bien jacté, non ? Je propose à mes exégètes de découper cette phrase pour la placer en bonne place dans les bouquins qu’ils me consacrent.

— Il a raison ! renchérit Béru. Dans not’ job, ce qu’il faut c’est qu’il faut pas déclarer forfaiture, aut’ment sinon, c’que t’asperges dans la glace d’ton miroir en t’rasant, ressemb’ à mon cul comme deux couteaux !

LA GRANDE SOIRÉE DE SA VIE

(fin)

Le taxi m’arrête (de poisson, des fesses, publique, etc.) à dix mètres de l’ambassade illuminée et décorée de drapeaux américains, chinois et japonais.

Ayant remis de l’ordre dans ma mise, je m’avance d’un pas ferme vers les marines impressionnants qui en gardent (meubles, champêtre, meurt-mais-ne-se-rend-pas, etc.) l’entrée.

C’est alors que deux personnages s’interposent. En lesquels je reconnais Kou d’Ban Boû et son acolyte déjà vu dans la propriété malaise de Li Pût.

Le maître Jacques de ma Merveilleuse est joyeux comme un qui attend dans le salon d’un cancérologue avec ses radios sous le bras. Ce soir, il est à ce point jaune que je me demande si son cas ne se compliquerait pas d’une jaunisse.

— Où étiez-vous ? demande-t-il sèchement.

— J’ai été enlevé.

— Par qui ?

— Mes ex-compagnons que vous avez déjà vus. Des obstinés, hein ?

— Et ils vous ont libéré ?

Je lui montre mon poing.

— Une fois encore, j’ai fait ce qu’il fallait pour ça.

— Suivez-nous.

— Pas question : on m’attend à l’ambassade.

— Il est trop tard, Li Pût se passera de vous.

— Je ne laisserai pas ma bien-aimée seule dans ces circonstances délicates.

— Suivez-nous, sinon vous êtes mort.

Il a un geste du pouce pour m’inviter à regarder son pote ; ce que je décide de faire après m’être concerté pendant une bonne seconde au moins. Le vilain tient Singapour Soir roulé dans sa main droite. On aperçoit un morceau du Président avec son toupet à la con de vieux glandeur tenu par de multiples couches d’amidon. Mais, dépassant du journal, j’avise la corolle noire d’un silencieux.

— Vous voyez ? demande Kou d’Ban Boû.

— Oui, je vois, c’est un modèle italien, non ? Celui qui s’adapte au Beretta Spécial. Bon, votre scout me lessive, je deviens un gros paquet de viande sur le trottoir, et pour vous, dans ce cas, c’est quoi l’avenir immédiat ? Vous n’avez peut-être pas remarqué, mais il y a plein de marines sur le pied de guerre ; on se croirait dans un élevage. Si vous prenez la fuite, y en aura sûrement quelques-uns qui feront des cartons sur vous. Ces mecs, on les a tellement conditionnés qu’ils flingueraient une mouche posée sur le nez de leur maman, d’accord ?

— D’accord, mais ce que vous ignorez, c’est que l’arme de mon ami ne tire pas des balles ordinaires. Vous ne tomberez pas tout de suite. Quand vous vous écroulerez, nous serons déjà dans une des voitures qui nous attendent ; il y en a plus de six réparties dans le secteur. Alors, venez !

— O.K., je viens…

Il marche devant, son gazier reste à mon côté, gardant le baveux fourré mortibus dirigé vers moi.

Alors, l’Antonio, tu vas voir comment qu’il s’est récupéré cinq sur cinq, le mec ! Je pense qu’on m’a fait prendre des cigarettes et un briquet pour, tout à l’heure, garnir le fume-cigarette de Li Pût et lui allumer sa tige. Tout en marchant, je sors une sèche du pacsif, la glisse entre mes lèvres, bien que je ne fume que des Davidoff number one, puis l’allume avec le briquet. Gestes qui paraissent routiniers.

Ayant terminé, je me rapproche un peu plus, sans en avoir l’air, du gars qui me couvre, et, sans même qu’il s’en aperçoive, je fous le feu à son canard. En trois secondes, Singapour Soir, imprimé sur du faf en feuilles de riz devient une torche. L’homme le lâche en poussant un cri car ses salsifis sont brûlés. Bibi se penche, shoote de toutes mes forces dans l’incendie miniature. Le pistolet, telle une plaque de palet, s’en va se perdre sous le flot de la circulation.

Imperturbable, je retourne à l’ambassade et montre mon carton à ces messieurs. Je n’accorde même pas un regard à mes tagonistes. Tant pis s’ils ont une autre seringue de rechange et m’ajustent à distance. Cela dit, la décarrade de l’ambassade, en fin de soirée, risque de pas être triste ! J’aurai des supporters à la sortie, fais confiance ! Mais enfin, comme l’a écrit je ne sais plus qui (qui est un homme très bien) : « Plus tard c’est le futur et maintenant c’est le présent », en vertu de quoi, je m’occuperai de plus tard quand il sera devenu maintenant.

Ambiance extra. Y a plein d’huissiers, d’officiers avec des galons qui leur grimpent jusqu’au coude, de larbins en spencer (marque Tracy, tombée dans le dolman public) blanc. Un fort brouhaha provient de la salle à manger.

Le chef du protocole à manger de la tarte m’intercepte comme quoi vous devez comprendre, Excellence, que, bon d’accord, vous avez eu un accident de voiture, mais il n’est plus envisageable de rajouter un couvert maintenant que les hors-d’œuvre sont déjà bouffés, vous allez devoir attendre dans le petit salon que voilà, on vous y servira un casse-dalle sur assiette, le côté clube-sandouiche, en attendant le café, qu’alors seulement vous passerez dans le salon d’apparat.

Je réponds : « gi go ! » Re-m’excuse de ce retard indépendant de ma volonté, et tout ça…

Pendant que le gus jactait, je lorgnais par la porte chaque fois qu’elle s’écartait pour livrer passage aux loufiats. J’ai eu une vue d’ensemble de la tablée féerique. Les trois pôles (dirait Béru) étant pour moi : le Président, Li Pût et le gâteau. Je suis parvenu à les situer. Le gâteau est au fond, bien pimpant sur sa desserte d’acajou, le gâteux se tient au centre de la table, naturellement, et Li Pût, fort heureusement, du même côté que lui. Je dis heureusement car, en admettant qu’elle ait l’opportunité de sortir son fume-cigarette avant de quitter la table, elle ne pourrait l’utiliser. Me reste plus que d’attendre.